Un pays hôte qui n'exerce plus l'attraction d'antan Pour le Japon, un sommet de tous les excès et de tous les dangers. C'est un ambassadeur européen qui le dit. Ouvrant lundi dernier le débat avec les Africains sur les promesses du G8, le premier ministre nippon fait l'éloge de la Ticad, la conférence de Tokyo sur le développement du Continent noir. Volée de chiffres, auto-compliments... Et riposte du président sénégalais, Abdoulaye Wade, dont la capitale, Dakar, compte de plus en plus de commerçants chinois: "Vous parlez de vos fonds débloqués. Moi, j'attends toujours!" Le Japon n'exerce plus l'attraction d'antan. Symbole s'il en est de ce douloureux réajustement, le magnifique hôtel Windsor Toya d'Hokkaido, où se sont retrouvés les chefs d'Etat et de gouvernement, a failli fermer après sa construction, au beau milieu de la bulle spéculative et immobilière des années1990. Les banques régionales qui l'avaient financé ont toutes fait faillite. Le budget faramineux - 360 millions d'euros - consacré à ce deuxième sommet le plus cher de l'histoire du G8 après celui d'Okinawa en 2000 illustre aussi le dilemme de l'Archipel. Quelque 21000 policiers ont été mobilisés, transformant le sud d'Hokkaido en forteresse, au grand dam des altermondialistes et de la société civile, littéralement étouffés (lire ci-dessous). Un déluge de nouvelles technologies s'est abattu sur cette île volcanique plus connue pour sa faune et ses pistes de ski. Toutes les grandes marques automobiles japonaises ont mis leurs derniers modèles hybrides ou électriques à la disposition des délégations. Les épouses des dirigeants sont venues admirer le robot humanoïde Asimo de Honda. "Dépendance" Mais la "valeur ajoutée" du Japon est moins évidente: "Plus l'on parle crise alimentaire et énergétique, moins le Japon pèse, explique Kathrin Gutmann, du WWF. Sa dépendance, dans ces deux domaines, lui enlève sa marge de manœuvre." Le discrédit du Parti libéral démocrate, au pouvoir de façon quasi ininterrompue depuis la guerre, complique aussi la donne. L'actuel premier ministre, Yasuo Fukuda, crédité de moins de 20% d'opinions favorables, se sait en sursis. Et l'échec rapide de son prédécesseur, le nationaliste Shinzo Abe, montre combien le Pays du Soleil-Levant est maintenant tributaire de ses voisins. Pas facile, dans ces conditions, de renâcler à l'élargissement programmé du G8. "Le Japon craint pour son isolement, explique un diplomate. Il a raison. Mais le monde change." La preuve: c'est à leurs usines chinoises que les grands conglomérats japonais, tels que Panasonic-Matsushita ou Sony, doivent de maintenir leur compétitivité. Mieux: depuis son accession au pouvoir, en septembre 2007, la plus grande réussite du premier ministre Fukuda a été, en mai dernier, la visite à Tokyo du président chinois, Hu Jintao. La distance, le coût et l'arsenal policier ont découragé les altermondialistes Seuls quelques milliers de contestataires ont fait le déplacement jusqu'au Japon. Point général sur le mouvement. Longtemps, les alter se sont appelés anti. Le mouvement, certifiant qu'"un autre monde est possible" s'est constitué en réaction: à la globalisation, au capitalisme, au partage injuste des ressources. Le G8, dès lors, club très fermé des riches de la planète, est la vitrine traditionnelle de la contestation, le thermomètre permettant de jauger l'état des forces. Au Japon, les altermondialistes n'ont pas semblé très présents. La marche de samedi a rassemblé 5000 manifestants, contre près de 100000 l'année passée à Rostock. Militants refoulés "Evidemment, ces sommets se tiennent dans des endroits toujours plus chers et reculés, sans compter l'intimidation policière, regrette Susan George, fondatrice d'Attac. Cela n'attire pas les foules.J'ai fait un discours dans un parc; il n'y avait que 200 personnes, y compris les flics en civil! J'ai par ailleurs été suivie durant une journée entière." Parqués à Sapporo, à des dizaines de kilomètres de Toyako, les militants anti-G8 semblent invisibles. "Il n'y a aucune interaction possible entre eux et nous, qu'elle soit politique, ou violente", note un observateur du sommet "officiel". Ikhwan, membre indonésien de l'organisation paysanne Via Campesina, déplore, depuis Sapporo, cette mise à l'écart de la société civile: "Il est difficile d'être visible et de faire passer nos idées si l'on nous empêche de nous exprimer. La délégation sud-coréenne n'a même pas pu arriver jusqu'ici. Elle a été bloquée à l'entrée du territoire japonais!" Badrul, comparse bangladeshi, est moins défaitiste: "Ils ne peuvent plus tenir un G8 sans qu'il n'y ait de protestation, ça, c'est une victoire!" Beaucoup, cependant, évoquent un essoufflement général de l'altermondialisme. Loin de l'euphorie du premier Forum social de Porto Alegre, où tout semblait encore possible. "Ces rassemblements deviennent aussi des sortes de grand-messes, dont les résultats se font attendre", constate Philippe Ryfman, spécialiste de la coopération internationale et des ONG. A l'intérieur même du mouvement, certains en appellent à une action franche. En 2004, Bombay avait accueilli deux rassemblements parallèles: le Forum social mondial et Mumbai Resistance, beaucoup plus radical. "L'idée de ces réunions n'est pas de lancer des actions mais plutôt de créer des réseaux et de faire passer des idées", tempère Susan George. Et tandis que des voix s'élèvent pour dénoncer la mainmise franco-brésilienne ou occidentale sur les ralliements mondiaux, d'autres regrettent l'absence - volontaire - de leadership, responsable de l'inertie de groupe. Agenda politique La multiplication des rendez-vous limite aussi leur résonance. Cette année, pendant que des militants venus des quatre coins du monde ont défilé à Sapporo, les Africains, eux, se sont retrouvés à Katibougou, au Mali, pour leur "sommet des pauvres", également présenté comme un contrepoint au G8. Selon certains observateurs, si les altermondialistes sont moins présents, c'est aussi parce que plusieurs de leurs revendications phares ont été reprises par les dirigeants du monde. Le climat, ainsi, était le thème général du sommet de Toyako. Et quelques pays du Sud ont été associés aux discussions. "C'est très bien que tous ces gens aient débattu de la question du réchauffement, mais nous craignons les effets de parole sans passage à l'action, alerte Philippe Lansac, directeur de la communication de Greenpeace France. Pour preuve, la promesse de réduire les émissions de gaz à effet de serre de moitié, sans donner la date de référence! Le consensus est clair sur la nécessité de faire quelque chose, mais de là à prendre des engagements concrets." "La lutte continue!" conclut Badrul. Hiba Sérine A.K