Le rebord de la falaise abrupte, qui surplombe d'une centaine de mètres le niveau de l'oued Rhumel, abrite encore les trois derniers "debaghine", ou artisanstanneurs, dont la seule raison d'être est de perpétuer la pratique de ce très ancien métier hérité de père en fils.Les trois derniers successeurs d'un métier qui se meurt sont réunis en associés au coeur de l'un des plus vieux espaces où s'exerce encore, dans la pure tradition ancestrale, cette profession: en contrebas de la medersa, au lieu dit "Chatt" qui longe la berge droite de l'oued millénaire.Liés par le lien du sang, quoique de patronymes différents (Benaissa, Boukhobza et Zeghad), ils sont les ultimes détenteurs du legs familial et bravent courageusement le temps en maintenant encore "vivante" cette activité. Souika, la partie basse de la médina qui se vide au fil des jours de ses riverains dont les maisons menacent ruine, s'enorgueillit encore de ce vieux et beau métier qui a donné son nom à Zenqet Eddebaghine (la venelle des tanneurs) et où le passant commence d'abord par "sentir" les effluves âcres que dégagent les dernières échoppes. Aux heures d'ouverture, qui s'effectuent souvent en fonction des commandes de la clientèle et de la disponibilité de l'eau, le travail de ces maîtres-artisans impose le respect tant sont surprenantes l'habileté et la dextérité dont ils font montre en tannant les peaux brutes. Ce sont généralement des téguments de chèvres et de moutons qu'il faudra ensuite traiter en les enduisant d'ingrédients et de produits "secrets" qui les rendent plus maniables, plus élastiques, résistantes, colorées et prêtes à l'emploi. Ces tanneries étaient toujours implantées dans les environs immédiats des sources d'eau afin que les bassins de trempage soient toujours pleins. Le déversement des résidus qui en proviennent est assuré au moyen de fosses creusées à même le roc du ravin et qui remonteraient à l'époque Romaine. La tannerie traditionnelle englobe une aire découverte creusée justement de bassins pour le brossage et le rinçage des peaux ainsi que de fosses destinées aux bains dans lesquels elles séjournent. Au cours de la préparation des peaux, “l'artisan tanneur se sert d'un certain nombre d'ingrédients (sel, son, chaux, alun et tan)”, a indiqué, "trahissant le secret", Bennamer Riad, dit "Bounina", un artisan tanneur de 38 ans, actuellement au chômage mais à qui on fait immanquablement appel à chaque commande. L'emplacement de la tannerie permet aux eaux de vidange un écoulement facile sur la roche abrupte, ce qui facilite davantage le travail artistique de la peau qui aura eu tout le temps de sécher à plein vent, sur des cordes ou à même le rocher. Rien ne remplace les produits authentiques du cuir Selon certaines recherches, les métiers du cuir ont toujours été florissants dans la région de Constantine mais, au jour d'aujourd'hui, l'apparition des matières synthétiques bon marché les font disparaître à petit feu. Le produit en toc "ne remplacera jamais la vraie broderie sur cuir, les outres authentiques et la sonorité pure de certains instruments de musique à percussion comme le Bendir, le tar, la derbouka", souligne Bounina entre deux soupirs qui en disent long. Une clientèle fidèle, quoique s'amenuisant au fil des années, sachant discerner le bon grain de l'ivraie et encore attachée à l'authenticité des produits utilisés par les Constantinois d'hier, permet encore à ces artisans surannés de vivre encore de leur savoir-faire. Mais sans doute pas pour très longtemps, hélas. APS.