C'est devenu presque une tradition qu'à chaque soubresaut du marché pétrolier, les consommateurs s'agitent pour dénoncer une éventuelle création d'un cartel du gaz. Ainsi, juste après les records atteints vendredi par les cours du pétrole sur les marchés de Londres et de New York, le cabinet de consultation britannique, EnergyQuote, s'est empressé de nous révéler, à travers une enquête effectuée auprès de 100 des plus grands acheteurs d'énergieen Europe, une crainte persistante face à une éventuelle création d'un cartel du gaz impliquant le russe Gazprom et la société nationale des hydrocarbures Sonatrach. Selon le cabinet britannique, les acheteurs estiment que plusieurs indices indiquent l'établissement d'un cartel impliquant Gazprom et Sonatrach ainsi que d'autres producteurs de gaz. Le Venezuela et l'Iran pourraient rejoindre cette alliance. Le raccourci est vite fait, puisque l'enquête conclut qu'un tel scénario pourrait favoriser une hausse durable des prix des hydrocarbures. Pour rappel, la levée de boucliers en Europe contre l'Opep du gaz s'est opérée la première fois fin 2006, dans le sillage d'un protocole d'accord signé entre le groupe Sonatrach et Gazprom, le géant russe. L'éventualité de la création d'un cartel du gaz n'a pas été du goût de l'Europe qui craint une dépendance énergétique envers Alger et Moscou. Ces derniers alimentent respectivement l'Europe à raison de 60 et 120 milliards de m3/an de gaz. Cependant, L'UE craint que ce "cartel du gaz" puisse, à ses yeux, peser sur les "prix et les approvisionnements". Ces craintes sont-elles légitimes ? Le PDG de Sonatrach, Mohamed Meziane, de même que le PDG de Gazprom se sont voulus rassurants et ont écarté toute entente sur les prix. Mais au-delà des aspects techniques liés à la création de cette structure, c'est le droit légitime des producteurs de gaz, à s'organiser pour défendre leurs intérêts, qui est mis à l'index par les consommateurs, notamment l'Europe. Et si l'Union européenne a le droit de mettre en place une instance de protection des pays consommateurs de gaz, pourquoi priver les pays producteurs d'en faire autant ? Durant des décennies l'Europe a piloté à sa guise le marché gazier. Cette configuration qui a volé en éclats suite à la crise gazière russo-ukrainienne de 2005 n'est plus de mise. L'Europe, liée par des contrats à long terme avec ses fournisseurs, redoute que ces derniers soient soutenus par une organisation lorsqu'ils renégocieront les contrats existants, souvent peu avantageux au regard du marché actuel, plus tendu qu'il y a cinq ans. L'exemple du litige algéro-espagnol sur les prix du gaz est significatif. Même si l'idée n'a pas encore atteint un stade tel que nous pouvons dire que les pays producteurs et exportateurs pourraient former une organisation, la réflexion sur le sujet a été lancée lors du dernier forum des pays producteurs de gaz de Doha. N'en déplaise aux consommateurs européens, l'Algérie, à l'instar de beaucoup de pays producteurs de gaz, juge l'idée d'une OPEP du gaz intéressante. Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, n'a pas rejeté l'idée. "Elle mérite d'être examinée et discutée entre tous les intéressés", avait-il déclaré. La décision de la création du cartel se précisera à l'occasion du septième forum des 14 pays exportateurs de gaz qui se déroulera en 2008 à Moscou où le groupe de réflexion, présidé par la Russie, soumettra des propositions dans ce sens.