Le plus gros lancement commercial de l'histoire de Microsoft, pour son nouveau système d'exploitation doit lui permettre de combler son retard sur Apple et Google dans les terminaux mobiles. Vendredi dernier, pour célébrer la nouvelle version de son système d'exploitation, Windows 8, le groupe a prévu une campagne de communication monumentale. Et mondiale. Cette croisade numérique sera lancée depuis cinq grandes métropoles: New York, Paris, Pékin, New Delhi et Tokyo. En France, des dizaines de personnalités des mondes du spectacle, du design et du business ont été invitées à se joindre aux festivités, dont le point d'orgue doit être la grande soirée branchée du palais de Tokyo, en face de la tour Eiffel, la veille du jour J. Et Microsoft devrait rester très visible dans les mois qui suivront pour assurer la réussite commerciale de son dernier-né. "C'est notre Airbus A380", lâche Olivier Ribet, patron de la division Windows en France. Le budget total de l'opération devrait dépasser 1,5 milliard de dollars, trois fois la somme consacrée au lancement de la version 7, il y a trois ans. Une bataille décisive La firme de Redmond ne veut rien laisser au hasard: Windows, c'est 1,3 milliard d'utilisateurs dans le monde, 25% du chiffre d'affaires de la société, plus de la moitié des profits. Mais la cash machine commence à se gripper. Alors que les ventes d'ordinateurs stagnent partout dans le monde, Microsoft a raté la vague des terminaux mobiles connectés. Et pris un retard considérable sur Apple et Google. Windows 8 doit lui permettre de s'installer enfin sur les marchés des tablettes tactiles, des ordinateurs portables hybrides, ainsi que sur celui des Smartphones, avec la sortie, aujourd'hui, de Windows Phone 8, le programme équivalent pour mobiles. C'est une bataille décisive que va livrer le numéro un mondial de l'édition informatique. "Ils ne sont pas bien positionnés dans ce nouvel écosystème où les utilisateurs choisissent désormais le type d'appareil qu'ils veulent utiliser au travail", explique Thomas Husson, analyste au cabinet Forrester. Au cours des trois dernières années, les entreprises ont intégré ce phénomène dénommé Bring Your Own Device (amenez votre propre appareil). Aujourd'hui, les cadres utilisent en moyenne trois machines connectées dans le cadre de leur travail, révèle Forrester dans une récente étude menée à l'échelle mondiale. Et 63% seulement de ces machines sont équipées d'un système d'exploitation Windows. On est loin des 95% de parts de marché revendiquées par le groupe dans les PC. Le géant du logiciel a perdu de sa superbe. Son alliance historique avec Intel bat de l'aile. Ils avaient construit ensemble leurs positions hégémoniques dans les ordinateurs, ces vingt dernières années. Mais le fabricant de microprocesseurs est lui aussi passé à côté du rendez-vous des Smartphones et tablettes. Les deux acteurs ne cachent plus leurs différends. Il y a un mois, les dirigeants de Microsoft ont manqué de s'étrangler en découvrant, dans la presse, les réflexions du P-DG d'Intel, Paul Otellini, sur les performances de Windows 8: "Il reste des améliorations à fournir", a-t-il déclaré à ses équipes lors d'une réunion dont le contenu a malencontreusement fuité. Intel a mollement tenté de rectifier le tir dans un communiqué. En délicatesse avec ses anciens alliés, l'éditeur doit aussi composer avec la méfiance des clients professionnels. "On ne sent pas d'emballement", constate François Stephan, directeur exécutif du Club des responsables d'infrastructure et de production. Microsoft a pourtant bichonné les directeurs informatiques de grands groupes, leur proposant, dès janvier, des démonstrations, en avant-première, du nouveau système et des prototypes de tablettes. Selon François Stephan, "Windows 8 n'est pas perçu comme un apport de valeur dans l'entreprise". Les dirigeants se montrent méfiants depuis le ratage de Windows Vista, sorti en février 2007. Et ils craignent que Microsoft n'accélère le rythme de lancement des nouvelles versions de son programme. Priorité au design Pour gagner son pari, le groupe n'a pas d'autre choix que de séduire le consommateur final: devenir sexy comme Apple, et omniprésent comme Google. En quelques années, l'éditeur a