Le marché pétrolier mondial n'est pas face à l'urgence, a estimé, mardi, le directeur général de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), alors que les cours du pétrole sont en forte hausse avec les manifestations en Egypte."Il n'y a pas urgence", a déclaré Nobuo Tanaka à Reuters. "Si une perturbation survient, nous devrions agir", a-t-il ajouté en référence à la fois à l'AIE et à l'Opep. La hausse des cours du brut s'est accentuée avec la tension en Egypte. Le cours du Brent a touché 100 dollars le baril pour la première fois depuis 2008. L'Organisation de pays exportateurs de pétrole a déclaré qu'elle détenait environ six millions de barils par jour de capacité de production non utilisée, soit 7% de la demande mondiale, qu'elle pourrait utiliser pour répondre à une éventuelle pénurie. L'essentiel de cette capacité est détenue par l'Arabie saoudite. Le ministre saoudien du pétrole Ali al Naimi et le secrétaire général de l'Opep Abdallah al Badri ont signalé lundi que l'Opep n'avait pas l'intention de convoquer de réunion avant la prochaine, prévue en juin. Les prix du pétrole évoluaient sans direction hier en cours d'échanges européens, en léger recul à Londres mais progressant à New York, dans un marché toujours attentif à la poursuite de la contestation en Egypte et prudent avant les chiffres des stock américains. Vers 11H00 GMT (10H00 HEC), le baril de Brent de la mer du Nord pour livraison en mars s'échangeait à 101,63 dollars sur l'InterContinental Exchange (ICE) de Londres, reculant de 11 cents par rapport à la clôture de mardi. Il avait bondi la veille jusqu'à 102,08 dollars, son plus haut niveau depuis le 29 septembre 2008. Dans les échanges électroniques du New York Mercantile Exchange (Nymex), le baril de "light sweet crude" (WTI) pour la même échéance progressait de 17 cents à 90,94 dollars. Les opérateurs continuaient de suivre attentivement les développements du mouvement de contestation en Egypte, au lendemain d'une manifestation de plus d'un million de personnes réclamant le départ du président Hosni Moubarak. "La stabilité dans le Moyen-Orient est sérieusement compromise, le régime égyptien étant un des rares à entretenir des relations avec Israël. L'évolution des évènements est largement imprévisible", relevait Filip Petersson, analyste de la banque SEB. Pour lui, "le prix du Brent continuera de s'échanger avec une substantielle prime de risque mais avec une volatilité potentiellement importante, aussi longtemps que les tensions en Egypte resteront fortes". La situation politique en Egypte, marquée par de violentes manifestations de protestation, alimente de vives inquiétudes dans les milieux financiers, mais surtout au sein des marchés pétroliers, craignant des conséquences fâcheuses sur le transit à partir du canal de Suez des livraisons de pétrole. Même si la menace ne pèse pas pour le moment directement sur le transit maritime par le canal de Suez, les appréhensions dominent dans les salles de marchés, autant à Londres, Paris ou Tokyo. Wall Street avait même dévissé lundi, préoccupée par les informations en provenance d'Egypte. Près de 7,5% du commerce mondial dont 1,6 million de barils de brut, correspondant à un total de 14% du transport maritime mondial, passent par le canal de Suez, et sa fermeture entraînerait des conséquences inimaginables, estiment des analystes de marchés. En 2009, les autorités égyptiennes faisaient état du passage, par le canal, de plus de 34.000 bateaux, parmi lesquels près de 2700 pétroliers transportant environ 29 millions de tonnes de brut. Avec les détroits de Malacca (océan indien), de Gibraltar (méditerranée), de Panama ou d'Ormuz (océan indien), le canal est une des sept portes du commerce maritime mondial, sa fermeture contraindrait les supertankers à faire un détour de 10.000 km autour de l'Afrique, expliquent les experts. La situation politique en Egypte, où les manifestants demandent toujours le départ du Président Hosni Moubarak, au lendemain d'un discours plutôt conciliant, a déjà impacté les cours pétroliers, qui sont passés à 101,73 dollars mardi. "Même si l'Egypte n'est pas un producteur essentiel, le pays abrite deux voies stratégiques acheminant le brut du Moyen-Orient de la mer Rouge à la Méditerranée : le canal de Suez et l'oléoduc Suez-Méditerranée (Sumed)", explique un opérateur sur le marché new-yorkais. Cette remontée des cours du brut, après plusieurs séances baissières, reflète les inquiétudes des marchés quant à l'impact des manifestations sur les acheminements de pétrole via le canal de Suez. Depuis le début des manifestations en Egypte, les opérations portuaires sont ralenties et certains employés n'arrivent plus à se rendre sur leur lieu de travail, relèvent des médias locaux, même si des sources gouvernementales rassurent sur le fait que ''le canal (de Suez) fonctionne à plein régime''. Par ailleurs, les navires ne trouvent plus dans le port de Suez d'escortes militaires capables d'assurer leur protection lors de la traversée du golfe d'Aden dont les eaux sont sillonnées par les pirates. Les autorisations des équipes de sécurité ne sont pas délivrées depuis deux jours, les changements d'équipage ont également été interrompus et certaines provisions, comme la nourriture et l'eau, ne sont plus acheminées jusqu'au port, expliquent des travailleurs de la compagnie de fret à Suez. Toutefois, certains spécialistes soulignent que les retombées de la fermeture du canal de Suez en terme d'approvisionnement en brut "devrait quand même être plus limitées qu'il y a quelques années, tout simplement parce que l'essentiel de la demande mondiale de pétrole provient désormais d'Asie". Les effets d'une hausse du prix du pétrole sur le reste du monde se traduiraient par une ponction sur le pouvoir d'achat des ménages des pays consommateurs, déjà en difficulté en zone euro, où l'inflation a atteint 2,2% en décembre, soit son plus haut niveau depuis novembre 2008, selon les chiffres rendus publics lundi. Par contre en Egypte, les retombées seraient majeures, car le pays peut être rapidement sous asphyxie financière dans la mesure où ses importations de pétrole, de nourriture (blé, sucre) pourraient vite générer un déficit commercial important, qui n'est financé que par le tourisme, les investissements étrangers et les recettes dudit canal, expliquent les experts. Les recettes produites par le canal de Suez se sont établies à près de 4 milliards de dollars en 2009, soit 10% du budget de l'état égyptien.