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Un fruit mûris au soleil d'Algérie
Les Oranges de Aziz Chouaki au théâtre de Lucernaire à Paris
Publié dans Le Maghreb le 21 - 08 - 2010

Depuis le 07 avril dernier et jusqu'à aujourd'hui, la nouvelle version de "Les Oranges " de Aziz Chaouki était à l'affiche au théâtre du Lucernaire à Paris. Titre évocateur, "Les Oranges" est non seulement un récit, mais aussi un témoignage et une conversation, à travers une histoire d'oranges mûries au soleil d'Algérie. Des oranges qui coûtent cheres et pourtant ! Aziz Chouaki égrene les pages de l'histoire du pays depuis la conquête française de 1830, où il est question, tour à tour, de l'Emir Abdelkader, Isabelle Ebehardt, Albert Camus, la résistance à l'occupation, l'Indépendance et jusqu'à la violence des années 90. " Les Oranges " a été créée une première fois, en juin 1997 au Théâtre international de langue française à Paris, dans une mise en scène de l'auteur. La pièce a également été enregistrée par la Radio Suisse Romande. Le texte a été régulièrement remonté depuis. Romancier et dramaturge, son théâtre est fréquemment joué en France et à l'étranger. Cette nouvelle version a été mise en scène par Laurent Hatat avec Azeddine Benamara et Mounya Boudiaf.
Méconnu dans son pays
Aziz Chaouaki, l'écrivain algérien d'expression française dont on parle très peu a passé un long week- end (les 11, 12 et 13 juin denier à écrire). Banale comme information penserez-vous ! mais ce week-end a été particulier puisque l'auteur a été l'invité du Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis de Paris comme il est dans la tradition de cette institution, pour composer un week-end entier autour de son écriture. Aziz Chaouki a pris donc ses quartiers là-bas juste après les auteurs comme Christophpe Pellet, Jacques Rebotier, Rémi De Vos, Wajdi Mouawad et Martin Crimp. Lors de ce séjour plutôt bref et de ce week-end plutôt long, Aziz Chouaki a choisi de faire entendre dix textes inédits, en proposant à des metteurs en scène familiers de son œuvre comme Laurent Vacher, Jacques Rebotier, Michel Didym, Jean-Paul Wenzel ou David Lescot, de les mettre en voix. Parmi la dizaine de textes proposés, Le Tampon vert a été créé et publié en 2007, L'Étoile d'Alger, dont il sera possible de découvrir un extrait de 20 minutes, chorégraphié et dansé par Farid Ounchiouene avec le concours de l'auteur, et enfin Doh Juan, une commande du théâtre Nanterre-Amandiers, a été publié en 2009. Il y a six mois, cet auteur avait fait un périple artistique avec son oeuvre " Les Oranges".
Un auteur ambivalent
Né en 1951 à Alger, Aziz Chaouaki est diplômé de littérature anglaise à l'université d'Alger. Le regard que porte Aziz sur lui-même et sur son activité littéraire est révélateur et frappant par son originalité et sa profondeur. Il dit d'ailleurs : "J'écris en français, certes, histoire oblige, mais à bien tendre l'oreille, ce sont d'autres langues qui parlent en moi, elles s'échangent des saveurs, se passent des programmes télé, se fendent la poire. Il y a au moins, et surtout, le kabyle, l'arabe des rues et le français. Voisines de paliers, ces langues font tout de suite dans l'hétérogène, l'arlequin, le créole. On avait ça dans Les Oranges, ce côté patché, rhapsodie - au sens étymologique de coutures. Il y a aussi écrire le monde, le "technocosme" (comme dirait Jeff) qui moule notre perception, s'empare de ses codes. Ecrire avec et non contre les médias et les technologies.
C'est en tout cas l'enjeu majeur dans AIGLE, revendiquer l'hybride et le contemporain. Je suis un Oriental, avec tout le jasmin et la vase, mais aussi un parfait clone de la colonisation. Gosse, j'ai pleuré Blandine dans nos vieux livres jaunes à gravures; à l'école communale j'admirais Bayard, sans peur et sans reproche, parmi les fumets de chorba du ramadhan. Aujourd'hui l'histoire, le drame, l'exil. Et l'écrire toujours là, à adoucir les moeurs. " Cette confession témoigne de la sensibilité d'un auteur qui par delà les mots et les simples contours de la langue, cherche à dire le monde afin de le comprendre. Comme chaque artiste, l'homme l'intéresse et le passionne, l'écriture serait pour lui une destruction du paraître pour le triomphe de l'être. Telles sont les dimensions d'un univers esthétique qui se veut avant tout humaniste. Aziz Chouaki est aujourd'hui installé en France depuis 1991.
Un auteur prolifique
Il est l'auteur de plusieurs textes dont Argo (éd. L'unité, Alger), Baya (éd. Laphomic, Alger, 1989) ou encore Fruits de Mer (Radio Suisse Romande, 1993) écrit pour la radio. En juin 1997, Aziz Chouaki écrit et met en scène Les Oranges (TILF, La Villette). La pièce a été remontée par Laurent Vacher, en novembre 1998, et tournera dans toute la France. Le texte est paru aux éditions Mille et une Nuits en 1999. Dans sa pièce, " Une virée " (Éditions Théâtrales, Paris, 2006), l'auteur nous montre trois personnages aussi divers que complémentaires, qui vont, l'espace d'une errance d'un soir, essayer d'assembler leurs lignes de fracture. Unis dans la dérive, ils se montreront leurs fantasmes, leur Algérie. Ils vont opposer la rage de leur blues " contre celle du béton, du Discours. "En effet, dans une Algérie imaginaire, Mokhtar, Lakhdar et Rachid rêvent d'un autre monde. Ils veulent gueuler leur rage de vivre, " faire bombance ", pour échapper à la réalité qui les entoure (pauvreté, islamisme, frustration sexuelle, dictature, corruption). Ils rêvent d'être gangsters ou rockstars, évoquent des personnages, des extraits de films, des chansons qui sont autant de clichés de la culture occidentale. Le temps d'une soirée, ils vont tenter de noyer leur désespoir dans le mauvais alcool, le shit et les amphétamines, mais leur " virée " se transformera en errance spatiale et psychologique et débouchera sur le drame. La violence, le déchirement intérieur s'expriment dans une langue bariolée, métissée de français, d'arabe et d'anglais, où la syntaxe explose. Une "virée". C'est celle de ses trois garçons dans Alger, inspirée par un fait divers américain : un massacre entre copains qui se disputent à propos de Madonna. Ici il s'agit de Khaled et Cheb Mami, mais l'énergie désespérée de ces gamins sans avenir demeure tout aussi suicidaire. On y retrouve l'extravagante richesse d'un langage qui, à partir du français, du kabyle, de l'arabe, semble s'inventer à chaque mot.


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