Laisser du temps au temps, tel devrait être demain le message de la Banque centrale européenne (BCE), toujours sous pression pour en faire plus contre le marasme économique en zone euro, après avoir pourtant multiplié les interventions ces derniers mois. A la différence de la Fed américaine, qui vient de mettre un frein à sa politique de stimulus, et de la Banque du Japon, qui compte appuyer sur l'accélérateur, l'institution monétaire de Francfort devrait, sauf surprise, s'en tenir à un statu quo jeudi lors de sa réunion mensuelle de politique monétaire, suivie comme toujours d'une conférence de presse de son président, l'Italien Mario Draghi. La BCE "va très probablement rester dans une position d'attente jusqu'à l'an prochain", souligne Howard Archer, chef économiste Europe pour le cabinet IHS. Les investisseurs devraient être attentifs jeudi à tout commentaire de M. Draghi sur un possible programme de rachats d'obligations d'entreprises, un bon moyen de les aider à se refinancer et de soutenir l'économie, après des rumeurs évoquant une décision en ce sens pour le mois de décembre. Mais la plupart des analystes ne misent sur aucune nouvelle annonce ce mois-ci, pas plus que sur une modification du taux directeur de l'institution, qui ne peut de toute façon guère aller plus bas, après avoir été ramené début septembre à son plancher historique de 0,05%. Une hausse de ce taux, qui sert de référence pour le crédit, est également exclue, alors que la BCE tente (en vain jusqu'à présent) de relancer l'inflation, très faible depuis des mois en zone euro.
Craintes de déflation En octobre, la hausse des prix a légèrement accéléré à 0,4% selon une première estimation, après 0,3% en septembre, mais reste très éloignée de l'objectif d'un peu moins de 2% poursuivi par la BCE. "Les prévisions d'inflation basées sur les marchés ont à nouveau reculé depuis" le mois dernier, précise Michael Schubert, de la banque Commerzbank, ce qui alimente les craintes de déflation, phénomène de baisse générale des prix et des salaires particulièrement néfaste pour l'économie. Certains pays sont déjà touchés, notamment l'Espagne où les prix ont reculé de 0,2% en octobre. Signal encourageant, les derniers indicateurs de conjoncture pour la zone euro se sont révélés "meilleurs que ce qui était craint", souligne Carsten Brzeski, économiste chez ING, mais la "reprise économique faible reste décevante", ajoute son confrère de Natixis Johannes Gareis. Pour endiguer cette tendance, la BCE a dévoilé en juin puis en septembre un vaste arsenal de mesures destinées à fluidifier le crédit sur le Vieux continent, et par ricochet redynamiser son économie. Cette boîte à outils comprend un programme de prêts de longue durée très bon marché (TLTRO) accordés aux banques, à condition que celles-ci prêtent plus généreusement aux entreprises, des achats d'obligations sécurisées (covered bonds) depuis le mois d'octobre et de titres adossés à des actifs (ABS) à partir de novembre.
"Monsieur non" Décidée à frapper fort, l'institution veut ramener la taille de son bilan à son niveau de début 2012, ce qui implique un gonflement d'environ 1 000 milliards d'euros. Problème, le premier TLTRO a rencontré peu de succès auprès des banques, tandis que les premiers achats d'obligations sécurisées n'ont guère fait d'étincelles, avec moins de deux milliards d'euros de titres acquis. Selon les analystes, certains établissements de crédit ont préféré jouer la prudence dans l'attente de connaître le résultat d'un vaste examen de santé du secteur bancaire, dévoilé dimanche dernier par la BCE, et pourraient désormais se montrer plus actifs. Mais l'institution monétaire risque de "ne pas attendre de mesurer l'impact définitif de ses mesures" pour agir davantage, anticipe Jennifer McKeown, de Capital Economics. Selon cette analyste, des rachats de dettes publiques (Quantitative easing ou "QE") - sur le modèle de la Fed américaine - "risquent d'être nécessaires en dernier recours pour garantir une expansion du bilan de la BCE" suffisante pour relancer l'inflation. Certains de ses membres y sont toutefois très réticents, à l'image du président de la Bundesbank allemande Jens Weidmann, dont les rapports avec Mario Draghi se sont nettement dégradés ces derniers mois, l'Italien surnommant en privé l'Allemand "Monsieur Non", selon la presse.