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Joan Capdevila au Buteur : «La seule équipe capable de nous barrer la route de la victoire, c'est l'Allemagne»
Publié dans Le Buteur le 27 - 06 - 2012

« Avec Feghouli, Valence a fait une bonne affaire, il est jeune, il est bon, il déborde, il marque, il a tout quoi ! »
«Lacen est un joueur d'un niveau appréciable, ce n'est pas facile d'être titulaire pendant si longtemps en Liga»
Merci Joan de nous avoir si bien accueilli et d'accepter de vous adresser aux admirateurs du football espagnol en Afrique du Nord.
Merci de vous être déplacé jusqu'ici pour moi. C'est un plaisir de vous accueillir et je suis à votre disposition pour tout ce que vous voulez.
Que ressent-on, quand on doit suivre l'Euro à la télé, après avoir remporté la Coupe d'Europe des nations en 2008 et la Coupe du monde en 2010 ?
C'est difficile d'y croire. Il y a beaucoup de nostalgie, de beaux souvenirs, mais aussi la réalité de la vie. J'ai eu la chance d'être titulaire dans cette équipe et aujourd'hui mon cycle a pris fin. Je regarde les matchs à la télé et j'encourage l'équipe comme tout le monde, c'est tout. Beaucoup de bons souvenirs remontent à la surface, à chaque fois que je regarde un match de la Roja. J'ai pu faire partie de la meilleure sélection d'Espagne, j'espère qu'ils vont continuer sur la même ligne et gagner l'Euro. J'ai été fier d'appartenir à ce groupe.
Vous qui avez connu cette équipe, ce groupe de joueurs, pensez-vous qu'ils sont capables de gagner un triplé qui serait unique dans l'histoire du football ?
S'il y a une équipe capable de réaliser une telle prouesse, ce serait sans doute l'Espagne. Le groupe n'a pas beaucoup changé ces derniers temps, les joueurs savent qu'ils peuvent entrer dans l'histoire s'ils gagnent un troisième titre majeur en quatre années. Mais, attention, il reste encore des équipes très fortes, capables de leur barrer la route d'une telle consécration. Depuis la dernière Coupe du monde, chaque match que joue l'Espagne est devenu une bataille. On est attendus au tournant, tout le monde veut nous battre.
Vous disiez la même chose avant la Coupe du monde avec le résultat que l'on sait...
Gagner la Coupe d'Europe, ce n'est pas la même chose que gagner la Coupe d'Europe puis la Coupe du monde. Avant le Mondial, on avait gagné le respect des gens et de nos adversaires, aujourd'hui on ne se contente plus de nous respecter, on veut nous battre parce qu'il ne faut pas oublier qu'avant l'Afrique du Sud, l'Espagne n'avait jamais dépassé les quarts de finale et aujourd'hui, nous sommes les champions du monde en titre. Toutefois, on peut encore remporter des titres si on continue à se baser sur les vertus qui ont fait notre force, à savoir l'humilité et le travai,l car chaque sélection qui affronte l'Espagne est très motivée à l'épingler.
C'est sûr que vous avez parlé avec les joueurs espagnols. Les avez-vous sentis motivés ?
Avec certains, oui, et je peux vous dire qu'ils ont à cœur de remporter cet Euro. La mentalité du joueur espagnol a changé, aujourd'hui on va dans un tournoi pour le gagner, pas pour arriver en quart de finale ou en finale. Cette mentalité, personne ne peut plus nous l'enlever.
Comment des joueurs comme Xavi, Casillas ou Iniesta, qui ont pratiquement tout gagné en sélection et en club, peuvent se remotiver pour jouer et gagner l'Euro ?
Plus on a, plus on veut. La faim des victoires n'a pas de limite. Quand on est habitués à gagner, on veut que cela ne s'arrête jamais. C'est pour cela que les plus motivés sont justement ceux qui ont tout gagné. Ça devient un défi personnel. Casillas, Xavi ou Iniesta auront toujours envie de tout gagner, tant qu'ils jouent au foot.
Vous qui n'êtes ni du Real ni du Barça et qui ne jouez plus en sélection, pouvez-vous nous dire si réellement il y a une rivalité au sein de l'équipe d'Espagne entre les joueurs madrilènes et barcelonais ?
