Le Mistral "Sébastopol", un bâtiment de projection et de commandement (BPC) construit pour la Russie aux chantiers navals de STX France de Saint-Nazaire, a effectué sa première sortie en mer, selon le quotidien Nezavissimaïa gazeta. Le lundi 16 mars à 15h heure de Moscou, le Sébastopol accompagné par plusieurs remorqueurs s'est rendu dans le golfe de Gascogne pour ses premiers essais. Son équipage est composé exclusivement de spécialistes français de STX. Le BPC rentrera à Saint-Nazaire vendredi soir. Le Mistral passe donc les essais sous pavillon français, sans représentant russe à son bord. Toutefois, certains commentaires prudents supposent que la France prépare tout de même le Sébastopol pour un transfert à la Russie. Construit dans une configuration différente du premier BPC, Vladivostok, qui était un porte-hélicoptères à part entière, le second est adapté au débarquement de véhicules blindés. L'agence fédérale russe d'exportation d'armements Rosoboronexport et la société française DCNS avaient signé en juin 2011 un contrat pour la construction de deux BPC. Lorsque le premier Mistral avait effectué les essais en mer, deux équipages russes suivaient à son bord une formation pour se familiariser avec les commandes du porte-hélicoptères. Le transfert du Vladivostok à la marine russe était prévu pour novembre 2014 mais n'a pas eu lieu. De nombreux pays de l'Otan, notamment les USA, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la Pologne, ont commencé à exiger de la France d'annuler la livraison des Mistrals à la Russie. Paris a subi une pression sans précédent. Les membres de l'Otan insistaient sur le transfert du premier BPC uniquement si la situation changeait dans le sud-est de l'Ukraine et si la Russie renonçait au soutien des insurgés de Donetsk et de Lougansk. Et le président français François Hollande a cédé à cette pression. Il a annoncé à plusieurs reprises l'absence de conditions nécessaires pour que son pays honore ses engagements contractuels devant la Russie. Mais mi-février, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a annoncé sur la radio RMC que la livraison des Mistrals à la Russie n'était plus à l'ordre du jour. Au même moment, l'Inde déclarait définitivement renoncer à l'achat de 126 Rafales français. Les militaires indiens qui ont suivi de près les péripéties du Mistral ont perdu toute confiance envers la France en tant que partenaire. Mais même ce fiasco pour la réputation de Paris n'a pas fait changer sa position. Le Premier ministre Manuel Valls a déclaré la semaine dernière au quotidien polonais Gazeta Wyborcza que la France avait pris la décision de renoncer aux livraisons des BPC à la Russie "souverainement, en dehors de toute pression, en dépit des importantes conséquences financières". Hors les conséquences se font déjà sentir. D'après le Télégramme, DCNS/STX doit débourser 2,5 millions d'euros par mois pour la sécurité et l'entretien du Vladivostok au port de Saint-Nazaire. Si une fois terminé le second Mistral n'était pas non plus livré, les dépenses imprévues doubleraient. Et la France semble ignorer quoi faire avec ces navires dont personne n'a besoin en Occident. Cette situation est bénéfique pour la Russie. Le directeur général de Rosoboronexport Anatoli Issaïkine a déclaré hier que dans tous les cas, la France rendrait à la Russie l'argent avancé pour les Mistrals, voire paierait une pénalité supplémentaire dont le montant sera déterminé par la Cour d'arbitrage. Mais cela prendra du temps. C'est pourquoi les négociations semblent se poursuivre avec la partie française. Anatoli Issaïkine a affirmé que la Russie prendrait une décision définitive d'ici fin avril. Il est fort probable qu'elle exige une pénalité - un paiement comptant est préférable aujourd'hui pour la Russie au regard de la hausse du taux de change.
La position de Paris conforme aux intérêts de l'Europe L'amiral français Alain Coldefy, expert à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), a parlé à l'agence Sputnik de la situation autour du contrat pour la livraison des BPC français Mistral à Moscou.
La France maintient sa position indépendante C'est une polémique essentiellement politique au sein de l'Alliance atlantique et qui a été montée en épingle au moment du sommet de l'Otan au Pays de Galles à l'automne 2014. La position indépendante de la France lui permet de conduire une politique étrangère en fonction de ses intérêts propres, et de sa volonté de construire une Europe démocratique solide. Les plus grands alliés européens commercent avec la Russie (Allemagne avec le gaz, Royaume-Uni avec des accords sur des composants sensibles) et il est facile de montrer du doigt la France quand on veut qu'elle accepte sans discuter un communiqué final le plus souvent conforme aux intérêts du plus grand allié. Le président a laissé passer les premiers créneaux possibles de livraison à la Russie des BPC avant que la situation en Ukraine ne devienne ce qu'elle est. En particulier, il a fixé des conditions politiques sur ce sujet et il ne peut revenir en arrière. Le pari de la stabilisation en Ukraine a visiblement échoué et il est désormais conforme aux intérêts de la France de faire position commune avec ses partenaires européens, l'Allemagne en tout premier.
Une éventuelle vente des navires à Washington serait insensée L'hypothèse que la France vend les navires aux Etats-Unis à la place de Moscou n'a pas de sens. Le BPC est un bâtiment polyvalent dont la France s'est dotée. La marine américaine dispose de trente navires modernes pour remplir les missions. Compte tenu du gigantisme des armées américaines, ces dernières préfèrent avoir des flottes dédiées et non polyvalentes, on l'a vu avec le contrat des tankers et le match entre Boeing et Airbus. L'industrie de défense française dispose d'un avantage qualitatif majeur car elle possède les capacités d'intégrateur de systèmes très complexes dans l'aéronautique, l'espace et le naval. L'industrie navale militaire française est la seule dans le monde avec les Etats-Unis à réaliser des porte-avions à propulsion nucléaire, des sous-marins nucléaires lanceurs de missiles stratégiques français et des sous-marins nucléaires d'attaque qui comporte des millions de lignes de calcul pour l'intégration des systèmes embarqués. Mais il n'est pas question de les exporter, y compris au sein de l'Alliance. Cette industrie est donc confrontée à une compétition commerciale à l'exportation, indispensable pour un équilibre économique. Les concurrents sont nombreux, les marines clientes ont rarement le niveau de qualification technologique de la marine française et les coûts de fabrication sont souvent inférieurs aux coûts de main- d'œuvre en France. La crédibilité à l'exportation n'a pas de sens. Nous sommes dans un marché de la demande, une demande d'Etat. Chaque Etat se détermine en fonction de ses besoins et chaque contrat d'armement est unique. La crédibilité ne se joue donc pas sur la concurrence mais sur la fiabilité d'exécution du contrat et bien souvent des contrats d'armement précédents.