Le pouvoir politique interfère et propose ses candidats à la succession d'Alexandre de Juniac alors que les pointures venues du privé se tiennent à l'écart. La nomination du PDG d'Air France-KLM en remplacement d'Alexandre de Juniac, démissionnaire, semble être remontée à l'Elysée, nous indique un proche du dossier. Les prestations passées du tandem Valls-Macron sont jugées médiocres. Il leur est reproché d'avoir renouvelé De Juniac à la tête du groupe aérien en mars 2015 et d'essuyer un échec avec l'ancien conseiller du Premier ministre Gilles Gateau lors de ses premières négociations sociales. Aussi n'est-il pas étonnant de voir apparaître en tête de liste, selon Les Echos, deux candidats issus de la sphère " hollandaise ", l'ex-directeur général de GDF Suez, Jean-François Cirelli, et Jean-Marc Janaillac, PDG de Transdev. L'un possède, entre autres, des attaches corréziennes, l'autre, énarque, est issu de la même promotion que François Hollande. Certes, l'Etat ne dispose plus que de 17,6 % du capital, mais considère toujours la compagnie nationale comme une chasse gardée gouvernementale.
Rien avant les élections Ce mélange des genres qui tua nombre de compagnies aériennes dans le monde s'accompagne pour le groupe franco-néerlandais d'un calendrier difficile à court comme à moyen terme. Le successeur d'Alexandre de Juniac doit être nommé rapidement, d'ici au 19 mai, date de la prochaine assemblée générale d'Air France-KLM qui validera le choix. Le mois suivant, l'Euro de foot peut donner lieu à des tensions sociales dans la compagnie. La proximité de l'élection présidentielle en France paralysera aussi le nouveau patron de la compagnie, qui ne pourra rien entreprendre d'ici là et devra céder face au moindre conflit social. On l'a vu récemment. Sur un simple appel de Laurence Rossignol, ministre des Droits de la femme, le DRH a cédé sur le voile en Iran et a donné la possibilité aux équipages de refuser le vol. Sur le terrain, passées la mise en place du nouveau gouvernement et les vacances, c'est seulement à la rentrée d'automne 2017 que pourront être envisagées d'éventuelles réformes.
Salaire modeste La feuille de route qui compte plus d'interdits que d'objectifs est d'autant plus démotivante que le salaire prévu du PDG est " modeste ". Celui annoncé pour De Juniac en 2016 est de 600 000 euros, presque le salaire d'un pilote. Dans l'industrie, les émoluments annuels comptant un zéro de plus ne sont pas rares. Certes, une rémunération variable est prévue, liée aux résultats financiers, à la satisfaction des passagers et à la réduction des coûts. Une mission impossible dans le contexte social actuel.
Pas de dauphin connu Emanation du conseil d'administration d'Air France-KLM, le comité de nomination et de gouvernance est composé de trois membres (Cornelis J. A. van Lede, Jean-François Dehecq, Jean-Dominique Comolli) qui étudient les candidatures, mais peuvent aussi en solliciter, éventuellement assisté par un cabinet de recrutement. Généralement, deux entretiens sont prévus, l'un assez général, l'autre plus orienté sur le projet du candidat dans l'entreprise. Ces auditions n'ont pas lieu au siège de l'entreprise. " Le processus de succession va être rigoureux et efficace, mais surtout confidentiel, dans l'intérêt de l'entreprise ", nous a indiqué Alexandre de Juniac, qui n'a pas de dauphin ou ne l'a pas fait savoir. La candidature peut être interne ou externe à l'entreprise. Rien n'est écrit dans les statuts à ce sujet de même qu'un éventuel choix d'un dirigeant hollandais. Ce qui serait très mal perçu par le personnel français d'autant plus que plusieurs secteurs clés du groupe (pricing, yield management, marketing, programme, flotte) sont maintenant pilotés d'Amsterdam. Le comité de nomination présente ensuite son choix au conseil d'administration.
