Le président russe Vladimir Poutine, la chancelière allemande Angela Merkel et le chef de l'Etat français François Hollande se penchaient avant-hier à Moscou sur les solutions visant à mettre fin au plus vite à la guerre civile en Ukraine. Moscou attend de cet entretien des décisions concrètes tenant compte des suggestions antérieures du président russe. Les experts pensent que cet objectif sera difficile à atteindre dans la mesure où les USA ne participent pas à la rencontre, et estiment que le problème principal pourrait être la divergence d'intérêts des acteurs du conflit - Kiev et les républiques autoproclamées. Les analystes s'accordent également sur le fait que l'aggravation de la situation dans le Donbass en janvier n'est bénéfique pour personne, et que certaines garanties, notamment le statut de non-aligné de l'Ukraine, pourraient être un gage du retour au processus de paix. A la veille de leur visite à Moscou, la chancelière allemande et le président français se sont entretenus avec les autorités de Kiev. "Poutine, Merkel et Hollande ont prévu de se rencontrer pour déterminer ce que les trois pays pouvaient faire concrètement afin de contribuer à la cessation la plus rapide possible de la guerre civile dans le sud-est de l'Ukraine, qui s'est significativement exacerbée ces derniers jours, occasionnant de nombreuses victimes", a déclaré le porte-parole du président russe Dmitri Peskov. Poutine a abordé jeudi avec les membres du Conseil de sécurité de Russie la situation dans l'est de l'Ukraine compte tenu des contacts à venir. Les négociations se tiendront aux alentours de 17 heures, quelques heures avant celles des experts - également au niveau trilatéral. Selon le conseiller du président russe Iouri Ouchakov, Moscou a l'intention de "mener les discussions en espérant aboutir à des accords qui contribueraient à normaliser la situation, à établir un dialogue direct entre Kiev et les représentants du Donbass, aux négociations du groupe de contact et au rétablissement des liens économiques entre Kiev et le sud-est". Le Kremlin espère que le plan de Merkel et de Hollande pour l'Ukraine est complexe et tient compte des propositions de Vladimir Poutine. Plus tôt, François Hollande avait mentionné que les dirigeants de l'Allemagne et de la France souhaitaient déboucher sur des accords satisfaisants pour toutes les parties en conflit. Il avait noté également que Vladimir Poutine et le président ukrainien Piotr Porochenko devaient minutieusement peser toute la responsabilité qui reposait sur eux dans le règlement du conflit ukrainien.
Le facteur américain Le secrétaire d'Etat américain John Kerry, qui s'est rendu en visite à Kiev jeudi, n'assistera pas à l'entretien entre les trois dirigeants à Moscou. Selon Iouri Ouchakov, il avait fait part de sa volonté de s'y rendre et avait obtenu une réaction positive de la Russie, "mais il ne parvient toujours pas à venir, pour une raison ou pour une autre". Les USA espèrent que Kerry rencontrera le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov à Munich le samedi 7 février. Comme le note l'analyste de l'Institut d'études humanitaires et politiques Vladimir Slatinov, dans ce conflit les USA jouent le rôle du plus fervent défenseur des intérêts de Kiev, et la visite de Kerry dans la capitale ukrainienne, coïncidant pratiquement avec le début des négociations avec Hollande et Merkel, n'est pas un hasard. L'expert est persuadé que Kiev cherche le soutien de l'Amérique pour renforcer sa position dans les négociations, tandis que les USA ne sont pas aussi intéressés que les Européens par une rapide sortie de crise - le conflit est effectivement beaucoup moins douloureux pour eux. "La présence de ce facteur américain crée une tension supplémentaire dans ces négociations, dont l'objectif est de parvenir à un compromis historique. Mais en fin de compte, les parties souhaitent ce compromis", estime l'analyste. Dmitri Abzalov, président du Centre des communications stratégiques, déclare que la tentative européenne de "recouvrer le statut de principal acteur dans les négociations est logique, d'autant que l'économie européenne a davantage souffert du conflit dans le sud-est de l'Ukraine que l'économie américaine". Dans tous les cas, les politologues soulignent que cette visite des dirigeants européens à Moscou est un bon signal, bien qu'il soit difficile de prédire le succès de la mission. Nikolaï Kavechnikov, chef de la chaire d'intégration européenne de l'Institut des relations internationales de Moscou (MGIMO) du ministère russe des Affaires étrangères et expert du Conseil russe pour les affaires internationales, pense que le sort des relations russo-européennes dépend également des questions qui seront soulevées pendant cette réunion. "Il ne s'agit pas simplement de l'assouplissement des sanctions mais aussi du développement stratégique des relations.
