Après une année 2014 exceptionnelle sur le marché de la dette où les records se sont succédé, les investisseurs espèrent que la Banque centrale européenne (BCE) prolongera le miracle en 2015. Au cours de l'année écoulée, beaucoup ont dû se pincer pour le croire: personne n'imaginait en effet que le taux de l'emprunt allemand à 10 ans (le "Bund"), la référence du marché obligataire, passerait sous les 1%. Face à un environnement perturbé, entre la chute des prix du pétrole, la crise en Ukraine et en Russie ou les élections en Grèce, les investisseurs ont en effet plébiscité les placements les plus sûrs, comme la dette des Etats. En échange de la sécurité, ils ont accepté une rémunération moindre. En fin d'année, les records sont devenus quasiment quotidiens. Et les pays les plus solides en Europe sont désormais talonnés de près par ceux du Sud, Espagne en tête. "Nous avons rarement vu de telles performances pour un portefeuille de titres obligataires", explique Patrick Jacq, un stratégiste de BNP Paribas, "et les résultats ont été très homogènes pour tous les pays de la zone euro". "Personne n'avait vraiment anticipé ce scénario-là, car personne ne disposait des éléments qui ont provoqué ce mouvement" comme les incertitudes géopolitiques ou le recul de l'inflation, détaille-t-il. "La croissance nominale en zone euro s'est révélée plus faible qu'anticipé et la réponse des autorités monétaires a en revanche été plus forte qu'envisagé", souligne également Axel Botte, stratégiste obligataire de Natixis AM. Pour Zeina Bignier, responsable des émissions de dette souveraine chez Société Générale, "le point marquant de cette année, a été l'abondance de liquidités, signe de la normalisation et d'un retour de la confiance qui a contribué à une très forte baisse des taux". Car de l'avis général, le retour à la normale s'est poursuivi en 2014 et, Grèce mise à part, les dernières séquelles de la crise de la dette sont effacées. "La Grèce est vraiment un cas particulier" et ses difficultés "n'ont généré que très peu de contagion" sur ses voisins contrairement à 2010 et 2012, note M. Botte.
La BCE poussée à agir Avec une barre placée aussi haut en 2014, l'année 2015 s'annonce forcément moins dorée. "Pour 2015, une chose nous paraît assez certaine, les performances, en particulier pour les pays comme l'Allemagne ou la France peuvent difficilement être aussi bonnes", relève M. Jacq. Mais le salut est une nouvelle fois attendu du côté des banques centrales, dont l'influence reste dominante, avec toutefois un changement majeur, puisque c'est désormais la BCE qui se prépare à endosser les habits du Père Noël que la Réserve fédérale américaine vient de quitter. Après l'arrêt progressif par la Fed de ses rachats massifs d'actifs, la BCE a ainsi commencé à prendre le relais. Le risque déflationniste n'étant pas enrayé et la croissance toujours atone, la pression est allée croissante pour pousser la BCE vers un programme plus large incluant l'achat de titres de dettes. Et lors de la dernière réunion, son président, Mario Draghi, a laissé la porte ouverte à un tel geste. "Le fait que l'inflation va rester très basse et que les investisseurs s'attendent à ce que la BCE se lance dans des rachats massifs de dettes souveraines" font partie des éléments qui vont continuer à soutenir le marché obligataire, analyse M. Jacq. "Ceux qui vont peser, développe-t-il, sont la potentielle stabilisation de l'inflation et la remontée progressive des taux directeurs aux Etats-Unis". In fine, peu d'experts tablent sur une franche remontée des taux d'emprunt. "La croissance devrait être un peu plus soutenue, ce qui fera remonter légèrement les taux d'emprunt. Pour autant, un Bund au-delà d'1,50% paraît peu probable à ce stade", confirme ainsi M. Botte. "Les taux peuvent difficilement aller plus bas, mais ils resteront bas quand même en 2015 avec un début de remontée plus net à partir de 2016, si la croissance se confirme", affirme aussi Mme Bignier. Car selon elle, "l'effondrement du pétrole, couplé à la baisse de l'euro va libérer des marges de croissance en 2015, ce qui permet d'être un peu plus optimiste et d'envisager une accélération de la croissance européenne au dernier trimestre".
