Ksar El-Boukhari, une commune créée en 1880, ancienne vitrine cosmopolite, civilisationnelle et intellectuelle du Titteri, se délabre tristement sous l'effet d'un exode rural hémorragique. Les vieilles familles citadines qui encadraient la culture raffinée, l'esthétique urbaine et les convivialités ont déserté la cité, et de nouveaux éléments venus des douars limitrophes ont reproduit de manière systématique la campagne. En dépit des programmes multisectoriels " musclés ", elle reste confrontée à des équations quasi insolubles liées directement à une surcharge de population. La combinaison de deux facteurs - démographique, économique - a provoqué " l'infarctus ". Historiquement, un prix à payer à la sinistre politique coloniale du cantonnement où 18 douars furent vidés et rejetés vers les escarpements de la ville. A partir de 1992, la nuit des longs couteauy poussera plus de 3.000 personnes aux portes de Ksar El-Boukhari résultat : le taux de 67% de population urbaine prévu aux alentours de 2015, l'a été dès 1997… Aujourd'hui, quelque 90.000 âmes s'entassent dans un boyau cadastral de 54 km2 (une aberration du découpage administratif), et une densité de 1.039 habitants/km2 En aval, une demande de logements incompressible et un immense réservoir de main - d'œuvre sans emploi, car l'essentiel des activités demeure le secteur tertiaire à prévalence informelle (vente de chiffons, de cigarettes ou de fruits et légumes à même le trottoir). Les rares entreprises publiques détruites par les terroristes, à l'instar de l'EMAC, Sonitex, EMC et Naphtal, n'ont pas été sans conséquences sur l'édifice social déjà ébranlé par la paupérisation. Le plan d'ajustement structurel se traduira par la compression de certains travailleurs de l'ex-Sonacome, l'Onab, Eriad. Cela, au moment où l'investissement productif demeure plombé au niveau d'une zone industrielle de 69 ha, excepté une laiterie privée employant 200 travailleurs environ. " Nos diplômes et qualifications fondent comme nos rêves d'emploi et de logement. Nous vieillissons dans la gavroche ", commentent des kasraouis sur voie de garage. La création ex-nihilo de communes, sans vocation à promouvoir ni ressources patrimoniales à fructifier, n'a pas eu les effets escomptés. Ces nouvelles collectivités rurales continuent à survivre pour l'essentiel, des crédits inscrits au budget général de l'Etat et autres subventions d'équilibre. Du coup, elles gravitent toujours autour de Ksar El-Boukhari. Au quartier Benalia, l'épave du fameux "babour " en béton, un gâchis financier, et symbole d'un naufrage urbain. Tout autour, des espaces publics squattés servant d'exutoire à des grappes de chômeurs dont la commune hérite sans trop savoir quoi en faire. Précarité et délinquance avancent d'un même pas, et donner des chiffres officiels fiables est un exercice de funambule. L'absence d'un travail de proximité sociale, de relais d'écoute, l'investissement aux volets clos, l'aridité culturelle, sont autant de voies que la délinquance à systématiquement exploitées. La zaouia et le vieux-ksar, isoloirs historiques et îlots des autochtones, contrastent de manière criante avec les bunkers de la ville basase que se font construire les nouveaux riches. Une ostentation affichée qui ne fait qu'aviver les frustrations des pauvres insulaires qui n'ont pas su prendre le train à temps. Des quartiers antiques qui retracent les grandes étapes de Ksar El-Boukhari où Charlotte Fany - petite-fille de l'empereur Bonaparte a enseigné en 1890 , comme elle a inspiré d'illustres écrivains, comme Maupassant, Fromentin, Freigneau, Dermenghom, le grand photographe belge Caston et bien d'autres poètes. Un lieu pour se retremper dans la luxuriante palmeraie intellectuelle. Une passerelle pour demain…