Elle ne parait nulle part. Ereintée, vieillie, la voix à peine audible, la merveilleuse Keltoum, 96 ans, sera au centre d'un hommage à la mi-mars à la cinémathèque d'Oran. Cette salle du répertoire d'Oran s'apprête à lui rendre durant sept jours un hommage à l'occasion de la journée internationale de la femme. Le public la verra alors dans plusieurs films qui seront à l'affiche lors d'une manifestation baptisée banalement "Cinéma au féminin." Keltoum, l'air tragique sera vue dans le fabuleux " Le Vent des Aurès ", de Mohamed Lakhdar Hamina, (1966Prix de la meilleure oeuvre à la 20e édition de Cannes 1967). Keltoum, l'humaine s'était surpassée dans ce film en allant comme "Mère courage " à la recherche de son rejeton enlevé par l'armée coloniale. Moins pathétique, le public la verra dans "Hassan Terro" de M.L. Hamina (1968), "Les Spoliateurs" de Lamine Merbah (1972), "Les Déracinés" (idem, 1976), "Hassan Taxi" de Slim Riad (1982) et "Hassan Niya" de Ghaouti Bendedouche (1989). Plus guindées, une autre rencontre sera animée lors d'une table ronde sur son parcours par Mohamed Cherif Ghebalou. Qui se souvient encore d'elle ? Qui, continue encore à croiser cette femme qui, très jeune, a défié tout le monde même ses parents pour se faire, faire son destin d'actrice ? On la jalouse, on la respecte, mais on lui reconnaît son talent d'actrice qu'elle avait mis au service de tant de causes. Découverte en 1935, par le patron de tout les arts de l'époque, Mahieddine Bachtarzi, Keltoum s'éclipsera de la scène contre son gré en 1981. Quand Fouzia Ait El Hadj montait sa mémorable pièce en 1987, "Mort d'un commis voyageur " elle remontait sur scène et brusquement à une semaine de la générale, on lui envoie une lettre pour lui signifier sa mise à la retraite. On peut imaginer quelle souffrance s'était tissée dans les tripes d'une comédienne qui plus elle grandit plus son talent s'affirme. Mise à la retraite d'un artiste ? Une aberration! Pour se défendre, Keltoum lancera à la figure de ceux qui lui ont barré sa route, "je n'ai vécu avec ma famille que 13 ans alors que j'ai passé 50 ans dans le théâtre." Affliction d'une femme que l'on a chassée de son milieu naturel, sous un prétexte fallacieux. Comment réparer cela ? Le cycle du cinéma Keltoum, apportera-t-il un second souffle pour cette femme au parcours si généreux ? Pas si sûr, si elle arrive à ce déplacement d'Alger à Oran, ça sera en soi un pur bonheur. Son nom d'état civil est Aicha Adjouri. Keltoum, l'humaine Elle est née le 04 avril 1916 dans la ville des roses, Blida. Toute petite, son instinct la guide vers la danse et le théâtre au point où elle se sauve de chez ses parents pour suivre les gestes d'un saltimbanque, voir des acteurs et danseurs ambulants. Mahieddine Bachtarzi qui devait renforcer son peloton au théâtre, lui ouvre les portes à un moment où il n'était pas évident d'avoir une femme dans une troupe. Elle fera ses premières découvertes, ses premiers voyages, son premier périple hors de son pays : France, Belgique. Bachtarzi est content de son choix. Elle sera applaudie à Anvers, adulée à Liège, à Bruxelles, à Paris, à Lyon, et à Marseille. A Nice, elle dansa, un soir, devant 20 000 personnes, au jardin Albert 1er. C'est au cours d'une tournée au Maroc qu'elle affirmera son talent de comédienne. Elle devait ensuite créer de nombreuses pièces, soit aux côtés de Bachtarzi, soit avec Rachid Ksentini ou Habib Réda. L'aventure de la première saison arabe de l'Opéra d'Alger eut lieu en 1947. Depuis, c'est à Keltoum que furent confiés les principaux rôles féminins, qu'il s'agisse de comédie ou de tragédie. La radiodiffusion en langue arabe la compta parmi ses pensionnaires les plus écoutés. Le cinéma ne pouvait manquer de l'attirer. Elle y fit ses débuts dans La Septième porte Svoboda. C'est au moment où elle s'apprêtait à signer de nouveaux contrats qu'un incident (à la suite d'une dépression nerveuse, Keltoum se précipita dans le vide du haut de sa villa de Bologhine et se fractura les vertèbres) vint interrompre, le 30 mai 1951, sa carrière..., mais pas pour longtemps. En 1952, elle reprit son rôle de Desdémone dans Othello, la fameuse pièce de William Shakespeare, traduite en arabe par Ahmed Toufik EI-Madani. En 1956, elle arrêta ses activités artistiques et ne reprit, qu'en 1963 avec le TNA jusqu'à sa retraite. Son vrai premier rôle, elle le joua dans la pièce de Bachtarzi, Mariage par téléphone, en compagnie de Rachid Ksentini. Elle joua tout à fait par hasard dans un film allemand, en 1945, mais sa carrière cinématographique ne commencera que vingt ans plus tard, en 1965, avec Le vent des Aurès de Mohammed Lakhdar-Hamina. Elle fit une dernière apparition aux côtés de Rouiched dans El Bouwaboun (1991). Keltoum, n'est pas seulement une actrice, elle est humaine.