Avec l'apparition des premières grisailles dans le ciel constantinois, le froid qui se réinstalle avec ses coups de vent glacial et les lainages qui ressortent des placards, le temps est aux campagnes de sensibilisation pour un hiver bien au chaud, loin des dangers du monoxyde de carbone qui "adore" les locaux insuffisamment aérés. Le temps est aussi à la relance du débat autour du métier de ramoneur qui nettoie la paroi intérieure du conduit de fumée afin d'en éliminer la suie et autres dépôts et d'assurer sa vacuité. Il faut dire que dans l'antique Cirta (mais pas seulement), le métier de ramoneur, comme de nombreuses autres activités artisanales, disparaît au fil du temps.
Hamid El Maricani, le "dernier des Mohicans" Hamid El Maricani (l'américain), appelé ainsi en raison de sa carrure, de sa chevelure jadis flamboyante et de ses yeux bleus, passe la majorité de son temps à Sidi Bouannaba, dans l'atelier d'horlogerie de Si Rabie. Un vieil horloger qui semble particulièrement apprécier la présence d'anciennes pendules, bercé par leur tic-tac et leur balancier, mais qui n'a ni la force ni l'énergie de les réparer. Hamid El Maricani, 70 ans, est maître ramoneur. Il est l'un des tout derniers artisans dans cette spécialité dans la ville du Vieux Rocher. Rabie et Hamid sont des amis d'enfance, de vrais "ouled Sidi Rached" comme ils se plaisent à le rappeler. Hamid a hérité le métier du ramoneur de son père et l'a pratiqué pendant une quarantaine d'années. "Mon père, authentique maître-ramoneur, a appris le métier chez un Savoyard, en France, connu pour être le meilleur ramoneur dans ce pays", confie-il avant d'affirmer que dès l'âge de quinze ans, il a "commencé à accompagner (son) père dans son travail pour apprendre, petit à petit, entre deux coups de gueule du maître, les bases essentielles du métier". Adossé à une murette de l'atelier de son ami Rabie, Hamid El Maricani remonte le temps, quarante années en arrière. "Je me souviens qu'entre les mois de mai et de décembre, mon père n'avait pas une minute à lui. Il était sollicité par des dizaines et des dizaines de clients qui se sont habitués, au fil des années, à ses services". Se remémorant ses débuts dans le métier, il avoue sa "fascination" devant le spectacle offert par la ville de Constantine depuis les toits des maisons et des immeubles. "Je secondais mon père et portais ses outils de travail, une échelle, une corde, un boulet, un hérisson et une raclette pour enlever la suie du conduit", se souvient-il. "Après quelques mois d'apprentissage, mon père, jugeant que j'étais paré pour le métier de ramoneur, consentit à me laisser porter une combinaison, bleue, semblable à la sienne", ajoute-t-il, les yeux dans le vague. Toujours dans ses souvenirs, le maître-ramoneur enchaîne pour rappeler qu'il y a une quarantaine d'années, "les gens, à Constantine, avaient une vraie culture de la prévention. Il n'était pas question pour beaucoup de familles de rallumer leurs chaudières sans le nettoyage de la cheminée et de la paroi d'évacuation". Replongeant dans l'atmosphère de la cité quatre décennies auparavant le septuagénaire, au regard bleu profond, souligne que les gens "ne faisaient jamais dans le bricolage et sollicitaient les services d'un spécialiste". Même si beaucoup de familles ont aujourd'hui troqué leur anciennes cheminées pour des chauffages à gaz, "le ramonage faisait partie des habitudes des Constantinois à chaque automne". Aiguisant ses souvenirs, Hamid El Maricani affirme avoir pratiqué ce métier jusqu'à la fin des années 1980. "J'ai pratiqué ce métier et j'avais dans mon carnet d'adresses une centaine de clients réguliers; je ne chômais pas car j'avais un grand secteur composé des rues Belouizdad et Abane Ramdane, jusqu'aux cités des Combattants et de Bellevue", dit-il avec une certaine fierté.
Ramoner "les mentalités" pour ressusciter le métier En dépit du poids des années, Hamid El Maricani semble vouer une véritable passion pour le ramonage et se tient au courant de l'évolution, ailleurs, du métier de ramoneur. "Sous d'autres cieux, le ramonage a toujours son utilité, il a même évolué et s'est adapté à la modernité et aux nouvelles technologies", lâche le septuagénaire. Nostalgique d'un métier qu'il a pratiqué durant toute sa vie et dont il connaît les moindres "astuces". Ailleurs, enchaîne-t-il, "le ramonage est une activité qui s'acquiert au bout d'une formation diplômante, c'est un métier sûr, réglementé et générant des richesses et des emplois. Aujourd'hui, "le ramonage n'est plus une affaire de boulet, d'hérisson et de raclette, mais d'appareils de mesure et de contrôle qui sondent les conduits de fumée, établissent des diagnostics. C'est le gage d'une "sécurité d'utilisation garantie", soutient-il. Hamid El Maricani évoque "le manque d'initiatives et d'idées des jeunes d'aujourd'hui". Malgré "tous ces dispositifs de soutien à l'emploi, une bénédiction qui n'existait pas à mon époque, personne ne songe à ressusciter le métier ou à l'introduire dans les cursus de formation. Je ne comprends vraiment pas ces jeunes qui errent avec des véhicules frigorifiques, sans marchés, et qui optent pour des projets qui ne rapportent pas et délaissent des créneaux porteurs". Hamid conclut avec beaucoup de conviction que le ramonage est assuré, dans d'autres pays, par des "PME prospères dont l'activité écarte les risques d'intoxication, limite les risques d'incendie alors que chez nous, on continue de compter, chaque hiver, des familles entières décimées, faute, tout bonnement, de ramonage d'une cheminée".