Une étude réalisée par les professeurs Ali Daoudi et Betty Wampfler, de l'École nationale supérieure agronomique d' El Harrach, de l'IRC SupAgro Montpellier s'est penchée récemment sur les mécanismes de financement informel de l'agriculture en Algérie. il en ressort que le recourt à ce mode de financement n'est que le résultat de l'insuffisance de mécanismes de financement destinés à l'agriculture. Il en ressort ainsi que les réformes des systèmes financiers en Algérie n'ont pas abouti à l'émergence de marchés financiers ruraux dynamiques pouvant répondre efficacement aux besoins de toutes les catégories d'exploitations agricoles. Par ailleurs, le manque d'informations sur les détails opérationnels des exploitations, leur incapacité à fournir des garanties matérielles et l'importance des coûts de transaction seraient les principales raisons de cette exclusion. Pour la réalisation de cette étude, les chercheurs ont retenu 4wilayas pour représenter les principales zones agroécologiques du pays : Blida pour les plaines littorales, Constantine pour les hautes plaines intérieures, Djelfa pour les zones steppiques et Tlemcen pour les zones de montagne. Dans chacune de ces wilayas, un échantillon de 100 agriculteurs a été enquêté en 2002. Dans ce sens, les résultats enregistrés révèlent que les agriculteurs mobilisent quatre sources de financement pour satisfaire les besoins financiers de leur système de production. L'autofinancement en est de loin la principale. Les subventions publiques sont aléatoires, ne touchant que quelques spéculations alors que le crédit bancaire est insignifiant (0,75 % des enquêtés y ont recouru durant la campagne considérée). Le financement informel est, en revanche, fortement développé et organisé autour de quatre types de pratiques : la vente sur pied avec préfinancement, l'association de production, le crédit fournisseur et le prêt entre particuliers. Chacune de ces formes répond à un besoin spécifique et est mobilisée par un type particulier d'agriculteurs. L'offre de financement émane d'acteurs de l'environnement de l'agriculteur poursuivant des fins économiques ou sociales. Ainsi, et pour ce qui est de la vente sur pied, l'étude révèle que c'est une pratique exclusivement dédiée à l'arboriculture fruitière chez les attributaires des terres des ex-domaines publics, elle n'est rencontrée qu'à Blida, l'une des principales wilayas arboricoles du pays, où 56 % des enquêtés couvrent les charges d'acquisition des intrants agricoles grâce aux avances des commerçants collecteurs. Quant à l'association de production, la transaction permet à des individus disposant de facteurs de production différents mais complémentaires de les combiner et de les faire fructifier dans le cadre de processus de coproduction. L'association de production concerne généralement des cultures annuelles, maraîchage et céréaliculture, et s'observe également en aviculture. Près de 38 % des enquêtés des quatre wilayas y ont recouru au moins une fois durant la période 1997-2002. Pour la campagne 2001-2002, 18 %, 18 %, 14 % et 1 % des enquêtés respectivement à Blida, Tlemcen, Constantine et Djelfa, ont pratiqué l'association de production pour au moins une spéculation agricole, 43 % des contrats recensés concernant les cultures maraîchères et plus de 39 % les céréales. Pour ce qui est du crédit fournisseur d'intrants et de services agricole, l'enquête révèle que plus de 71 % des enquêtés ont bénéficié, au moins une fois, d'un crédit fournisseur durant la période 1997-2002. Ce taux varie d'une wilaya à une autre : il est de 82 % à Djelfa, de 80 % à Constantine, 72 % à Tlemcen et de près de 61 % à Blida. De leur côté, les prêts entre particuliers se font presque exclusivement en argent et ce, sans intérêt. Parmi les enquêtés, 72 % ont recouru au moins une fois à un emprunt auprès de particuliers pour financer une activité agricole productive durant la période 1997-2002. Dans environ 84 % des cas, ils en ont disposé pour une période allant de quelques semaines à quelques mois. La mobilisation de ces prêts n'est pas limitée à un type particulier de besoins et peut financer des charges courantes ou des investissements productifs. Ainsi, 11,6 % des investissements agricoles productifs réalisés durant la période 1997-2002 ont été financés