La France a connu en juillet une glissade saisonnière des prix qui ne la condamne pas encore à la déflation, mais qui entretient l'inertie économique tout en neutralisant les efforts de rigueur budgétaire. Les prix à la consommation ont flanché en juillet par rapport à juin, de 0,3%, a annoncé l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) dans un communiqué. Cette baisse estivale est habituelle, s'expliquant par les soldes et l'arrivée sur les étals de fruits et de légume de saison et meilleur marché. Mais c'est un autre chiffre qui inquiète les économistes: celui de l'écart des prix sur douze mois, de juillet 2013 à juillet 2014. Cet écart, le "taux d'inflation" connu du grand public, est ressorti à 0,5%, descendant à 0,4% hors tabac. Il y a un an, en juillet 2013, les prix avaient également baissé de 0,3% sur un mois mais le taux annuel était nettement plus vigoureux, à +1,1%. 0,5%, c'est encore un chiffre positif, et ce n'est donc pas la déflation, cette baisse franche et prolongée des prix paralysant progressivement l'activité que Manuel Valls et François Hollande ont brandi comme une menace dans leurs discours. Mais c'est bien en-dessous d'un niveau sain d'inflation, estimé à un peu moins de 2% par la Banque centrale européenne.
Le risque de la prophétie auto-réalisatrice "Le plus préoccupant, c'est ce taux d'inflation annuel hors tabac de 0,4%, car il sert de base dans les négociations salariales", estime Philippe Waechter, chef de la recherche économique chez Natixis AM. Ce taux entre aussi en compte dans le calcul du SMIC, des minima sociaux, du taux du livret A, autant de repères familiers aux consommateurs. Or dans une France où l'investissement des entreprises est figé et la dépense publique comprimée, la consommation est le dernier relais de croissance. "Le risque avec les déclarations de MM. Valls et Hollande sur la déflation, c'est que cette idée s'instille dans l'esprit des consommateurs, ce qui n'encourage pas à la dépense", souligne M. Waechter. En d'autres termes: en avertissant du risque d'une spirale baissière des prix, un phénomène qui s'enclenche véritablement quand les consommateurs reportent leurs achats dans l'espoir de prix toujours plus bas, le gouvernement risque de la provoquer. Mais l'exécutif n'a guère d'autre choix: il lui faut bien souligner la faible inflation pour préparer au dérapage du déficit public.
L'impossible équation budgétaire Le niveau trop bas des prix, conjugué à une faible croissance - les économistes s'attendent à ce que l'Insee annonce une quasi-stagnation du Produit intérieur brut au deuxième trimestre - neutralise en effet les efforts budgétaires. La croissance faible diminue les recettes fiscales, sans permettre de réduire les dépenses sociales. La faible inflation, elle, a pour conséquence que la TVA, première source de financement de l'Etat, ne "rentre" pas au rythme espéré, puisqu'elle est calculée en pourcentage des prix de vente. Le dérapage est important: le gouvernement a rédigé son budget 2014 avec une hypothèse d'inflation annuelle moyenne de 1,2%, là où le taux ne s'est établi qu'à 0,5% en juillet. Par ailleurs, quand Bercy fixe des plafonds de dépenses aux ministères, c'est en anticipant une certaine hausse des prix. Si les prix sont plus bas que prévu, il y a moins d'incitation à réduire le déficit structurel des administrations, celui sur lequel se concentre Bruxelles. Enfin, les économies passant par le gel des prestations sociales, qui consistent à ne plus les aligner sur les prix, ont elles aussi moins d'impact, puisque les revalorisations supprimées auraient de toute façon été marginales. Dans ces conditions, impossible ou presque à la France de ramener son déficit public à 3,8% cette année puis 3,0% l'an prochain, contre 4,3% en 2013, jugent unanimement les économistes. Mais Paris n'est pas seul face à ces problèmes puisque l'apathie des prix se généralise en zone euro, en dépit des tentatives de la Banque centrale européenne pour les ranimer. L'Espagne, le Portugal et la Grèce sont en déflation: les prix s'y affichent en baisse en variation annuelle. L'Allemagne, incontestable moteur économique du continent, a affiché en juillet son plus bas taux d'inflation depuis février 2010 (+0,8%). Pour Joachim Fels, analyste de Morgan Stanley, "la zone euro est en voie +japonisation+". La troisième économie mondiale est engluée depuis près de deux décennies dans la déflation et la stagnation économique, tout en ayant à supporter des déficits publics colossaux.