Programme d'emprunts des principaux pays en 2015 Les pays de la zone euro vont lever 913 mrd EUR sur les marchés en 2015 pour financer leurs déficits, contre 936 mrd en 2014, selon les projections réalisées mi-décembre par la banque Natixis. Voici le programme pour 2015 des émissions d'obligations des principaux pays de la zone euro. Ces chiffres ne concernent en principe que les emprunts obligataires (échéance de plus d'un an), sauf indication contraire. Ils n'incluent donc pas les émissions de court terme. Le rendement du taux à 10 ans fourni correspond aux données de Bloomberg du 29 décembre à la clôture sur le marché secondaire, où s'échange la dette déjà émise.
France L'Agence France Trésor (AFT) prévoit de lever 187 milliards d'euros d'obligations à moyen et long termes sur les marchés en 2015, soit légèrement plus que les montants prévus en 2014, où ses taux d'emprunt sur le marché secondaire ont atteint des plus bas historiques. Elle a mené cette année un programme de financement de 173 milliards d'euros. Rendement de l'OAT à 10 ans: 0,831%.
Irlande "Les besoins de financement pour 2015 sont évalués à 8,7 milliards d'euros", selon un porte-parole du ministère des Finances. "Mais les besoins de l'Etat sont déjà complètement financés pour 2015 et les émissions de 2015 serviront donc à anticiper les besoins pour 2016", a-t-il précisé. Rendement de l'obligation irlandaise à 10 ans: 1,268%
Portugal Selon le projet de budget 2015 du Portugal, le pays devrait émettre des obligations (à moyen et long terme) à hauteur de 12 milliards d'euros, dont 6,6 milliards d'euros de remboursement, soit un besoin de financement net de 5,4 milliards d'euros. En tout, en incluant la dette à court terme et celle auprès de particuliers, le besoin de financement net du Portugal s'élèvera en 2015 à 7,7 milliards d'euros. Rendement de l'obligation portugaise à 10 ans: 2,753%.
Grèce Le pays n'a pas annoncé de projet précis d'émission d'obligations à moyen-long terme pour 2015. En avril 2014, la Grèce est revenue pour la première fois sur le marché obligataire depuis l'éclatement de la crise en 2010, avec le placement de 3 milliards d'euros à cinq ans, un succès puisque l'obligation avait été sursouscrite huit fois. Elle a tenté de revenir en juillet, avec une obligation à trois ans, mais a été victime des déboires, le même jour, de la Banque portugaise Espirito Santo. Du coup, elle n'avait levé ce jour-là qu'1,5 milliard d'euros alors que, selon des rumeurs de marché, elle espérait placer 2,5 à 3 milliards d'euros. Rendement de l'obligation grecque à 10 ans: 9,532%.
Allemagne La Finanzagentur, qui gère la dette allemande, devrait emprunter 185,5 milliards d'euros dont 147 milliards d'euros à moyen et long terme, soit moins que les 205 milliards d'euros initialement prévus cette année. En 2014, les taux d'emprunt allemands ont touché des plus bas historiques. Rendement du Bund allemand à 10 ans: 0,544%
Belgique Le Trésor belge prévoit des besoins de financement pour 2015 de 39,90 milliards d'euros, contre 38,77 milliards d'euros en 2014. L'agence de la dette prévoit d'émettre pour 32,5 milliards d'euros d'obligations à moyen et long terme (OLO), contre 31,82 milliards d'euros émis en 2014. Rendement de l'OLO belge à 10 ans: 0,846%
Pays-Bas L'Etat néerlandais aura besoin de 94,4 milliards d'euros en 2015 contre 93,7 milliards d'euros programmés en 2014. Le montant prévu pour des émissions d'obligations de moyen et long terme s'élève à 48 milliards d'euros. Rendement de l'obligation néerlandaise à 10 ans: 0,681%.
Espagne Le Trésor espagnol n'a pas rendu public ses prévisions pour 2015. Les économistes de Natixis tablent sur un programme de 122 milliards d'euros contre 136 milliards d'euros en 2014. Le pays a profité de la détente des marchés pour boucler dès le 21 novembre son programme de refinancement à moyen et long terme pour 2014. L'année a en effet été marquée par une nette descente des taux d'emprunts espagnols qui ont touché leurs plus bas historiques. Rendement du Bono espagnol à 10 ans: 1,673%.
Italie Le Trésor italien n'a pas diffusé d'objectifs pour les opérations prévues en 2015. Les économistes de Natixis tablent sur un programme 260 milliards d'euros contre 269 milliards d'euros en 2014. L'année a aussi été marquée par une nette descente des taux d'emprunts italiens avec également des records historiques à la baisse. Rendement du BTP italien à 10 ans: 1,982%