réinventé Windows. "Il fallait trouver autre chose qu'un écran noir avec des icônes carrées et qui ne soit pas trop gourmand en puissance de calcul", résume Olivier Ribet. Un mouvement de fond s'est produit à l'intérieur même de l'entreprise, au cours des dix dernières années, poussé par une génération de jeunes ingénieurs favorables à la conception d'une nouvelle interface utilisateurs. Les mentalités ont évolué: fini, le temps où le développeur informatique ordonnait au graphiste d'habiller ses lignes de code. "Les designers ont pris le pouvoir", raconte le dirigeant de Microsoft. Des ergonomistes, des sociologues, des journalistes ou encore des médecins ont été recrutés pour rééquilibrer les forces au sein des équipes de création. La nouvelle interface permet de passer de l'univers personnel à la sphère professionnelle et s'adapte en permanence en affichant les applications utiles, auxquelles l'utilisateur peut accéder depuis sa tablette, sa télévision via la Xbox 360, ou son Smartphone. Les icônes -signe blanc sur un aplat de couleur- s'inspirent des codes du transport collectif, universellement reconnaissables et identifiables. Cette source d'inspiration était même à l'origine d'un nouveau nom donné à l'interface: Metro. Mais le géant allemand de la distribution s'est opposé à ce que son nom soit associé à un programme informatique. Des fabricants stimulés Le changement est radical et les aficionados de Windows seront choqués: le menu "Démarrer" a disparu. "L'expérience utilisateur est totalement nouvelle, et c'est un enjeu important pour Microsoft, qui doit s'assurer que la courbe d'apprentissage soit la plus courte possible pour éviter les réactions hostiles de la part des consommateurs, comme cela avait été le cas pour Vista", estime Annette Jump, analyste au cabinet Gartner. Olivier Ribet balaie sèchement cette interrogation: l'initiation, selon lui, ne prend que deux minutes. Le succès de Windows 8 ne dépend pas uniquement de Microsoft, mais aussi des fabricants d'appareils. L'éditeur doit sortir, dans les prochaines semaines, sa propre tablette, baptisée Surface. "Il envoie ainsi un signal pour montrer le type d'innovations qu'il souhaite voir se développer et stimuler ainsi la créativité chez ses partenaires", estime Thomas Husson, de Forrester. Une quarantaine de nouveaux produits fonctionnant sous Windows 8 devraient ainsi voir le jour d'ici à Noël. Le marché bruisse aussi de rumeurs selon lesquelles Microsoft, insatisfait de son partenariat avec Nokia, sortirait un Smartphone sous sa marque. Hypothèse à prendre avec prudence: en 2010, le groupe avait lancé un téléphone pour jeunes passionnés de réseaux sociaux, le Kin. L'expérience a duré deux mois. Sous la bannière Xbox A l'inverse, le géant du logiciel a compris qu'il pouvait capitaliser sur d'autres marques que Windows. Xbox, du nom de sa console de jeux lancée il y a dix ans, va désormais chapeauter l'ensemble de ses services de divertissement: le jeu, mais aussi la vidéo et la musique. L'ensemble des services a été unifié et rendu disponible sur tous les écrans. Le 16 octobre, Microsoft a lancé Xbox Music, permettant d'écouter gratuitement quelque 30 millions de titres. Le téléchargement illimité coûte 9,99 dollars. L'offre concurrence la plateforme iTunes du grand rival Apple, et les services spécialisés Deezer et Spotify. La firme promet en outre de jouer dans la cour des grands avec des dizaines de milliers d'applications disponibles dans son Windows Store dès son lancement. Autant de fronts sur lesquels Microsoft devra ferrailler dans les prochaines années. Cette dispersion rebute les investisseurs: le cours de Bourse est le même qu'il y a cinq ans. "Pour que cela marche, il faudrait qu'ils soient dominants sur tous ces marchés… Mais Wall Street n'achète pas leur stratégie: dans un environnement en rupture permanente, ils ont toujours une guerre de retard", estime Benoît Flamant, ex-Microsoft, aujourd'hui directeur de la société d'investissement Four Points. Les dirigeants du groupe ont reçu le message. Dans sa lettre aux actionnaires, au mois d'août, le P-DG Steve Ballmer écrivait que le plus gros lancement de l'histoire de l'entreprise était également son pari industriel le plus risqué.