La sixième édition du festival national du théâtre comique s'ouvre aujourd'hui et sera particulièrement dédiée à l'immense défunte "Keltoum " qui a trépassé l'an dernier à l'âge de 96 ans. Déjà sélectionné par le comité de ce festival, on présente le menu de cette rencontre comme rassemblant le meilleur cru de ses deux dernières années en matière d'œuvres théâtrales versées dans la chose humoristique. C'est ainsi que pas moins de huit meilleurs œuvres nationales seront en compétition pour le trophée suprême de la "grappe d'or, lequel sera décerné par un jury que présidera la metteur en scène et actuelle directrice du théâtre régional de El Aulma à Sétif, Fouzia Ait El-Hadj. A côté de ce menu compétitif dont les noms des œuvres seront connus, d'ici quelques jours, les organisateurs ont mis sur pied un programme d'animation qui se déroulera en alternance avec la compétition. Un peu académique et généralement boudé par un public par très friands des longs discours sur la chose théâtrale, les organisateurs ont prévu différentes rencontres autour de thèmes tel que la femme dans le théâtre algérien, son œuvre et l'image que véhicule d'elle le quatrième art. Plus attrayant peut être dans une période où la scène des planches manque terriblement de performance et de spécialisation, des ateliers d'initiation aux techniques de scénographie, d'écriture théâtrale, de critique, sont également prévus lors de ce rendez-vous qu'animeront des spécialistes nationaux et arabes. Des humoristes et comédiens sont attendus pour animer ces journées. Il s'git entre autre de Souileh, Hamid Achouri, Kamel Bouakaaz, Abdelkader Secteur, mais également Mustapha Ayade, Samir Bouanani et Mohamed Islam, qui vont gratifier le public d'une série de spectacles, à travers plusieurs grandes agglomérations urbaines de la wilaya. L'édition "Keltoum" du festival national de théâtre comique consacrera un hommage posthume à cette grande comédienne qui a joué dans une vingtaine de films et plus de soixante dix pièces théâtrales au cours de sa longue et riche carrière artistique, entamée au milieu des années trente du siècle dernier. Grandiose Keltoum Actrice fétiche du réalisateur Lakhdar Hamina, très peu bavarde, Keltoum avait une incroyable présence sur scène ; elle était peut être la seule qui a donné le plus d'énergie à une arène culturelle à l'époque où il était scandaleux pour une femme de franchir les frontières des planches. Elle l'a fait, et comme les héros qui sauvent leurs financées après avoir vaillamment bataillé contre hydres et dragons, elle était toute seule dans ce monde exclusivement investi par les hommes. Ce n'était pas sans peine bien sûr, parce que derrière, elle a dû renoncer à son cocon familial, à sa ville natale de Blida. Partie à zéro, sans cette sécurité du cœur que procure généralement à chaque enfant une mère, un père, elle s'est refaite pour être une Keltoum capable de toucher les étoiles. Sa passion irréductible pour toutes les formes de l'art l'a menée d'abord vers la fin des années 20 (elle est née en 1916), sur les scènes publiques du chant, de la danse en animant les fêtes de mariage et autres baptêmes. Elle était la première femme à ouvrir les portes blindées et combien machistes du théâtre. Les autres la suivront par une espèce de douce contagion, car sans doute aux Saboundji Sonia et autres, elle a injecté une substance sacrée qui s'appelle le courage. A l'époque, nous étions dans les années 30, et le maître incontesté des planches, celui qui a installé dans le théâtre toute une génération qui jusqu'à maintenant continue de faire son bonhomme de chemin, se nommait Mustapha Kateb. Lettré, beau gosse, passionné de la dramaturgie, il ouvrait les portes du théâtre qu'il commandait aux passants, aux vocations, aux talents ou encore aux simples vagabonds qui se cherchaient. En plus clair, Mustapha Kateb en véritable démocrate, donnait la chance à tout le monde. C'était l'époque où il fallait former des gens, avoir un théâtre qui tourne avec une troupe relativement stable pour botter l'ennemi avec des mots. Sans regarder derrière, sans regret, Keltoum marchait sur le tendre tapis de l'héroïne, parce qu'elle voulait se faire ainsi, elle espérait sortir sa tête de l'ombre à la lumière. Les lumières s'étaient tout de suite projetées sur elle. En 1936 Keltoum a ému responsables et réalisateurs européens. Déjà premier coup réussi, son rôle important dans le film "La Septième porte Svoboda ". Dès 1947, Keltoum ne rechignait jamais à prendre un rôle dans une dramaturgie, dans un film : sa passion pour l'art lui interdisait tout mépris. Sociétaire et conseillère à la radio en langue arabe, elle fera une autre rupture vers 1951. Elle retournera à son sacerdoce, une année à peine après cette rupture. Dans le costume de Disdémone, personnage d'Othello de Shakespeare qui fut adapté dans la langue locale par l'écrivain Ahmed Toufik El Madani, elle sera parfaite. De nouveau, en 1953, elle rompt avec la scène. La même année, elle deviendra la maman d'un garçon, Sid-Ahmed Fetouh. Le déclenchement de la Révolution la poussera pour la 2e fois à quitter toute activité culturelle. C'était sur ordre, dit-on des dirigeants du CCE. Comme ses autres héroïnes, elle portera des bombes sous son haik, elle livrera des lettres, elle cachera les résistants chez elle. Pendant la guerre, elle sera particulièrement ciblée, presque morte si ce n'était les pleurs de son bébé qui avaient attendri un soldat prêt à tirer à bout portant. L'image qui restera sans doute maculée vie dans tous les cœurs sera indubitablement, celle de sa frayeur dans le mémorable, " Le vent des Aurès" (1966), de Mohamed Lakhdar Hamina. Aicha Adjouri s'était magistralement surpassée pour devenir Keltoum de la postérité.