Le gel de la production de pétrole de l'Arabie saoudite et de la Russie au niveau de janvier n'aura que peu d'impact sur les marchés du brut, assommés par la surabondance de l'offre, et où seule une baisse significative de la production pourrait inverser la tendance et rassurer l'économie mondiale. Les deux plus gros pays producteurs de brut, associés au Qatar et au Venezuela, se sont mis d'accord mardi pour geler leur production de pétrole à ses niveaux de janvier, espérant ainsi stabiliser les marchés pétroliers, alors que l'or noir a perdu jusqu'à 70% de sa valeur depuis la mi-2014, tombant aux alentours de 30 dollars le baril. Mais cet accord a peu de chances d'entraîner un rebond des prix, selon plusieurs experts interrogés. Pour faire remonter les prix, les marchés n'ont pas besoin d'un gel, il leur faut une baisse, et une baisse significative, estime Francis Perrin, président de Stratégies et politiques énergétiques. Si les cours du brut ont immédiatement réagi à cette annonce avec des hausses entre 40 et 50 cents des principaux indices pétrolier, sur du plus long terme, cela ne change pas vraiment la donne, on aura toujours cet excès d'offre, note Christopher Dembik, analyste chez Saxo Banque. Après que l'ensemble des pays producteurs ont largement pompé dans une course effrénée aux parts de marché depuis plus d'un an, ce gel ne change rien aux fondamentaux du marché parce que, parmi les quatre pays, il n'y en a aucun dont on attendait encore une augmentation substantielle de production, ajoute Jean-Marie Chevalier, professeur émérite à l'université Paris-Dauphine et expert du secteur. Une annonce symbolique donc, selon M. Perrin, mais qui augure peut-être d'actions plus importantes dans les mois qui viennent -- les ministres des pays membres de l'Opep se réunissannt en juin prochain -- et qui pourraient, elles, avoir un impact réel sur le marché. Le ministre saoudien du Pétrole Ali al- Nouaïmi, a ainsi indiqué qu'il s'agissait du début d'un processus et que d'autres mesures pourraient être envisagées si nécessaire, alors que l'Opep estime l'excédent d'offre à 2 millions de barils par jour (mbj) en 2015. On peut espérer que cela crée une dynamique et que d'autres pays producteurs, membres de l'Opep ou non, disent: +nous aussi on va apporter notre contribution+, avance M. Perrin. Parmi eux, certains, comme l'Algérie, le Nigeria, l'Angola, souffrent des prix bas du pétrole qui pèsent sur leur budget. IRAN Un accord de l'Opep sur la baisse de la production ferait aussi les affaires des Etats-Unis, devenus arbitre du marché du pétrole grâce au boom des hydrocarbures de schiste. Ce serait une bouffée d'air frais, non seulement pour le secteur pétrolier qui a connu 39 faillites de PME dans le secteur en 2015, mais aussi pour les banques américaines qui ont beaucoup prêté au secteur pétrolier, estime M. Dembik. L'économie mondiale, ajoute-til, pourrait également en tirer des bénéfices même au-delà des matières premières, dont les prix ont chuté dans la foulée du pétrole, et notamment en Europe où on s'inquiète de plus en plus du risque de déflation. Mais si la dynamique lancée par cet accord consiste à faire que d'autres pays gèlent leur niveau de production, on ne sera pas plus avancés, nuance Francis Perrin. D'autant que d'autres producteurs, notamment l'Irak et l'Iran, ont affiché ces derniers mois leur ferme volonté d'augmenter leur production. Dans la foulée de cette annonce, le ministre vénézuélien du Pétrole Eulogio del Pino, doit d'ailleurs rencontrer mercredi à Téhéran ses homologues iranien et irakien. Pour les convaincre de rejoindre le mouvement ? Je doute très clairement que ce soit la volonté de l'Iran, avance Christopher Dembik, alors que le pays, grand rival du royaume saoudien, vient justement de voir levées les sanctions internationales l'empêchant d'exporter son brut. Les Saoudiens ont augmenté leur production et maintenant que les Iraniens veulent augmenter la leur, ils annoncent un gel, le duel est absolument clair, estime Pierre Terzian, directeur de Petrostratégies. BP MEFIANTE Bob Dudley, le directeur général de la compagnie pétrolière britannique BP s'est dit "très pessimiste" concernant l'évolution des prix du pétrole au premier semestre 2016, estimant que le rééquilibrage du marché n'interviendrait pas avant la seconde partie de l'année. "Nous sommes vraiment pessimistes pour la première moitié de cette année" concernant les prix du pétrole, a déclaré M. Dudley lors d'une conférence organisée dans le cadre de l'International Petroleum (IP) Week à Londres. Le directeur général de BP a notamment estimé que les six premiers mois de l'année s'annonçaient "très variables" et "volatiles" pour les prix, avant que le marché ne parvienne à se rééquilibrer vers la fin de 2016. "A un moment donné, dans la seconde partie de l'année, au troisième ou au quatri ème trimestre, nous pensons en fait qu'un équilibre journalier entre l'offre et la demande au niveau mondial" va intervenir, a poursuivi M. Dudley. "A ce moment-là, chaque réservoir de stockage et chaque piscine dans le monde sera rempli (de pétrole). Et le marché commencera alors à arrêter les frais", a jugé le directeur général de BP. "Je pense que nous allons alors commencer à voir les fondamentaux reprendre le dessus", a-t-il ajouté, soulignant que même s'il ne s'attendait pas à ce que le pétrole s'échange de nouveau à 100 dollars le baril de sitôt, "le cycle des matières premières n'était pas terminé" pour autant. Le prix du baril a fondu de 47% en 2015 par rapport à l'année précédente, atteignant 52 dollars en moyenne, et de plus de 70% depuis juin 2014, victime d'une offre excédentaire alimentée par la guerre de parts de marché entre le pétrole de l'Opep, Arabie saoudite en tête, et les hydrocarbures de schiste américains. Les cours du Brent et du WTI sont même tombés fin janvier à des plus bas en près de 13 ans, passant respectivement sous la barre des 28 et 27 dollars, avant de se redresser légèrement. "Quatre cents milliards de dollars de projets ont été différés ou annulés (...). Certains groupes peuvent voir une activité équivalente à un millier de milliards de dollars être reportée aux trois prochaines années. Cela va provoquer une nouvelle réaction du marché", a ainsi prédit M. Dudley. La compagnie pétrolière britannique a subi de plein fouet l'an passé la forte baisse des cours du pétrole et du gaz, accusant en 2015 une lourde perte de 6,5 milliards de dollars. Comme ses concurrents, BP a commenc é à réduire la voilure face à la chute des cours en réduisant ses investissements et ses effectifs. Le groupe prévoit environ 4 000 suppressions de postes - déjà annoncées - parmi ses employés et sous-traitants en 2016 dans l'amont ainsi que jusqu'à 3 000 supplémentaires dans l'aval d'ici la fin de 2017.