Après la chute du mur de Berlin, l'Allemagne est confrontée à un autre mur cette fois-ci : le mur social. C'est plus de 25% de la population qui vit sous le seuil minimum de la pauvreté si ce n'est le très efficace filet social allemand qui amortit un tant soit peu les disparités sociales. Chiffres à l'appui, le débat fait rage et les partis tirent à boulets rouges sur le gouvernement d'Angela Merkel sur fond de joutes pré-électorales.La psychose des statistiquesUn Allemand sur huit vit en dessous du seuil de pauvreté. Sans les subventions de l'Etat social, ce serait un quart de la population. Même si la part de la population la plus démunie reste inférieure à la moyenne européenne, le fossé entre riches et pauvres ne cesse de s'élargir outre-Rhin. La publication du rapport sur la pauvreté par le ministre du Travail Olaf Scholz (SPD) a ouvert un débat très émotionnel, non dénué d'arrière-pensées électorales. Alors que le SPD en profite pour réclamer l'instauration d'un salaire minimum, les conservateurs de la CDU et de la CSU poussent à une baisse des impôts. o Sous la photo d'une affiche géante où l'on apprend que 2,5millions d'enfants vivent dans la pauvreté en Allemagne, la Berliner Zeitung consacre un gros dossier à ce rapport de 400 pages, dans lequel "on n'apprend finalement pas grand-chose de neuf". Parce que les chiffres sur lesquels il est basé remontent à l'année 2005, alors que le gouvernement rouge-vert de Gerhard Schröder était encore en place et que la croissance économique n'avait pas encore redémarré. Depuis, le chômage de longue durée a baissé d'un quart et les revenus ont été améliorés. o Selon les définitions internationales, est considéré comme pauvre celui qui perçoit un revenu inférieur à 60% du revenu médian, soit pour l'Allemagne 781 euros par mois. C'est l'élément le plus inquiétant, car le seuil de la pauvreté a baissé, il était de 938 euros en 2004. Pour une famille avec deux enfants, la pauvreté commence en dessous d'un revenu net de 1640 euros. C'est donc 13% de la population qui est touchée. Parmi les groupes sociaux les plus menacés, on trouve d'abord les chômeurs de longue durée, les mères ou pères uniques et les personnes sans formation professionnelle. Le risque est également plus élevé dans les nouveaux Länder de l'Est où sévit davantage de chômage. Un filet social efficace, mais… o Sans les transferts sociaux, rappelle le dossier de la Berliner Zeitung, c'est-à-dire l'indemnité de chômage de longue durée, les allocations et suppléments pour enfants, la prise en charge des loyers pour les chômeurs, plus de 26% de la population tomberaient dans la pauvreté. En comparaison européenne, l'Allemagne n'est toutefois pas plus mal lotie que l'Irlande, le Danemark ou la Grande-Bretagne. o "L'Allemagne dépense chaque année 700 milliards d'euros pour son système social", rappelle la Frankfurter Allgemeine Zeitung(FAZ). "Pour une société diabolisée par la gauche radicale die Linke comme froide et néolibérale, c'est remarquable. Seule la France dépense davantage parmi les pays industrialisés. L'Etat social fonctionne." Pour la FAZ, l'objectif, ne devrait pas être davantage de redistribution sociale, mais moins car "la meilleure protection contre la pauvreté, c'est le travail. Et la base pour un emploi couronné de succès, c'est une bonne formation. Et c'est un scandale qu'un élève sur dix quitte l'école primaire sans certificat de fin d'études". Apparition du working poor o La Tageszeitung partage l'avis de la presse libérale sur un point au moins: en comparaison internationale, "ce rapport ne doit pas être une occasion de catastrophisme. Certes, le fossé social est plus profond qu'en Scandinavie, mais moins qu'en France ou en Grande-Bretagne. Même pour les retraités cela va plutôt mieux..." Mais la taz met le doigt sur la montée des working poor, les travailleurs pauvres, ceux qui symbolisaient l'injustice du capitalisme américain et qui sont devenus une réalité en Allemagne. o "Que faire? La CDU propose de baisser les cotisations sociales et les impôts. C'est bien, selon la Tageszeitung, mais uniquement pour la classe moyenne. Pour les pauvres - qui échappent à la taxation - cela n'apporte rien. Le SPD mise sur le salaire minimum. C'est juste, car le secteur des bas salaires explose et beaucoup sont pauvres parce qu'ils ne sont payés que quelques euros à l'heure." Taxer davantage les riches, comme le proposent la gauche du SPD et le parti die Linke? Une idée contre laquelle la FAZ s'oppose avec véhémence. "C'est une légende que de dire que les riches ne paient pas d'impôts. Dix pour cent des contribuables contribuent à plus de la moitié des rentrées fiscales." Les prétendus hauts revenus sont des gens qui vivent sans luxe avec des revenus de quelque 50 000 euros et financent l'Etat social, insiste la FAZ. Pour qui "les vrais contributeurs sont des employés, des artisans, des spécialistes qui triment quotidiennement, même s'il leur reste toujours moins parce que l'Etat leur enlève une grande partie de leur liberté personnelle et financière par son filet de taxes et prescriptions". *Berliner Zeitung. Né à l'époque de la RDA, ce titre se dit le quotidien le plus lu de la capitale. Diffusion: 184000 exemplaires. *Frankfurter Allgemeine Zeitung. Fondé en 1949, c'est le grand quotidien conservateur et libéral, un outil de référence dans les milieux d'affaires et intellectuels allemands. Diffusion: 377000 exemplaires. *Tageszeitung. Ce titre alternatif, né en 1979 à Berlin-Ouest, s'impose comme le journal de gauche des féministes, des écologistes et des pacifistes. Diffusion: 60000 exemplaires.