Absolument pas. Je peux vous assurer que c'est de la pure invention et je suis bien placé pour en parler. J'ai joué pendant plusieurs années dans cette sélection et le secret de notre réussite, c'est justement l'ambiance dans le groupe. Sans ce vestiaire uni, nous n'aurions peut-être jamais rien gagné. Je lis comme tout le monde des trucs sur une soi-disant rivalité au sein de la sélection, mais moi, je ne l'ai jamais vue, ni perçue. Il y a toujours eu un respect entre les joueurs du Real et ceux du Barça. Après, en club chacun défend ses intérêts et c'est normal. On sait tous qu'en championnat d'Espagne, le Real et le Barça sont les grands rivaux, mais une fois en sélection, les joueurs oublient ça. J'irais même jusqu'à dire qu'ils se comportent comme des frères.
Quelle est, à votre avis, l'équipe encore capable de barrer la route à l'Espagne ?
L'Allemagne, sans aucun doute. Je pensais avant l'Euro à la Hollande, mais j'ai été finalement déçu.
Vous avez travaillé avec Luis Aragonès puis avec Vicente Del Bosque. Quelle est la différence entre ces deux entraîneurs ?
Vous savez, chaque entraîneur a une méthode de travail propre à lui. Ce qui est bien en Espagne, c'est que Aragonès a construit un groupe et Del Bosque l'a maintenu avec juste quelques retouches. Le mérite des deux entraîneurs, c'est justement cela, construire puis maintenir un groupe équilibré et talentueux parce qu'à ce niveau, on ne va pas apprendre aux joueurs à contrôler un ballon. Le talent existe dans cette sélection et les deux sélectionneurs ont réussi à en former un groupe et à le maintenir.
Beaucoup pensent que l'inventeur du tiqui-taca, le fameux jeu à une passe de l'Espagne, c'est Luis Aragonès. Etes-ce que de cet avis ?
Avant l'Euro-2008, nous avons eu une très mauvaise période en sélection. Il n'y avait que des critiques sur les résultats et aussi sur la manière de jouer. Luis Aragonès a donc eu le mérite de construire un groupe sur la base des qualités techniques de ses joueurs et c'est comme ça qu'est né le tiqui-taca sans oublier que cela a coïncidé avec l'apparition d'une belle génération de joueurs au Barça qui a constitué le premier noyau de la sélection. Au jour d'aujourd'hui, ce noyau est toujours là. Il faut juste préciser que le tiqui-taca existe grâce aux joueurs. Il faut avoir des joueurs qui savent jouer à une touche de balle et se déplacer sur le terrain pour pouvoir jouer comme l'Espagne. Aragonès a construit un style, mais il avait la matière pour le faire.
Le tiqui-taca basé sur la technique et l'inspiration peut-il être considéré comme une victoire sur le football physique ?
Tant que l'Espagne gagne, oui, mais comme en football il n'y a aucune logique, l'Espagne va continuer à jouer de la même manière, mais personne ne peut garantir qu'elle gagnera à tous les coups. Notre style à nous ,c'est les passes courtes, le jeu à une touche de balle, la possession du ballon avec parfois 70% de possession, mais cela ne constitue pas une garantie pour gagner. C'est ce qui fait d'ailleurs la grandeur de ce sport. J'espère que notre génération continuera à gagner grâce au tiqui-taca, car on va attendre longtemps pour avoir une génération comme ça. Ces joueurs doivent encore profiter du peu de temps qui leur reste pour offrir à l'Espagne l'Euro et, pourquoi pas, une autre Coupe du monde.
Mais les Espagnols ne vont pas changer de style, ne serait-ce que pas leur morphologie, non ?
Pas seulement à cause de notre morphologie. On ne changera pas de style de sitôt parce que c'est comme ça qu'on nous apprend à jouer au football dans les écoles de foot. Bien traiter le ballon est la chose la plus importante qu'on nous enseigne. On nous apprend à jouer. Cela ne veut pas dire que les écoles anglaises et allemandes ne sont pas bonnes. Ce sont des styles différents du nôtre, notre style est à la mode parce que l'Espagne gagne, mais on a toujours joué comme ça.
Sans oser comparer l'Algérie à l'Espagne, les Algériens non plus n'ont pas d'autres solutions que de bien jouer au ballon, eux qui sont morphologiquement proches des Espagnols...
Je ne vais pas vous décourager, mais il ne peut pas y avoir beaucoup de sélections comme l'Espagne actuelle. Il y a, certes, la philosophie de jeu, mais il y a aussi les joueurs capables de la mettre en application et aujourd'hui l'Espagne possède de super joueurs. Je comprends que tout le monde veut imiter la sélection espagnole, mais c'est compliqué. C'est déjà bien pour le football que des sélections cherchent à jouer au foot avant tout.
Joan Capdevila, Catalan de souche, international espagnol, mais qui n'a jamais joué au Barça. C'est normal ça ?
