Trépassé il y a à peine sept ans dans l'Ile de la réunion où il s'était exilé, la vie de Cheikh El Hasnaoui, un monument de la chanson chaâbie nous parait aujourd'hui aussi discrète que casanière. L'on ne sait si le colloque scientifique qui lui sera consacré à la maison de la culture de Tizi- Ouzou du 11 au 15 mai prochain éclairera davantage sur le parcours atypique d'un homme qui a accédé à la postérité malgré le temps et la distance qui le sépara de ses concitoyens. Vivant semble t-il en vase clos dans l'Ile de la réunion, beaucoup de chercheurs et musicologues n'ont à ce jour pu élucider le mythe qui entoure ce personnage et se rapportant à une lointaine histoire d'amour qu'aurait vécue l'homme dans sa terre natale d'Ihasnaouène en grande kabylie. Un amour contrarié pour sa cousine Fadhma, à qui il consacra plusieurs titres, l'aurait forcé à se " déraciner " complètement de sa contrée pour d'autres plus lointaines. C'est ainsi que s'expliquera sans doute la référence omniprésente dans ses textes à la terre (tamurth), à la femme, (Fadhma, Bahia….) et à l'exil (El Ghorba). L'association culturelle Issegman de Tizi- Ouzou, initiatrice de ce rendez vous au quel participeront bien entendu de nombreux chercheurs qui ont consacré des écrits autour de l'oeuvre hasnaouienne notamment Rachid Mokhtari, annonce dores et déjà la tenue de plusieurs conférences traitant, entre autres, de la biographie de cheikh El Hasnaoui, de son parcours et de ses oeuvres artistiques. Selon les organisatrices ce colloque vise à faire redécouvrir, à étudier et à analyser "l'une des figures les moins connues et de loin la plus complexe" de la chanson populaire (chaâbi), et néanmoins chantre de l'immigration et de l'authenticité. L'œuvre de l'artiste a intéressé plusieurs universitaires dont Rachid Mokhari qui a paraphé en 2002 aux éditions Chihab, un très érudit ouvrage, " Cheikh El Hasnaui, la voix de l'errance " tandis que l'ethnomusicologue et chercheur au CNRS, Mehenna Mahfoufi avait signé l'an dernier " Cheikh El Hasnaoui chanteur algérien moraliste et libertaire ". Ce dernier livre inédit était rappelons le accompagner d'un CD contenant des extraits des entretiens que le chercheur a eus avec le chanteur, lors de ses rencontres à Saint Louis de la Réunion et des oeuvres inédites de cette figure de la chanson algérienne. Parmi les œuvres du cheikh figure une chanson intitulée Tbeddel Ezzman (les temps ont changé), enregistrée lors d'une soirée musicale que le chanteur avait animée en septembre 1965 avec un groupe de musiciens. Selon le chercheur Mehenna Mahfoufi, le texte en question est un texte par lequel " le cheikh El Hasnaoui clame sa joie de voir l'histoire des siens prendre une nouvelle tournure et les plaies de la guerre tendre vers la guérison dans cette Algérie nouvellement indépendante ". L'auteur de l'ouvrage propose également un extrait d'une émission animée par le grand musicien algérien Mohamed Iguerbouchene qui présente un chant rituel du henné interprété par El Hasnaoui. Le document date du début des années 50 et le chant est intitulé Qquengak el henné (Je t'impose le henné). Dans le sillage de ses recherches, Mehenna Mahfoufi a en outre exploré et découvert la version complète de la chanson Arwah (Viens !) avec ses huit couplets, alors que la version la plus connue n'en contenait que quatre. Cheikh El Hasnaoui, ou Mohamed Khelouati pour l'état civil, aurait choisi un nom d'emprunt qui se réfère à son village natal du Arch Ihasnaouen au sud de Tizi-Ouzou. Né en 1910 au village de Tadart Tamuqrant Cheikh El Hasnaoui fut orphelin de mère dès l'âge de 2 ans, et exilé de sa terre à 16 ans. C'est ce double déchirement qui aurait alimenté ses récits courts et nostalgiques. El Hasnaoui, le chanteur à la voix caverneuse n'est pas allé jusqu'à reproduire le modèle monocorde du chaâbi, mais s'est forgé son propre style situé entre, la ramba, la samba, et le chaâbi . " Sa voix au timbre grave qui déroute quelque peu l'auditeur, mais qui est toujours d'une justesse " , puis " une rupture avec la musique rigoureuse en incorporant des éléments qui déroutent l'auditeur habitué à la symétrie, à la redondance ennuyeuse " soutient le chercheur. Selon toujours Mehenna Mahfoufi, le cheikh aurait introduit, dès les années 30, des rythmes latino. " Entre 1951 et 1968, il a enregistré 17 chansons aux rythmes de rumba, de mambo et de samba avoue-t-il ajoutant que " son répertoire se compose de 74 titres chantés en kabyle et en arabe. " Sa dernière œuvre date de 1968 et s'intitule " Ya Noujoum Elleil ", une chanson reprise par plusieurs interprètes dont la plus connue est celle du défunt Kamel Messaoudi. Rebouh H.