Antinori préfère rester à Emirates et Brégier à Airbus Les grandes pointures ne se bousculent pas. Thierry Antinori, le Français numéro deux d'Emirates, a fait savoir qu'il n'était pas candidat. Son profil était très intéressant. Ayant débuté à Air France, puis ayant monté les marches pour arriver au sommet de Lufthansa comme directeur général, il n'a pas été séduit par le poste. Celui de patron d'Emirates, bientôt la plus grande compagnie mondiale, lui tend les bras, à terme. Et un salaire en conséquence. De même, Fabrice Brégier, PDG d'Airbus, même s'il souffre à Toulouse de l'ombre de Tom Henders, PDG d'Airbus Group, a décliné. Probablement trop de problèmes à gérer pour une rémunération de misère, du moins à l'échelle de ces grands patrons mondiaux. Autre dirigeant d'envergure qui s'est récusé, Olivier Piou, le directeur général de Gemalto, vient pourtant de quitter le leader des cartes à puce, premier fabricant mondial de cartes SIM. Idem pour Alexandre Bompard (ex-Fnac).
Incompatibilité conjugale Guillaume Pepy, PDG de la SNCF, régulièrement cité depuis des années, semble être entré dans le club des " has been ", traînant à concrétiser le projet de réforme ferroviaire. Sa directrice générale Florence Parly, intéressée aussi par le poste de Juniac, connaît bien Air France où elle a restructuré l'activité cargo. Elle n'y a pas laissé un bon souvenir auprès du personnel. Puis, une fonction vidée de sa substance lui a été confiée où elle faisait le même métier que Lionel Guérin, directeur général délégué de HOP! Air France. De plus, son mari, Martin Vial, dirige l'Agence des participations de l'Etat, ce qui semble incompatible. Autre nom qui circule, celui de Philippe Boisseau qui vient de quitter Total où il occupait les fonctions de direction des activités marketing et services et énergies nouvelles.
Parachutée de Matignon La candidature évoquée récemment de Véronique Bedague-Hamilius, la directrice de cabinet de Manuel Valls, est typiquement le choix qui hérisserait le personnel d'Air France, très inquiet d'assister à un parachutage politique d'un dirigeant n'ayant aucune légitimité dans le transport aérien. Certes, la tendance est à la reconversion dans les cabinets ministériels en prévision du naufrage annoncé de la présidentielle. En externe, le nom de Jean-François Cirelli, l'ancien vice-président et directeur général de GDF Suez, émerge même si sa compétence aéronautique reste à prouver. Son actuelle présidence France, Belgique et Luxembourg de BlackRock (gestion d'actifs) serait une transition. Jean-Marc Janaillac, PDG de Transdev, malgré son âge, 63 ans, appartient aussi aux favoris. Son atout majeur réside dans sa carrière, effectuée essentiellement dans les transports. De masse comme la RATP. Générateur des conflits sociaux avec la CGT des marins comme à Transdev actionnaire de la SNCM. Et aérien avec la compagnie française AOM en 1997 pendant quatre ans avant la chute avec Swissair Group.
Tandem Gagey-Guérin Restent les candidatures internes, non révélées par les prétendants, mais faciles à imaginer. Frédéric Gagey, l'actuel PDG d'Air France, semble le mieux placé pour le poste à Air France-KLM. Ayant débuté à Air Inter avant la fusion, il connaît bien le fonctionnement de la compagnie nationale. Plusieurs années en poste à Amsterdam comme directeur financier de KLM lui ont permis d'être apprécié par la partie néerlandaise et il parle la langue batave couramment. Pour lui succéder à Air France, le nom de Lionel Guérin circule, mais il faudrait que les deux hommes s'entendent mieux que De Juniac et Gagey. Guérin, qui dirige actuellement HOP! Air France, a réussi à fusionner les filiales régionales sans trop de vagues. Ayant fait à peu près tous les métiers dans le groupe (sauf à l'international), il est apprécié des pilotes pour sa compétence. Ces derniers, s'ils n'ont statutairement au conseil d'administration qu'un seul représentant, pèsent beaucoup plus dans la balance sociale et constituent avant même sa nomination le premier chantier du futur président.