Les joueurs du Barça sont des élus (rire). Non plus sérieusement, quand un joueur comme moi qui ne rêvait même pas de faire une carrière professionnelle se retrouve champion du monde et d'Europe avec 14 années au plus haut niveau à l'Espanyol de Barcelone, au Deportivo et à Villarreal, il ne peut quand même pas demander plus. Vous savez, il y a une vie après le Barça et le Real et je considère avoir eu une grande carrière qui n'est pas encore terminée. Tout le monde veut jouer dans les meilleures équipes du monde, mais seuls les élus peuvent y arriver.
Comment résumez-vous votre carrière ?
A part l'année passée à l'Atlético Madrid avec au bout une relégation et mon récent passage à Benfica, je crois que j'ai eu une très bonne carrière. Je ne m'en plains pas.
Vous avez joué à Villarreal à la meilleure époque. Comment avez-vous vécu la relégation de ce club ?
Ce fut douloureux et surtout inattendu. Personne ne s'attendait à ce qu'une équipe qui joue la Champions League rétrograde. On ne s'attendait pas à ça de la part d'une équipe qui terminait entre les 4e et 7e places durant ces dernières années. Jusqu'à aujourd'hui, je n'arrive pas à digérer. A froid, je dirais que les nombreuses blessures et les deux changements d'entraîneurs ont été pour beaucoup dans ce mauvais coup du sort. Depuis Benfica où j'étais, j'ai très mal vécu cette relégation parce que là-bas, je sais que ça travaille bien, notamment dans les jeunes catégories. J'espère pour mes coéquipiers et pour le président que Villarreal revienne vite en première Division.
Comme l'a fait le Deportivo où vous avez également connu les meilleurs moments de votre carrière en club, c'est ça ?
Vous savez, des clubs comme Villarreal ou la Corogne doivent vivre selon leurs moyens. L'erreur a été peut-être d'essayer de faire comme le Real et le Barça en dépensant plus d'argent qu'ils génèrent. Tout le monde veut faire comme le Real ou le Barça, mais aucun club ne peut le faire, du moins pas dans l'immédiat. La belle époque du Depor a duré 10 ans, celle de Villarreal également, mais le Real et le Barça sont en haut et pour toujours, parce qu'ils ont tout simplement plus d'argent que les autres. Il faut apprendre à vivre avec ses moyens dans le football de haut niveau, sinon la chute risque d'être lourde et douloureuse. Si on ne se qualifie pas pour l'Europe cette année, il faut l'accepter et faire de son mieux pour y arriver l'année d'après.
Comment avez-vous vécu l'accession du Deportivo La Corogne ?
Je vous le racontais tout à l'heure durant le déjeuner. Ce fut merveilleux ! J'ai tenu à me déplacer au stade pour vivre ça de plus près avec les supporters. Aujourd'hui, on peut dire que le Depor est à sa place.
Vous venez d'écrire un livre avec un titre révélateur : la chance. Pensez-vous que la chance est à ce point importante pour réussir une grande carrière dans le football ?
La chance n'est pas tout, mais à un moment donné de notre carrière ou de notre vie tout court, on a besoin d'un coup de main du destin pour réussir. Au début de ma carrière, je ne rêvais même pas de jouer parmi l'élite du football espagnol, me voici aujourd'hui avec 14 années dans le haut niveau. C'est inespéré et c'est grâce à la chance entre autres. Il y a sans doute des joueurs talentueux en 2e voire 3e Divisions et qui n'attendent qu'une chance pour faire le grand saut. Certains l'ont eue, d'autres non. Mon livre est une manière de dire aux enfants qui veulent faire carrière de travailler et de lutter tous les jours d'être prêts à saisir leur chance parce qu'à un moment de la vie, on a tous une chance de réussir, il faut juste savoir la saisir au bon moment.
Contrairement au passé, il y a de plus en plus de joueurs algériens dans le championnat d'Espagne. Est-ce une bonne chose pour la promotion du football algérien ?
Bien sûr ! Ils jouent dans le meilleur championnat du monde avec la Premier et le Calcio. Leur présence ici va sans doute ouvrir la voie à d'autres joueurs algériens parce que grâce à ceux qui sont là, on connaît un peu plus le football algérien.
Connaissez-vous les cinq joueurs algériens de la Liga ?
J'en connais deux : Medhi Lacen qui jouait à Santander et qui est aujourd'hui à Getafe. Lacen semble bien s'adapter au football espagnol et à la vie en Espagne en général, parce qu'il joue ici depuis longtemps je crois. C'est un joueur d'un niveau appréciable parce que ce n'est pas facile d'être titulaire pendant si longtemps en Liga. Il y a aussi Feghouli, un joueur que j'adore et qui a réalisé une grande saison à Valence. Avec lui, Valence a fait une bonne affaire, il est jeune, il est bon, il déborde, il marque, il a tout quoi ! Je crois qu'il y a aussi deux Algériens dont je ne me rappelle pas le nom et qui jouent à la Real et à Levante. Ces joueurs vont sans doute ouvrir les yeux aux recruteurs pour s'intéresser un peu plus au marché algérien.
