La demande en agrocarburants du marché européen provoque un accaparement des terres dramatique en Afrique, s'alarme Swissaid. Se basant sur un rapport, l'oeuvre d'entraide a dénoncé, mardi, la situation des populations locales dépossédées de leurs terres et le danger encouru pour la biodiversité. Le rapport en question, publié par les Amis de la Terre (Friends of the Earth) et intitulé "Afrique: terre(s) de toutes les convoitises", "montre qu'au moins 50'000 km2, une surface supérieure à celle de la Suisse, ont déjà été acquis sur ce continent par des investisseurs étrangers pour la production d'agrocarburants", indique Swissaid dans un communiqué. La situation de onze pays africains ayant été examinées, il en ressort que "cette pratique, appelée 'accaparement des terres', est de plus en plus répandue et dominée par des compagnies européennes", rapporte Swissaid. Un tiers de la terre vendue ou achetée en Afrique est destinée à produire des agrocarburants, notent les Amis de la terre Europe dans une étude qui fait la synthèse des recherches menées aujourd'hui sur l'ampleur du phénomène ''d'accaparement des terres'' pour produire des agrocarburants sur le continent africain. Si elle revient sur les impacts sociaux et environnementaux de ce phénomène, l'étude analyse également le jeu des acteurs impliqués dans un marché principalement tourné vers l'export et dominé par les firmes européennes. "Les firmes européennes sont en train de faire main basse sur des terres partout en Afrique, menaçant la subsistance des populations locales et leur environnement, dans le seul but de satisfaire l'appétit insatiable de l'Europe pour les agrocarburants", s'indigne Adrien Bebb, des Amis de la Terre Europe. Un appétit grandissant pour ces carburants prônés comme une alternative au pétrole, mais dont la valeur écologique reste contestée. Résultats : des habitants dépossédés de leurs terres et sans recours, des zones de végétation défrichées. Et une concurrence difficile entre les cultures développées pour les agrocarburants et les cultures vivrières, au risque d'une hausse des prix alimentaires. "Cette compétition pour les terres agricoles pose des questions de fond concernant la souveraineté alimentaire et les priorités des gouvernements ", avance le rapport. "Est-il normal qu'un pays qui dépend de l'aide alimentaire internationale (comme le Kenya ou l'Ethiopie) vende des terres fertiles à des entrepreneurs pour y produire du carburant ?" ajoute-t-il. Des terres fertiles à des prix cassés, une main d'œuvre abondante, une législation peu appliquée… une manne financière pour ces entrepreneurs, au détriment des populations locales. La Banque mondiale elle-même constatait dans un rapport - confidentiel, mais dévoilé en juillet : "L'intérêt des investisseurs se concentre sur des pays où la gouvernance est faible." Et bien que les accords promettent emplois et infrastructures, "les investisseurs n'ont pas mené à bien leurs plans, tout en ayant parfois infligé de sérieux dommages aux ressources locales essentielles". Parmi les terres ainsi accaparées, on retrouve des terrains utilisés par les populations locales comme "terres communautaires" pour faire pâturer leurs troupeaux. Ou ceux destinés à l'agriculture, privant ainsi les locaux de terres fertiles avec des ressources en eau accessibles. "Dans de nombreux cas, les terres sont déjà utilisées ou revendiquées, pourtant les usages de ces terres ou les revendications sur celles-ci ne sont pas reconnus, car les utilisateurs sont exclus du droit foncier officiel et n'ont accès ni aux tribunaux ni aux institutions" : ce constat, c'est la FAO qui le dressait en 2009. En Tanzanie, des milliers de cultivateurs de riz et de maïs ont été chassés de leurs terres, en 2009, pour la mise en place de plantations de canne à sucre. Même phénomène au Ghana. Le développement du jatropha, végétal utilisé pour la production du biodiesel, expulse les petits paysans des champs, notamment les femmes. "Les terres avaient été abandonnées par contrat par un chef local - qui est illettré et semble avoir signé en apposant son pouce", souligne le rapport. Les sources alimentaires comme le karité et le dawadawa ont été rasés au profit des plantations. "Quelque 2 600 hectares ont ainsi été mis à nu avec de lourds engins qui ont dévasté l'environnement pour dégager la place au jatropha". Les dégâts environnementaux, une autre répercussion inquiétante sur le sol africain. "L'expansion des agrocarburants sur notre continent transforme les forêts et les zones naturelles en cultures énergétiques", explique Mariann Bassey, des Amis de la Terre Nigeria. Le manque de terres cultivables a poussé les compagnies étrangères à déforester, "au prix de la destruction de précieuses ressources naturelles et d'une hausse des émissions de gaz à effet de serre", montre le rapport. D'ailleurs, la production de certains carburants émet plus de gaz à effet de serre qu'"une quantité équivalente de carburants fossiles". L'ONG craint enfin l'arrivée de plantes modifiées génétiquement par les firmes biotechnologiques, pour qui les agrocarburants représentent de nouveaux débouchés financiers. Les firmes "sont souvent accueillies à bras ouverts par les gouvernements des pays hôtes, qui y voient des investissements étrangers bienvenus, créateurs d'emplois et susceptibles d'améliorer les infrastructures", souligne le rapport. En juillet 2006, 15 pays africains ont d'ailleurs signé le traité de fondation de l'Association panafricaine des non-producteurs de pétrole (PANPP), une "OPEP verte" de producteurs d'agrocarburants. Toutefois, certains commencent à faire machine arrière. A l'image de Skebab, une compagnie suédoise présentée comme un des plus grands producteurs européens d'agrocarburants, certaines firmes commencent même à quitter le continent. En mars 2009, l'Union africaine a publié un nouveau projet de cadre et de directives concernant la politique foncière, qui vise à renforcer les droits à la terre. L'Afrique du Sud ou le Swaziland ont demandé des comptes sur l'impact économique et environnemental de ces cultures. "Mais ailleurs, la frénésie d'agrocarburants demeure".