Fermé aux visiteurs depuis 1958, le "Chemin des touristes" des gorges du Rhumel à Constantine est un site fabuleux qui risque, par bonheur, de revivre après un demi-siècle de dégradations et d'oubli. Les plus anciens des Constantinois, surtout ceux qui ont eu la chance de parcourir un jour ce sentier, tout comme les plus jeunes d'ailleurs, se félicitent en effet d'apprendre que sa réhabilitation est de nouveau à l'ordre du jour dans le cadre des grands aménagements en cours dans la ville du vieux Rocher. Il y a cinquante ans et plus, il était courant de lire dans les revues spécialisées, les dépliants touristiques ou autres supports publicitaires, des arguments tels que celui-ci, lu dans "La revue du Touring-club de France" datée d'avril 1945 : "La visite des gorges du Rhumel est, pour les touristes qui ne craignent ni la marche ni l'escalade, un émerveillement continu". C'était en effet, une curiosité et une attraction extraordinaire que de visiter ces gorges immenses, en abordant le site par le lit de l'oued Rhumel, au fond du "Rimis", comme disent les Constantinois pour désigner le précipice qui enserre, en fer à cheval, la vieille ville sur 2,5 km. Le mot "Rimis" tient son origine, dit-on, de la déformation de "Frédéric Rémès", le nom de l'ingénieur des Ponts et chaussées qui a conçu et réalisé, entre 1843 et 1895, le "Chemin des touristes", un sentier accroché à la paroi de l'imposante muraille rocheuse de 30 à 50 m au-dessus du lit de l'oued, et jusqu'à plus de 100 m en-dessous du bord du précipice. Large de 1,5 m à peine, il longe la rive droite du Rhumel, taillé sur la corniche ou porté en encorbellements.L'abandon de ce chemin, fermé à la suite des crues exceptionnelles qui avaient endommagé, en 1958, la piscine César, l'une des haltes les plus prisées jadis par les promeneurs, a été malheureusement suivie d'atteintes graves et continuelles à l'intégrité du site enchanteur. Ce dernier a fini par être défiguré, souillé aujourd'hui par les amas de détritus déversés quotidiennement dans ses espaces verts et ses jardins suspendus, autrefois bien entretenus par la commune, mais qui cèdent maintenant la place aux mauvaises herbes et autres immondices.Il serait vain, en tout cas, selon Mahmoud B., un vieux Constantinois, de restaurer ce parcours encore intact par endroits, "sans impliquer les riverains dans la protection du site, sans reprendre le jardin d'horticulture dont il reste encore les banquettes et sans débroussailler le jardin de Souss, entre le pont d'El Kantara et le pont suspendu de Sidi M'cid".De plus, privé depuis fort longtemps du "chemin des touristes", les gorges du Rhumel ont été dépréciés à outrance par l'éclatement de plusieurs collecteurs d'eaux usées, notamment le collecteur principal d'El Kantara, à hauteur de la gare et de la statue de l'empereur Constantin, où les infiltrations ont fini par emporter une grande partie d'un magnifique ouvrage d'art en maçonnerie.Effacer les séquelles dévastatrices d'une période ingrate Sur ce dernier site, vestige du forum de la ville Romaine, la réalisation en 1994 d'une bretelle sur la voie ferrée s'est accompagnée de la dégradation de la promenade supérieure du Rhumel et des espaces verts situés en prolongement du club de boulisme.Déjà en 1964, le site touristique des gorges du Rhumel a été appauvri par le pillage et les actes de vandalisme en tous genres, à l'origine de l'arrêt de l'ascenseur du boulevard de l'abîme qu'empruntaient visiteurs et touristes, pour accéder au fond des gorges, en parcourant en une minute, les 180 m du puits taillé dans la roche.En 2004, les autorités locales ont annoncé le lancement d'une étude pour la revalorisation du site des gorges du Rhumel et la réhabilitation du "chemin des touristes", un projet dont le coût est estimé officiellement à quelque 80 millions DA.Mais pour les responsables des travaux publics, il y a lieu de parachever au préalable, le curage du lit de l'oued Rhumel.En dépit de longues décennies d'une régression déprimante, les Constantinois attachés à leur ville placent de grands espoirs dans ces projets que devront couronner les chantiers déjà annoncés par la réalisation du téléphérique, le lancement prochain du chantier du viaduc géant trans-Rhumel ou encore la rénovation tant décriée du quartier du Bardo. Reprendre le dessus sur le mauvais sort né d'une époque ingrate, est, pour ces mêmes Constantinois, plus important que le lancement de chantiers ambitieux et coûteux. Cela permettra, soupire le vieux Mahmoud, de bannir l'indifférence imposée aux citadins qui ont trop longtemps supporté la dégradation injustifiée du patrimoine local, à l'image du mausolée de Sidi Brahim Benmaiza, démoli par les techniciens de la commune à la suite d'un incendie survenu en 1984 dans un immeuble mitoyen. Il ne fait pas de doute que la réhabilitation des gorges du Rhumel dans leur environnement citadin, suppose également le rétablissement et la valorisation de ses innombrables légendes et vestiges historiques qui constituent le pendant immatériel de ce patrimoine inestimable, "muse" d'innombrables écrivains de renom depuis des siècles.