La justice turque a inculpé 86 personnes de complot visant à renverser le gouvernement, que les militants laïques accusent d'acheminer le pays vers un régime islamique par des moyens détournés. Certains adversaires du gouvernement, qui nie tout dessein islamiste secret, voient dans l'affaire contestée du complot une riposte à des procédures judiciaires qui pourraient se traduire par l'interdiction du parti AKP au pouvoir et la mise à l'écart du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan et du président Abdullah Gül. Le procureur en chef d'Istanbul, Aykut Cengiz Engin, a remis le dossier d'inculpation lundi à un tribunal après des mois de conjectures sur cette affaire. "L'acte d'accusation couvre des crimes tels que formation de groupe terroriste armé (...) et tentative de renverser le gouvernement par la force", a dit Engin lors d'une conférence de presse dans le jardin d'un tribunal d'Istanbul. Ces 50 dernières années, des coups de force militaires ont renversé quatre gouvernements élus en Turquie, pays à majorité musulmane mais officiellement laïque aspirant à entrer dans l'Union européenne. L'acte d'accusation vise le groupe ultra-nationaliste Ergenekon, auquel les médias se sont intéressés il y a un an après la découverte d'une cache d'explosifs à Istanbul. Ce document de 2.500 pages désigne 86 accusés dont 48 sont en détention préventive. Parmi eux figurent le dirigeant d'un petit parti nationaliste, le rédacteur en chef d'un journal nationaliste et des officiers militaires en retraite. On ignore quelles charges sont retenues contre les accusés pris individuellement. Certains sont aussi inculpés d'incitation à l'insurrection armée, d'assistance à un groupe terroriste et de détention d'explosifs. Vural Ergul, avocat d'un suspect, a mis en cause l'enquête sur cette affaire après le dépôt de l'acte d'accusation, rapporte l'agence anatolienne de presse. "Ce qui devrait faire l'objet d'un examen, c'est la façon dont sont piétinés les droits des suspects, dont leur sécurité personnelle est compromise et dont le principe du droit démocratique est réduit en miettes dans l'enquête", a dit Ergul. La semaine dernière, deux généraux en retraite, des hommes d'affaires et des journalistes sont venus s'ajouter à la liste des personnes mises en détention pour implication présumée dans le complot. Tous les suspects ont tenu des propos critiques au sujet du parti AKP, issu de la mouvance islamiste. Les dernières personnes arrêtées font l'objet d'un acte d'accusation distinct en cours d'établissement. Des procureurs militaires ont sollicité les dossiers judiciaires concernant les généraux en retraite, a rapporté la chaîne NTV. Le bruit court que des tribunaux militaires pourraient aussi enquêter sur les faits incriminés. La puissante armée turque nie tout lien avec Ergenekon. L'AKP, considéré avec la plus grande méfiance par une armée qui se pose en garante de l'ordre laïque, dément avoir exercé la moindre pression pour peser sur l'enquête, selon Anatolia. D'après des médias, Ergenekon est accusé d'une série de complots visant à renverser Erdogan, élu avec une forte majorité en 2002, par le biais de désordres civils qui obligeraient l'armée à intervenir. Engin a dit que des restrictions légales interdisaient de fournir plus de précisions sur l'affaire. Une cour d'assises d'Istanbul doit faire savoir si elle juge l'acte d'accusation recevable ou non. Dans le cadre d'autres procédures, l'AKP (Parti de la justice et du développement) pourrait être frappé d'interdiction pour activités antilaïques, tandis qu'Erdogan et Gül risquent d'être écartés de la vie politique. Osman Can, rapporteur de la Cour constitutionnelle, remettra mercredi son rapport sur l'interdiction éventuelle de l'AKP, rapporte le journal Hurriyet. Un verdict est attendu début août.