grâce à des emprunts contractés chez des particuliers. Quant aux montants concernés, ils sont inférieurs ou égaux, dans plus de 72 % des cas, à 100 000 DA1. L'enquête révèle par ailleurs que dans la région de Bilda, le secteur agricole se caractérise par l'importance de la superficie irriguée qui atteint 38 % de la SAU de la wilaya et qui est surtout consacrée à l'arboriculture fruitière et dans une moindre mesure au maraîchage. Cette wilaya totalise à elle seule 27 % du verger agrumicole national avec 12 754 hectares (Recensement général de l'agriculture (RGA), 2003). Elle compte aussi les plus grands marchés de gros de fruits et légumes du pays, les commerçants étant les véritables banquiers de la filière fruits et légumes de toute la wilaya. Les pratiques de financement informel les plus fréquentes sont presque toutes liées aux principales productions déjà mentionnées. Il s'agit de la vente sur pied, de l'association de production et du crédit fournisseur. L'offre de financement émane des commerçants collecteurs livreurs des fruits et légumes, des maraîchers sans terre et des fournisseurs d'intrants agricoles. Parmi les arboriculteurs enquêtés à Blida, 56 % assurent le financement des charges d'acquisition des intrants (engrais et produits phytosanitaires) grâce aux avances des commerçants collecteurs et 37,9 % des maraîchers font appel à l'association de production. Pour Constantine, la céréaliculture, qui occupe 98 % de la SAU de la wilaya, est la spéculation structurante de l'économie agricole de la région. L'élevage qui lui est associé, assez dynamique, joue le rôle d'activité secondaire. Classée parmi les régions céréalières potentielles, Constantine a été ciblée par le programme d'intensification des céréales dont les subventions constituaient, au moment de l'enquête, une source de financement importante pour les exploitations céréalières. Par ailleurs, les fournisseurs de services agricoles contribuent significativement au financement de la céréaliculture dans la wilaya, à travers les crédits de paiement des services agricoles (location de matériel). En effet, 72 % des céréaliculteurs sans matériel de labour et qui recourent à la location, financent ce genre de services grâce au crédit de paiement. Ils sont près de 91 % de céréaliculteurs à s'orienter vers ce mode de paiement pour la location de moissonneuses-batteuses. De par l'importance du marché de la location du matériel, certains agriculteurs se sont spécialisés dans ce type de services et sont devenus de véritables entrepreneurs agricoles. L'économie agricole à Djelfa est largement dominée par l'élevage pastoral dont l'importance - 3,4 millions de têtes d'ovins - a favorisé le développement des marchés d'aliment du bétail et des services et produits vétérinaires. Poussés par la concurrence, les commerçants d'aliments et les vétérinaires jouent un grand rôle dans le financement de l'activité d'élevage. Les crédits de paiement qu'ils offrent aux éleveurs en mal de liquidité, font partie intégrante des ressources de trésorerie de ces derniers. En effet, 44 % des agriculteurs enquêtés dans la wilaya bénéficient de crédits de paiement de la part de leurs fournisseurs d'aliment du bétail et de services et produits vétérinaires. Une enquête récente (2010) auprès d'un fournisseur de services et intrants vétérinaires exerçant dans l'une des communes de la wilaya de Djelfa a confirmé l'importance de cette pratique. En effet, sur un chiffre d'affaires annuel de près de 4 millions de dinars, le vétérinaire enquêté déclare accorder à ses clients des crédits de paiement totalisant 730 000 DA par an. Dans les zones de montagne de la wilaya de Tlemcen, les potentialités agricoles sont limitées et aucune filière ne structure de manière significative l'économie agricole. Les exploitations sont plus petites et généralement très diversifiées, ne favorisant pas l'émergence d'importants marchés à l'amont ou à l'aval, dont les acteurs seraient les offreurs de financement informel. L'autofinancement est largement dominant et la contribution des acteurs de l'environnement économique et institutionnel est moins massive et systématique que dans les autres régions. L'enquête estime que le financement informel reste important dans le fonctionnement de l'agriculture algérienne.