Pierre d'achoppement Les experts pensent que le problème principal pourrait être la divergence d'intérêts des acteurs du conflit - Kiev et les républiques autoproclamées. Vladimir Slatinov est d'avis que Kiev n'acceptera pas une option excluant son contrôle politique réel sur les territoires des régions de Donetsk et de Lougansk ou permettant aux républiques d'obtenir une autonomie maximale, la transparence des frontières avec la Russie, tout en recevant des subventions et des financements du gouvernement central. D'un autre côté, les insurgés des républiques de Donetsk et de Lougansk souhaitent une autonomie maximale, une indépendance envers Kiev et une orientation vers Moscou. "Je pense que ce sera la principale pierre d'achoppement des discussions - même pas la Crimée. Si je comprends bien, la reconnaissance de facto de la Crimée russe pourrait avoir lieu, comme, d'ailleurs, le statut de non-aligné de l'Ukraine… Personne n'attend vraiment l'Ukraine dans l'Otan, en d'autres termes, en principe, l'Occident est également prêt à se résigner au statut de non-aligné de l'Ukraine", pense l'analyste. Le directeur adjoint du Centre d'études ukrainiennes et biélorusses à l'Université d'Etat Lomonossov de Moscou, Bogdan Bezpalko, estime que les efforts qui seront entrepris par les Allemands et les Français sont "parfaitement transparents - il s'agit d'empêcher l'anéantissement de Debaltsevo". La ville de Debaltsevo se trouve dans l'est de la région de Donetsk, où sont concentrées d'importantes forces ukrainiennes - entre 8 et 10 000 hommes selon les sources. Cette ville fait partie des points les plus chauds de la confrontation entre l'armée et les insurgés dans le Donbass. L'expert doute que les entretiens futurs puissent déboucher sur la paix ou un statut acceptable pour le Donbass. "Ce ne sont que des manœuvres tactiques visant à redresser la situation provoquée par une puissante contre-offensive des insurgés", prédit Bogdan Bezpalko. Il suppose qu'on montrera une "forte aspiration à la paix, à la médiation, à la préservation de la vie, mais de facto il s'agira simplement d'une pression sur les insurgés par le biais de Moscou".
Reprise des opérations militaires dans le Donbass La situation s'est considérablement dégradée dans le Donbass en janvier, après que les troupes ukrainiennes, profitant de la trêve et en renforçant leurs positions dans le sud-est du pays, ont commencé à bombarder les positions des insurgés, en commençant par une opération d'envergure à l'aéroport de Donetsk. L'état-major ukrainien a déclaré que l'armée ukrainienne avait "suffisamment de forces et de moyens pour porter une attaque définitive". Sachant que le chef d'état-major Viktor Moujenko a reconnu, en dépit de ses nombreuses accusations proférées auparavant vis-à-vis de Moscou, qu'il n'y avait pas d'unités russes sur le territoire du pays. Après une forte augmentation du nombre de victimes civiles, les insurgés ont annoncé qu'ils comptaient "reculer la ligne de front" pour éviter les bombardements des quartiers résidentiels. Debaltsevo, où un grand groupe de militaires ukrainiens s'est fait encercler, fait partie des points les plus chauds de la confrontation entre l'armée et les insurgés dans le Donbass.