Tout à l'heure, vous nous avez montré une photo sur votre I Phone en compagnie de Zidane. C'était où ?
A Hambourg au cours d'un match gala (Ndlr. Le Buteur était le seul média algérien présent). C'était la première fois que je jouais avec lui et non pas contre lui, comme cela a été le cas durant plusieurs saisons. En fait, j'ai déjà réussi à le lober au Riazor au cours d'un match de championnat Deportivo – Real, mais je sais que personne ne s'en souvient (il rit franchement). A Hambourg, j'ai pu réaliser mon rêve en jouant 45 minutes avec Zidane comme coéquipier. Il y avait beaucoup de grands joueurs certes, mais Zidane est unique. Sur le terrain, je ne pouvais pas croire que Zidane me passait le ballon et que je le lui remettais. J'avais l'impression d'être un jeune adolescent qui rencontrait son idole. Ce match était pour moi comme une rencontre de Coupe du monde. C'était émouvant.
Il y avait beaucoup de grands joueurs comme vous dites, il y avait Figo, Ronaldo, Salgado et Madjer le joueur algérien. L'avez-vous croisé ?
Oui, on s'est croisés, mais on ne s'est pas parlés. Il y avait tellement de grands joueurs que je ne savais plus qui saluer et avec qui discuter. Si vous rencontrez Madjer, dites-lui de m'excuser. Je le salue chaleureusement à travers vous, mais je suis certain que, lui, il ne m'avait même reconnu, demandez-lui et vous verrez (rire).
Vous avez joué contre Zidane pendant plusieurs saisons, vous l'avez côtoyé à Hambourg. Comment l'avez-vous trouvé ?
A part le fait qu'il transpire beaucoup (il rit), c'est son contrôle de balle qui m'impressionne. On dirait qu'il le prend avec ses mains. Je crois qu'il a de la colle dans ses chaussures.
En Afrique du Sud, vous étiez sans doute concentré sur les matchs de la sélection espagnole, mais il y a eu quelques belles surprises durant le premier tour comme le nul de l'Algérie face à l'Angleterre. Vous rappelez-vous un peu de ce match ?
Je suivais les matchs comme tout le monde, mais pas tous, parce que j'étais là avant tout pour gagner la Coupe du monde. Comme mes coéquipiers, je m'intéressais beaucoup plus aux groupes où il y avait les équipes qu'on pouvait croiser, je faisais des calculs, ce qui est normal. Comme le groupe de l'Algérie ne nous concernait pas beaucoup, j'ai peu suivi les matchs de la sélection algérienne.
Il y a un club en Algérie qui a besoin d'un arrière gauche...
Allez ! Dites à ses dirigeants de m'appeler. Je suis là !
Comme ça, vous connaîtrez un peu mieux le football algérien.
Oui, sans doute.
Tous les confrères espagnols nous ont dit que Capdevila est le joueur le plus sociable et le plus aimable de la sélection. D'où vous viennent ces qualités ?
C'est mon caractère et c'est tout. Y a des gens qui sont tout le temps tristes, d'autres aiment faire la tête et d'autres comme moi qui préfèrent voir le verre à moitié plein. Je crois que c'est une chance de voir la vie du bon côté. J'ai toujours été positif et j'ai essayé de transmettre ça à mes proches.
Ces qualités peuvent-elles servir dans le foot ?
Bien sûr ! Après une défaite, on a forcément la gueule des mauvais jours, mais il faut toujours quelqu'un dans le groupe pour te faire oublier ça pour que le lendemain tu penses à gagner le prochain match. Après une victoire, il faut aussi des gens pour faire partager la joie entre tout le monde. Moi, j'ai toujours été comme ça, dans la vie et dans le foot.
Quelle a été la meilleure image de la Coupe du monde pour vous ?
Lorsque nous sommes rentrés sur le terrain et j'ai vu la Coupe du monde exposée. J'ai reçu comme un impact au cœur en la voyant tout près de moi. Après l'avoir vue à la télé, après avoir vu d'autres joueurs l'embrasser, je me suis dit que c'est à mon tour de la saisir et de l'embrasser. Elle était tellement belle que j'étais prêt, en cas de défaite, à aller dans le vestiaire hollandais juste pour l'embrasser.


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