Les éditions Sédia viennent de publier "Nulle part dans la maison de mon père", un colossal roman signé l'académicienne, Assia Djebbar deux fois nobélisable. Le roman qui est un véritable pavé construit sur un magma de souvenirs et d'odeurs d'enfance est sorti chez Fayard en 2007. Sédia l'a édité récemment dans sa collection mosaïque consacrée aux auteurs algériens vivant à l'étranger. Sous les yeux d'une enfant, la mémoire du cœur de Assia Djebbar nous restitue dans cet ouvrage ses premiers amours liés à la découverte de la lecture, cette passion des mots qui la poursuivra durant toute sa vie. Pas seulement, car la narratrice nous fait découvrir à travers son texte une certaine ambiance de l'Algérie des années 60, peuplée de femmes en hayek dont sa mère qu'elle admire dans cet apparat aussi élégant qu'expressif. Expressif d'une appartenance à une culture et à une sorte de réclusion intérieure. On le sait, le combat de Assia Djebbar s'est toujours situé de ce côté là, du côté de l'épanouissement des femmes auxquelles elle a consacré d'ailleurs de nombreux ouvrages et documents cinématographiques dont son fameux, "La nouba des femmes du Mont Chenoua." "Nulle part dans la maison de mon père" apparaît dès l'incipit comme étant une autobiographie, un retour vers les récits qui ont jalonné l'histoire personnelle de l'écrivaine depuis sa tendre enfance et ses découvertes graduelles d'un monde adulte, d'une culture et des rites de fêtes dans lesquelles la femme occupe une place prépondérante. Mais Assia Djebbar refuse de situer son roman dans la catégorie de livres autobiographiques dans le sens où elle avoue que " Ce livre n'est pas une autobiographie, parce que pour moi une autobiographie est une accumulation de multiples notations sur le passé à partir desquelles l'écrivain peut relater ce que fut sa vie. Pour ma part, j'ai tiré de mon enfance et de mon adolescence uniquement les éléments qui me permettent de comprendre le sens de cette pulsion de mort qui a fondé ma vie d'adulte. Il s'agit plutôt d'une auto-analyse. " A propos du sens justement qu'elle donne à l'écriture, Assia Djebbar dit que quand " J'écris , j'écris toujours comme si j'allais mourir demain. Et chaque fois que j'ai fini, je me demande si c'est vraiment ce qu'on attendait de moi, puisque les meurtres continuent. Je me demande à quoi çà sert. Sinon à serrer les dents et à ne pas pleurer". On l'aura compris, l'écriture est pour elle le lieu sacré des résistances, du triomphe de la vie contre la mort, de la postérité au sens existentielle du terme. Dans ce nouveau texte, l'auteur réinterroge l'histoire de l'Algérie ainsi que sa propre histoire qui comme l'écrit si bien Simone de Beauvoir dans la " Force des chose" : "une anecdote pourrait parfois raconter toute une époque. " Elle raconte aussi le combat des femmes et plus largement l'histoire des femmes de l'Islam, des sujets qui ont toujours été au centre de son œuvre que domine la conscience d'être entre-deux - entre deux pays, entre histoire ancienne et modernité, mais surtout entre plusieurs langues. On a souvent parlé à propos de l'écriture d'Assia Djebbar d'une écriture nomade, d'un aller-retour entre un passé lointain, des villes et des contrées que sa mémoire restitue comme le ferait un Proust dans "A la recherche du temps perdu" afin de retrouver un temps réel, celui d'un passé que seule la mémoire ramasse, retrouve. Son combat est aussi celui de la liberté, de l'indépendance comme elle l'exprime si bien à travers ces propos : "Voilà ce qui s'était passé. Mon fiancé m'avait humiliée. Il avait tenu des propos déplacés, insultants. Je n'étais pas habituée à recevoir des ordres, ni de mon père ni de quiconque. C'est pourquoi j'ai vécu l'attitude tyrannique de mon fiancé comme une agression. J'ai alors couru comme une folle à travers les rues d'Alger. Je voulais m'anéantir là où la mer rencontre le ciel… " A plus de 70 ans, Assia Djebbar nous offre dans ce livre un vrai voyage dans la Cité toujours vivante d'une mémoire où se mêle le désir de vivre et d'être l'héritière d'une culture double, culture qu'elle assume pleinement à travers le terreau riche de l'écriture. Meriem Mokarani