Si les Bourses mondiales ont globalement rebondi cette semaine, la crise financière gangrène un peu plus l'économie réelle et les appels se multiplient en faveur d'un nouveau "Bretton Woods", dont le principe sera abordé samedi à Camp David entre Europe et Etats-Unis. Dans la résidence présidentielle de Camp David, dans le Maryland, le président français Nicolas Sarkozy, président en exercice de l'Union européenne, et le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, tenteront samedi après-midi de convaincre George W. Bush de la nécessité d'une réforme profonde du système financier international, à l'image de ce qui avait été décidé à Bretton Woods en 1944. Mais la tâche devrait être difficile, même si M. Sarkozy a déclaré vendredi au Québec avoir "l'impression" que "le principe est acquis" d'un tel sommet avant la fin de l'année. Selon la porte-parole de M. Bush, Dana Perino, vendredi, "trouver une date" pour ce sommet est actuellement "le moindre de nos soucis". Et le président Bush lui même a semblé écarter l'idée d'un sommet avant la fin 2008 en déclarant que la modernisation de la réglementation financière devait être une des "toutes premières priorités" de son successeur. Pour M. Sarkozy, un tel sommet devrait réunir les pays du G8, élargi au G5, c'est-à-dire les cinq pays émergents que sont la Chine, l'Inde, le Brésil, le Mexique et l'Afrique du Sud, ainsi qu'à "un pays arabe", sans quoi, selon lui, un tel sommet serait "étrange". En attendant, la Commission européenne a annoncé vendredi qu'elle allait faire des propositions d'ici la fin de l'année pour réduire les risques du marché des crédits dérivés, à l'origine de la crise financière. Un marché dont le volume mondial dépasse les 600.000 milliards de dollars par an. Cette réunion de Camp David intervient après une semaine de yo-yo sur des marchés financiers totalement "maniaco-dépressifs", selon les termes du prix Nobel d'économie 2008 Paul Krugman. Pour Eric Galiègue, directeur du cabinet d'analyse Valquant, cette volatilité "sans précédent" des Bourses est notamment le fait des fonds spéculatifs, avec leurs actifs évalués à 1.800 milliards de dollars. "Une partie de cette industrie est en train de mourir, peut-être la moitié, et ils liquident leurs actifs en catastrophe, dans une peur animale". Malgré ce phénomène de montagnes russes, les principales places boursières ont progressé sur la semaine, le Dow Jones à Wall Street clôturant sur un rebond hebdomadaire de 4,74%. En Europe, Paris a regagné 4,83% cette semaine, Londres 3,33% et Francfort 5,22%, alors qu'en Asie Tokyo a rebondi de 5,04%. A l'inverse, la Bourse de Shanghai a perdu 3,49% cette semaine et Bombay 5,24%, passant sous la barre des 10.000 points pour la première fois en plus de deux ans. Du côté de l'économie réelle, la récession provoquée dans les pays riches par la crise financière "durera plus d'un an, entre un an et un an et demi", a affirmé vendredi le chef du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), Kemal Dervis. De fait, les mauvais indices économiques se multiplient. Le marché américain du logement a poursuivi sa descente aux enfers avec des mises en chantier tombées en septembre à un plus bas depuis plus de 17 ans. L'indice de confiance des consommateurs américains a encore perdu 13 points en octobre. Et les analystes prévoient une dégringolade du marché automobile en 2008, avec un plongeon de 30% des ventes sur un an, à un plus bas depuis la récession du début des années 1980. Les Etats-Unis envisagent d'ailleurs un plan de relance économique qui pourrait être adopté avant même l'entrée en fonction du prochain président en janvier. La présidente de la Chambre des représentants, la démocrate Nancy Pelosi, a ainsi demandé au Congrès de se réunir juste après la présidentielle du 4 novembre pour étudier un plan pour "reconstruire l'Amérique", d'un montant de 150 milliards de dollars. Cette idée est soutenue par Paul Krugman et par le directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn. En Europe, l'Irlande est déjà en récession et l'Italie pourrait la rejoindre, avec une baisse du PIB de 0,2% attendue pour 2008 par le patronat local. Quant à l'Allemagne, elle compte au mieux sur une croissance de 0,2% désormais en 2009. D'autres pays viennent même à manquer de capitaux. L'Ukraine négociait vendredi un prêt de 14 milliards de dollars auprès du FMI. La Hongrie a été placée sous assistance respiratoire par la Banque centrale européenne avec un prêt de 5 milliards d'euros, le chef de la Banque centrale hongroise admettant au passage "la vulnérabilité considérable" de son pays. Quant à l'Islande, elle décidera d'ici une semaine si elle sollicite ou non une aide du FMI, ce qui serait une première pour un pays occidental depuis 1976. La Russie, elle, voit les capitaux spéculatifs la fuir. Selon un haut fonctionnaire, 33 milliards de dollars ont déserté le pays en août et septembre. En Asie, la Corée du Sud prévoit d'injecter 30 milliards de dollars supplémentaires pour aider les banques et la devise nationale, le won, à faire face à la crise financière, selon la presse locale samedi. De son côté le secrétaire général de la Francophonie Abdou Diouf a rappelé que "les plus défavorisés, comme toujours, paieront le plus lourd tribut" à cette crise. Déjà, avec la flambée des prix alimentaires et énergétiques en 2008, le nombre des personnes souffrant de la faim a augmenté de 75 millions dans le monde par rapport à 2005, à près de un milliard. Autre signe des difficultés économiques actuelles, la baisse des cours du pétrole, divisés par deux depuis l'été à environ 70 dollars. Une chute qui a poussé l'OPEP à avancer de trois semaines, au 24 octobre, sa prochaine réunion, lors de laquelle elle pourrait baisser sa production d'environ un million de barils par jour.La crise fait aussi des heureux. Ainsi, le milliardaire américain Warren Buffett multiplie actuellement les coups boursiers: "A court terme, les mauvaises nouvelles (économiques) sont les meilleures amies de l'investisseur. Elles vous permettent d'acheter au rabais", expliquait-il vendredi. De même, tout le monde ne fait pas grise mine à la City de Londres. Les primes versées aux employés du secteur financier au Royaume-Uni ont plus que doublé en sept ans, culminant à 16 milliards de livres cette année, selon des chiffres dévoilés vendredi.