La Banque du Japon (BoJ) a contre toute attente décidé avant-hier d'assouplir davantage sa politique monétaire, en augmentant son programme de rachat d'actifs, dans l'espoir de donner un coup de fouet à une économie chancelante, une annonce qui a fait bondir les marchés boursiers. Cette décision, qui survient deux jours après une démarche inverse de la Réserve fédérale américaine (Fed), a instantanément propulsé la Bourse de Tokyo et le dollar à des niveaux inédits depuis près de sept ans, et les places européennes lui ont emboîté le pas en progressant nettement, Paris prenant plus de 2% en séance. Dans un communiqué publié à l'issue d'une réunion de son comité directeur, la BoJ a fait savoir qu'elle allait désormais augmenter la base monétaire de 80 000 milliards de yens (583 milliards d'euros) par an, contre 60 à 70 000 milliards auparavant. Cinq de ses neuf membres se sont prononcés en faveur de cette expansion de la politique, réclamée depuis plusieurs semaines par les analystes alors que la troisième puissance mondiale est durement touchée par l'entrée en vigueur début avril d'une taxe sur la consommation à 8% (contre 5% auparavant). "L'économie japonaise se trouve à un moment critique dans son combat contre la déflation", a déclaré le gouverneur de la BoJ, Haruhiko Kuroda, lors d'une conférence de presse. L'évolution des prix a subi "une pression à la baisse" en raison "de la faiblesse de la demande à la suite de l'augmentation de taxe et d'un déclin significatif des tarifs du pétrole brut", avait expliqué un peu auparavant la banque centrale. "Si la pression actuelle perdure, même à court terme, la sortie de déflation, qui a pour l'instant progressé fermement, risque d'être retardée", avait-elle averti. "Ces mesures reflètent notre détermination inébranlable", et "nous ferons tout notre possible pour atteindre notre objectif d'inflation de 2% au plus tôt", a assuré M. Kuroda, même si ce pas supplémentaire devrait être "suffisant". Sous son impulsion, l'institut d'émission avait complètement revu en avril 2013 sa façon de lutter contre la déflation, un mal qui a miné l'économie nippone pendant une quinzaine d'années. Plutôt que d'agir directement sur les taux directeurs, il a choisi de cibler une augmentation de la masse monétaire.
Les Bourses applaudissent La recette semblait fonctionner jusqu'à cette fameuse hausse de taxe, qui a considérablement ébranlé la confiance des ménages, et fait dérailler les "abenomics", ambitieuse politique de relance du Premier ministre Shinzo Abe, faute de réformes structurelles, selon ses détracteurs. Le Produit intérieur brut (PIB) a ainsi plongé de 1,8% au deuxième trimestre (avril-juin) comparé à celui du trimestre précédent, un recul sans précédent depuis la triple catastrophe (séisme, tsunami, accident nucléaire) survenue en mars 2011. Des statistiques plus récentes ont confirmé cette morosité, faisant craindre une répétition du scénario de 1997, quand une pression fiscale accrue avait plongé l'archipel dans une longue période de stagnation. Dans son rapport semestriel diffusé vendredi, la BoJ a divisé de moitié sa prévision de croissance pour l'année en cours (avril 2014 à mars 2015), à 0,5%. Elle a également abaissé ses estimations pour l'inflation, qui devrait s'établir à 1,2% sur la période (en excluant l'effet taxe), contre 1,3% escompté auparavant, et à seulement 1,7% l'année suivante, contre 1,9% précédemment. L'évolution de l'indice des prix a encore marqué le pas en septembre et pourrait tomber dans les prochains mois sous la barre des 1%, ont averti des économistes qui ont aussitôt salué ce changement de ton de la BoJ. "Quand une porte se ferme, une autre s'ouvre", s'est réjoui Michael Hewson, analyste chez CMC Markets. "Tandis que la Fed a mis un terme à son soutien monétaire et que la BCE est réticente à s'engouffrer dans la brèche, la Banque du Japon n'a pas de tels scrupules, comblant le vide laissé par son homologue américaine". "Juste au moment où la Fed enlevait le saladier de punch de la table, la BoJ arrive avec une caisse de saké", s'enflammait même Jonathan Sudaria, courtier chez London Capital Group. Les marchés boursiers ont applaudi le geste. Le Nikkei des 225 valeurs vedettes a franchi la barre des 16 000 points et a terminé sur un gain de 4,83% vendredi. Autre bonne nouvelle pour les investisseurs tokyoïtes, le fonds de pension du gouvernement japonais (GPIF), le plus important du monde, devant celui de la Norvège, va doubler la part placée en Bourse des sommes qu'il gère. Le billet vert s'envolait parallèlement vis-à-vis de la monnaie japonaise, dépassant même les 111 yens, seuil qu'il n'avait pas franchi depuis janvier 2008.