La commission d'enquête sur l'intervention du Royaume-Uni en Irak devait commencer, aujourd'hui, ses premières auditions publiques. Jusqu'en février 2010, des hauts gradés de l'armée, d'anciens responsables du MI6 (les services de renseignement extérieur), des diplomates et des hauts fonctionnaires donneront tour à tour leur version des faits à son président, Sir John Chilcot. Tony Blair, l'ancien premier ministre qui avait envoyé à l'époque 45 000 soldats se battre contre l'armée de Saddam Hussein, comptera parmi les personnes interrogées. On sait aujourd'hui que Bagdad ne possédait pas ces armes de destruction massive que Downing Street avait invoquées pour justifier la participation à la guerre. Mais nombre de questions demeurent, alors que les derniers soldats britanniques ont quitté l'Irak cet été. Quel processus a amené Londres à suivre Washington dans cette guerre impopulaire en Grande-Bretagne ? Qu'en pensaient les uns et les autres au sein du gouvernement et de l'armée ? Cette intervention, qui n'avait pas l'aval des Nations unies, était-elle légale ? Quel était le degré de préparation des troupes ? Quatre rapports ont déjà été publiés sur le sujet en 2003 et 2004 - deux sont l'œuvre de parlementaires, deux ont suivi des enquêtes commandées par le gouvernement à des personnalités extérieures -, sans qu'aucun n'ait encore permis de répondre à toutes ces interrogations. Certains, redoutant sans doute que ce scénario ne se reproduise, ont procuré au Sunday Telegraph du 22 novembre des documents confidentiels du ministère de la défense (douze entretiens avec des militaires et deux rapports sur "les leçons" à tirer du conflit). Dans son édition de dimanche, l'hebdomadaire titre sur ces textes "secrets" qui "révèlent des bourdes et des dissimulations" en série. On y apprend que, "dès mars 2002, en mai au plus tard, il y avait une forte possibilité d'une intervention britannique à grande échelle [en Irak]". Pourtant, à cette époque, M. Blair affirmait l'inverse, arguant qu'il fallait négocier avec les Nations unies et que "personne ne voulait d'intervention militaire". Ce n'est qu'en décembre 2002 qu'il a rendu publique sa décision. Entre-temps, afin d'éviter les fuites, peu de gens sont mis dans la confidence. Conséquence, l'armée ne peut pas se préparer correctement à l'offensive ni le gouvernement réfléchir sérieusement à l'après-guerre. Les trois mois qui précèdent l'invasion de l'Irak, le 20 mars 2003, ne suffisent pas. Conséquence, les soldats de la Couronne partent au front mal équipés. Un haut gradé explique ainsi à son ministère que ses hommes "n'avaient chacun que cinq cartouches". Un de ses collègues raconte comment le système de radio longue fréquence britannique tombait en panne "presque tous les jours à midi, à cause de la chaleur". Il se souvient également de ce container de skis, qui accompagnait des équipements pour le désert... Les alliés anglo-américains sont parvenus à leurs fins, mais contre "une armée de troisième zone", écrit le ministère de la défense, "un ennemi plus fort nous aurait fait payer très cher nos travers". La suite des opérations semble avoir souffert du même degré d'impréparation. Il n'y a ni programme, ni finances pour la reconstruction, promise aux Irakiens. "Ce n'était pas très différent du colonialisme des années 1750, quand il n'y avait pas de véritable administration et que les militaires devaient tout faire tout seuls", juge un officier supérieur. "Nous avons raté une occasion en or" de gagner le soutien des Irakiens, conclut un autre. Lundi 23 novembre, le par le Daily Telegraph publie un autre rapport secret défense qui met en lumière une hostilité "profonde" entre les commandements militaires américain et britannique en Irak, soulignée lors d'interviews officielles menées par le ministère de la défense auprès de commandants britanniques de retour de mission après la première année de pacification en Irak, de mai 2003 à mai 2004. Selon le patron des troupes britanniques en Irak, le général de division Andrew Stewart, qui décrit ses homologues américains comme "un groupe de Martiens", "notre capacité à influencer la politique américaine en Irak est minimale". "Tout dialogue leur est étranger", ajoute-t-il. Gordon Brown, qui a succédé à M. Blair en juin 2007, a longtemps tenté d'enterrer le dossier. Deux ans après être entré à Downing Street, il a fini par céder à une opinion publique qui souhaitait mieux comprendre les raisons de la mort de 179 soldats britanniques en Irak. Mais la commission Chilcot ne remettra ses conclusions qu'à l'été 2010. Après les élections législatives, pour lesquelles l'ancien ministre des finances de M. Blair est donné perdant.