Arrivé au pouvoir par un coup d'Etat militaire en 1999, le président pakistanais Pervez Musharraf a choisi de démissionner plutôt que d'affronter une procédure de destitution lancée par le gouvernement de coalition issu des élections de février. L'homme, qui selon ses détracteurs se croyait irremplaçable, a fini par jeter l'éponge. Depuis un an et demi, sa popularité s'était effondrée, l'opinion publique lui reprochant ses postures d'autocrate. Un long bras de fer avec les juges de la Cour suprême, la proclamation de l'état d'urgence en novembre dernier et l'assassinat de l'ex-Premier ministre Benazir Bhutto le mois suivant, peu après son retour d'exil, ont précipité les choses. Musharraf avait dû renoncer à conserver la tête de l'armée pour être réélu président fin 2007. En février dernier, l'opposition emmenée par le veuf de Bhutto et par Nawaz Sharif, que Musharraf avait renversé il y a neuf ans, a remporté les élections législatives. Le nouveau gouvernement hostile au chef de l'Etat avait annoncé la semaine dernière son intention de lancer contre lui une procédure de destitution, notamment pour violation de la Constitution. Pourtant, jusqu'au début 2007, Musharraf ne redoutait guère que les extrémistes islamistes qui avaient attenté à ses jours à trois reprises depuis son arrivée au pouvoir. Le président, qui jouissait de l'indispensable soutien de l'appareil militaire, pouvait également compter sur celui des Etats-Unis, déterminés à en faire un allié de choix en première ligne de la "guerre contre le terrorisme" entamée après les attentats du 11-Septembre. Après avoir privé l'opposition de ses ténors et lâché ses anciens protégés taliban, Musharraf s'était, qui plus est, attiré les bonnes grâces des milieux d'affaires en relançant une économie quasi moribonde. Mais depuis, rien n'allait plus. Tout a commencé en mars 2007, lorsque Musharraf s'est aliéné un appareil judiciaire auparavant docile en destituant le président de la Cour suprême Iftikhar Chaudhry. Juges et avocats ont alors pris le tête d'un mouvement de contestation qui n'a cessé d'enfler, suscitant des craintes non dissimulées à Washington, où le sort du Pakistan et de son arsenal nucléaire est suivi de près.Le président avait subi en juillet 2007 un premier camouflet avec le rétablissement du juge Chaudhry dans ses fonctions. Cette défaite n'avait pas manqué de galvaniser ses principaux opposants, Benazir Bhutto et Nawaz Sharif, alors tous deux en exil. Lorsque Sharif, déterminé à régler ses comptes avec Musharraf, s'est risqué à tenter un premier retour dans son pays, en septembre, le président l'avait aussitôt renvoyé à son exil saoudien. La deuxième tentative, cette fois avec l'aval d'Islamabad, a été la bonne, l'ancien Premier ministre pouvant finalement rentrer dans son fief de Lahore. Discrètement encouragé par les Etats-Unis et face à une cote de popularité en berne, le chef de l'Etat s'était résolu à entamer le dialogue avec Benazir Bhutto en vue d'une possible cohabitation. Amnistiée par Musharraf, la dirigeante du Parti du peuple pakistanais (PPP) était rentrée d'exil le 18 octobre dernier. Le jour même, un attentat suicide faisait 139 morts parmi ses partisans. Le 27 décembre, Benazir, "l'unique", était assassinée et des rumeurs mettant en cause les services secrets circulaient aussitôt. L'insécurité s'était considérablement accrue dans le pays depuis le 10 juillet 2007, date à laquelle les forces de l'ordre ont donné l'assaut à la Mosquée rouge d'Islamabad, dans laquelle plusieurs centaines d'extrémistes islamistes étaient retranchés. Le même mois, un cessez-le-feu très controversé conclu avec des activistes proches des taliban au Nord-Waziristan volait en éclat. La flambée de violence qui a suivi s'est soldée par la mort de plus de 800 personnes en quatre mois. Elle a en outre justifié l'état d'urgence, décrété le 3 novembre par Musharraf, et la suspension de la Constitution. Nombreux sont ceux qui y ont vu un prétexte pour empêcher la Cour suprême d'invalider la réélection de Musharraf, le 6 octobre, alors qu'il était encore aux commandes de l'armée, deux fonctions incompatibles au regard de la loi fondamentale.Pour justifier son maintien à la tête de l'état-major, le président avait toujours invoqué la lutte contre le terrorisme et le maintien de la paix avec le voisin indien. Mais il avait dû se soumettre pour, redevenu civil, conserver la présidence. Né à Delhi en août 1943, d'un père diplomate et d'une mère enseignante, Musharraf était âgé de quatre ans au moment de la partition de l'Inde. Comme des millions de musulmans, il a alors pris le chemin jonché de cadavres du "Pays des purs". Comme Ali Jinnah, père fondateur du Pakistan, ses parents sont des adeptes d'un islam tolérant et progressiste. Comme lui, Musharraf s'autorise parfois un verre et ne dédaigne pas la compagnie des chiens, au risque de s'attirer davantage les foudres rigoristes. Engagé dans l'armée en 1964, il obtient sa première décoration l'année suivante pour acte de bravoure durant l'un des trois conflits armés qui ont opposé l'Inde au Pakistan. Son passage dans les commandos lui enseigne la maîtrise de la peur. Il gravit les échelons de la hiérarchie militaire, pour arriver en 1995 au grade de général. Octobre 1998 le voit promu au poste de chef d'état-major de l'armée de terre et sa marche vers le pouvoir débute un an plus tard à bord d'un vol régulier en provenance du Sri-Lanka. Le Premier ministre Nawaz Sharif qui, après avoir limogé le chef de l'armée, craignait un coup d'Etat, interdit à l'appareil de se poser à Karachi.