Après plusieurs années de croissance débridée, les prix des logements ne cessent de reculer aux Etats-Unis depuis un an et demi, selon le très suivi indice S&P/Case-Shiller. En mai, les prix ont ainsi accusé une baisse record de près de 16% en glissement annuel. Une baisse qui reste toutefois insuffisante, selon la majorité des analystes, pour relancer le secteur. "Il est probable que les prix de l'immobilier vont commencer à se stabiliser ou à toucher le fond dans la première moitié de 2009", a affirmé jeudi l'ancien président de la Réserve fédérale (Fed) Alan Greenspan. Mais "les prix pourraient continuer à descendre pendant toute l'année 2009 et au-delà", a-t-il mis en garde. Le secrétaire au Trésor Henry Paulson répète régulièrement que l'immobilier est aujourd'hui le plus gros danger pour l'économie américaine. Fin juillet, il avertissait que les saisies risquaient de rester "considérablement élevées cette année et l'an prochain", et que les prix allaient "continuer à baisser au niveau national". Plusieurs facteurs entrent en jeu. D'abord, les prix dans leur ensemble sont encore loin de leurs niveaux d'avant la bulle, soulignent les analystes du Groupe financier Banque TD dans une étude récente. On est aujourd'hui à peu près aux niveaux de la mi-2004, et depuis 2002, l'indice Case/Shiller révèle encore une hausse nominale de 34% du prix des logements. "La correction n'est pas terminée" et les prix devront vraisemblablement continuer à baisser, "avec des pertes massives dans les villes comme Los Angeles, Miami ou Las Vegas qui avaient connu les hausses les plus fortes", avertissent-ils. Ensuite, le volume des stocks est tellement élevé (11 mois environ dans l'ancien, 10 pour le neuf) qu'il faudra que les vendeurs abaissent encore leurs prétentions pour permettre un retour à la normale, généralement estimé autour de 5 mois de stocks par les analystes. Dans ce contexte "la part croissante des logements saisis dans le total des ventes n'augure rien de bon pour les prix de l'immobilier", note Ethan Harris de Lehman Brothers, qui table sur une baisse des prix de 25 à 30% au cours de la phase de correction du cycle, qui s'achèvera selon lui fin 2009. En effet, les propriétaires de logements saisis sont souvent des banques, qui détiennent aujourd'hui un sixième des biens sur le marché, selon le cabinet RealtyTrac. Or les banques n'hésitent pas à sacrifier ces biens qui plombent leur portefeuille. Le Wall Street Journal donnait cette semaine l'exemple d'une maison à Corona, en Californie, revendue 198.000 dollars par une filiale de Credit Suisse alors qu'elle cotait 450.000 dollars en décembre 2006. Autre facteur pesant sur les prix: il est de plus en plus difficile d'obtenir un prêt de sa banque, et pas seulement pour les ménages "à risque". Au deuxième trimestre, 75% des banques américaines ont durci les conditions pour les prêts hypothécaires classiques (ceux concernant les emprunteurs au profil financier sans problème), révèle un récent rapport de la Fed. Enfin, les conditions économiques très dégradées --hausse du chômage, baisse du pouvoir d'achat, turbulences financières-- n'incitent pas à l'optimisme. "La lumière au bout du tunnel est faible et encore lointaine. De plus, il y a clairement des risques de détérioration, le principal étant que les marchés financiers s'écroulent de nouveau", estime Celia Chen de Moody's economy.com. "L'année 2009 sera bien entamée lorsque le marché aura épongé tous les excès du boom immobilier", ajoute-t-elle. L'immobilier européen lui aussi menacé Le durcissement des conditions de crédit, le relèvement des taux d'intérêt et le ralentissement de la croissance ont rattrapé l'immobilier européen qui est à son tour menacé d'une crise sévère et durable. "Le contexte est très nocif. La crise risque d'être aussi grave qu'aux Etats-Unis, l'Allemagne faisant exception", estime Véronique Riches-Flores, économiste de la banque française Société Générale. En effet, rappelle l'agence de notation financière Standard and Poor's, "dans la majorité des pays européens, les marchés du logement ont vécu un spectaculaire boom ces huit dernières années, d'ampleur comparable à celui des Etats-Unis". L'Espagne, la Grande-Bretagne et l'Irlande sont les plus exposés car le marché immobilier y partage beaucoup de traits communs avec celui des Etats-Unis: une bulle des prix (jusqu'à 146% de hausse en Espagne depuis 2000), un endettement très élevé des ménages (120% du produit intérieur brut au Royaume-Uni, 110% en Espagne) et un système de prêts à taux variable qui alourdit la charge de la dette quand les taux remontent. La consommation, qui avait été soutenue par la pratique du refinancement des emprunts immobiliers (avantageuse quand les prix montent) est maintenant fragilisée. Résultat: SP présage une "correction majeure" au Royaume-Uni, une crise "longue et douloureuse" en Espagne, et un effondrement de la construction en Irlande. "Les prix devraient perdre jusqu'à 30% par rapport à leur sommet dans les 18 prochains mois" dans ces pays, pronostique Véronique Riches-Flores. Ils ont déjà cédé 8% depuis un an outre-Manche et devraient encore lâcher 17% d'ici mai 2009, estime SP. En Espagne, les prix ont amorcé leur déclin ces derniers mois, et les ventes de logements urbains ont plongé de 34,3% par rapport à l'année dernière. Dans ce pays, l'envolée des prix s'est doublée d'un boom de la construction. L'impact du retournement immobilier sur l'économie en est d'autant plus violent. En Italie, où 82% des citoyens sont propriétaires de leur logement, le taux d'endettement reste très faible, mais la conjoncture est particulièrement mauvaise, avec une croissance nulle attendue cette année. D'après la chaîne d'agences Tecnocasa, les prix et les ventes de logements ont commencé à marquer le pas il y a un an après neuf années de hausse. La tendance devrait s'accélérer cette année: le centre d'étude Nomisma table sur une chute de 10% tant des ventes de logements que des prix. Le nord de l'Europe est très vulnérable: les taux d'endettement y sont "proches de ce qu'on a dans les pays les plus exposés et les indicateurs conjoncturels ne sont pas bons", souligne Véronique Riches-Flores. En Suède, où les prix ont pris plus de 80% depuis le début des années 2000, une baisse "de 10 à 20% est envisageable", juge Cecilia Hermansson, analyste de la banque Swedbank. En France, où les prix ont également flambé, la pratique très majoritaire des taux fixe protège les ménages face à la hausse des taux. Ils sont en outre moins endettés qu'en Grande-Bretagne ou en Espagne.Mais pour les acquéreurs, les crédits deviennent plus difficiles à obtenir (11% de crédit en moins au premier semestre par rapport à 2007). Standard and Poor's anticipe en France une "stabilisation ou un déclin modeste" des prix mais l'économiste de la Société Générale prévoit des baisses de prix allant jusqu'à 25% en province et 10% à Paris. Seule exception: l'Allemagne, qui n'a pas connu de bulle immobilière et sort même de plusieurs années de marasme, ce qui la met à l'abri d'une chute de prix.