Rare, inégalement répartie, convoitée, l'eau constitue un enjeu majeur pour l'agriculture du Maghreb. Comment, cependant, concilier l'exigence sociale de la petite agriculture familiale, qui domine dans les grands périmètres irrigués, et la performance de cette agriculture ? La solution réside en partie dans la construction d'institutions fortes. L'agriculture familiale du Maghreb fait, actuellement, face à de profonds changements , à savoir libéralisation des marchés, redéfinition du mandat des Etats des pays dans la gestion des infrastructures, le tout accompagné d'une pénurie croissante des ressources en eau. Quelle est la capacité d'adaptation des exploitations familiales face à ces défis ? Pour répondre à cette question, le Cirad, en partenariat avec le Cemagref, l'Ird et d'autres instituts européens, participe à trois projets de recherche en l'occurrence Wademed, Sirma et Aquastress. Le projet Sirma (Economie d'eau en Systèmes irrigués au Maghreb), financé par le ministère français des Affaires étrangères, et les projets européens Wademed et Aqua stress regroupent les principaux instituts d'enseignement supérieur agronomique du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie), les instituts de recherche français, Cemagref, Cirad et Ird et d'autres instituts européens. Ces projets sont fondés sur une approche commune : travailler directement avec les agriculteurs, ou les organisations professionnelles les rassemblant, afin de renforcer leurs capacités de gestion de l'eau et des filières agricoles. Le projet Wademed s'est achevé fin 2006, les deux autres, dans la continuité du premier, prendront fin en 2009. Les organisations professionnelles constituent une force de négociation. Wade-med a, notamment montré qu'une profession agricole organisée et responsable constituait l'une des conditions pour garantir la viabilité de l'agriculture, irriguée en particulier. En Tunisie, en Algérie et au Maroc, de plus en plus de coopératives et d'associations s'investissent dans l'organisation des filières et dans la mise en place de services sociaux sur le territoire rural : aménagement des pistes, installation de dispensaires de proximité, création d'écoles maternelles, formation des fils et des filles d'agriculteurs. Ces organisations professionnelles agricoles permettent aux agriculteurs de récupérer une plus grande part de la valeur ajoutée de leur production. Elles accompagnent les exploitations dans l'amélioration technique et économique de leurs performances et gèrent les infrastructures hydrauliques. Enfin, elles constituent une force de négociation face aux marchés, aux pouvoirs publics et aux collectivités territoriales. C'est dans cette perspective qu'est né le réseau Raccord, dans le cadre du projet Sirma. Il permet de mettre en relation les agriculteurs maghrébins autour de projets collectifs, avec pour objectifs la production et le partage de connaissances. Il renforce, notamment les capacités d'organisation et de négociation des organisations professionnelles, l'idée étant de pérenniser les échanges et de favoriser un apprentissage mutuel. Il s'agit d'un accompagnement collectif vers la modernisation. Comment, à partir de là, rendre accessibles les nouvelles techniques d'irrigation aux petites exploitations ? Les Etats concernés subventionnent jusqu'à 60 % des projets de modernisation de l'irrigation tels que le goutte-à-goutte. Pourtant, jusqu'à présent, en raison de fortes contraintes, ces subventions n'ont pas profité aux petits agriculteurs, notamment au Maroc , la procédure étant lourde, les techniques complexes à mettre en œuvre et l'investissement initial trop élevé pour de petits projets. Afin de remédier à ces blocages, les chercheurs ont développé, dans le cadre du projet Aquastress, une démarche d'accompagnement de projets collectifs de modernisation de l'irrigation. Différents outils participatifs, tels que des visites pédagogiques, des séminaires ouverts ou des jeux de rôles permettant de simuler la mise en place d'un projet et d'explorer différents scénarios, ont été testés. Cette démarche a pour particularité de mener l'agriculteur à une forme d'apprentissage social : celui-ci concerne le choix des aménagements, la gestion du système de production mais aussi les relations avec les autres intervenants tels que le gestionnaire du réseau ou les bureaux d'études. Les agriculteurs doivent au final être capables de s'accorder sur ces différentes questions.