Après 32 ans de service, il semble céder le pas. Cependant, l'homme reste égal à lui-même. A 80 ans, il est le doyen des ingénieurs d'auto-écoles en Algérie. Le maître, c'est lui. Il s'appelle Mohand Rabie Aoudia. Il est originaire de la wilaya de Béjaïa. «Nous n'avons fait que notre devoir», une expression qui traduit à sa juste valeur la conscience de ce «grand» du secteur de l'apprentissage de la conduite. Modeste, Mohand Rabie Aoudia a été accueilli, hier, avec les sourires et les cadeaux de ses «apprentis», à l'occasion d'une cérémonie organisée par l'Union générale des commerçants et artisans algériens (Ugcaa), au centre de presse El Moudjahid à Alger. Accompagné de l'une de ses filles et de son fils Ahmed Zineddine, lui-même président de la Confédération nationale des auto-écoles (CNA), M.R.Aoudia semble céder le pas mais «sans jamais plier bagage». S'appuyant sur une canne anglaise, l'ancien inspecteur principal des permis de conduire a rejoint la tribune des honneurs qui lui est réservée, sous les applaudissements des nombreux présents. Prenant la parole, Salah Souilah, secrétaire général de l'Ugcaa, a avoué: «C'est lors d'une discussion conviviale avec Ahmed Zineddine que j'ai découvert que son père n'était autre que l'illustre invité qui nous fait, aujourd'hui l'honneur d'être parmi nous.» Un moment fort. Des émotions sont perceptibles sur les visages des présents quand l'invité déclare avec simplicité et fierté: «J'ai formé plus de 300 ingénieurs pour l'Algérie.» Né en 1929 au village des Beni Ouahdane, dans la commune de Boudjlil, Mohand Rabie Aoudia, entama ses études dans sa région natale. Titulaire du certificat d'études, le petit Mohand était doté d'un esprit éveillé, avide de découvertes et épris de connaissances. En 1948, l'enfant de Boudjlil part en France. Là-bas, sa quête de tout savoir le mènera vers la découverte du monde de l'automobile. C'est alors qu'il marqua le début d'une grande histoire. Sa main tient le volant, ses pieds se posent sur les pédales et le chemin est tracé. Le greffon a pris, doit-on dire. Et la belle histoire du digne fils de Bgayet a «fulguré». Seulement, comme tous les grands de ce monde, le chemin de Aoudia a connu les prémices d'une période orageuse, pleine d'espoir certes, mais annonciatrice d'un temps couleur rouge sang et noir fuligineux. Dans son esprit, il était conscient que la liberté d'un peuple n'avait pas de prix. Le jeune Mohand met en marche le moteur et fonce. La lutte armée ne laisse pas de place à une vie de quiétude. Le chemin vers l'idéal est plein d'embûches et l'homme libre doit apprendre à s'adapter aux vicissitudes de la guerre. Son amazighité et son esprit nationaliste y ont été certainement pour beaucoup. Pendant la Révolution armée, le jeune Mohand Rabie était membre de la Fédération de France du FLN. Arrêté en 1958, le jeune révolutionnaire est condamné à mort. Sa peine commuée en emprisonnement, le «petit» avait déjà purgé 18 mois de prison avant d'être libéré à la faveur de la signature, le 19 mars 1962, des Accords d'Evian. Cependant, à sa sortie de prison, il est placé en résidence surveillée. Cette contrainte pèsera sur lui jusqu'à l'Indépendance. Jour de gloire, le soleil du 5 Juillet se lève sur une nation qui vient de vaincre l'une des plus puissantes armées coloniales de l'époque. Une nouvelle page s'ouvre pour l'Algérie et pour Mohand Rabie. Une preuve d'amour, pour la liberté d'abord, pour l'élue de son coeur ensuite. Ayant promis à sa femme un retour heureux dans une Algérie souveraine, il rentre au bercail juste après l'Indépendance. A l'écouter raconter l'histoire de son retour, l'auditeur aura vraiment de qui s'inspirer. «J'ai promis à ma femme un retour sans détour en Algérie, après l'Indépendance. Pour tenir ma promesse, je me suis débrouillé et battu sur tous les fronts pour me procurer un toit à Bab El Oued où je me suis installé avec ma chère femme et nos sept enfants.» Professionnel dans l'art d'enseigner la conduite de véhicules, Dda Mohand ne pouvait s'empêcher d'inculquer à ses enfants ce «métier». Après l'Indépendance, le pays avait besoin du savoir-faire de ses enfants pour relever le défi du développement et Mohand Rabie n'était pas resté sourd à l'appel de ceux qui étaient morts pour la patrie. Il était ainsi désigné par le ministre des Transports de l'époque, feu Ali Mendjeli, comme inspecteur des permis de conduire. Il exercera cette fonction jusqu'en 1975 où il sera promu au rang d'inspecteur principal. Après 32 ans de service, Mohand Rabie Aoudia prend une retraite amplement méritée.