L'Egypte a bloqué samedi une déclaration du Conseil de sécurité de l'ONU qui devait dénoncer la tentative de coup d'Etat en Turquie, ont indiqué des diplomates. Les Etats-Unis, après consultations avec Ankara, avaient proposé vendredi un projet de déclaration insistant sur le respect du gouvernement démocratiquement élu en Turquie. Mais l'Egypte a élevé des objections sur ce point. L'Egypte est un des membres non permanents du Conseil et ses relations avec le gouvernement du président turc Recep Tayyip Erdogan sont tendues. M. Erdogan est un important soutien de la confrérie des Frères musulmans de l'ex-président égyptien Mohamed Morsi, destitué par l'armée dirigée par le général Abdel Fattah al-Sissi en 2013. Depuis cette date, M. Erdogan a souvent dénoncé un coup d'Etat en Egypte, s'attirant les foudres du Caire. Au cours des discussions au Conseil, l'Egypte a affirmé qu'il ne revenait pas au Conseil de déterminer si le gouvernement (turc) est démocratiquement élu et a demandé la suppression de cette mention, a expliqué un diplomate. Malgré l'insistance des Etats-Unis, l'Egypte a maintenu son blocage. Dans ces conditions, les Etats-Unis ont préféré jeter l'éponge et abandonner leur projet de déclaration. De telles déclarations du Conseil doivent être adoptées à l'unanimité. Une source diplomatique égyptienne a contesté cette version. Il s'agit d'un processus qui requiert un consensus, a dit le diplomate égyptien ayant requis l'anonymat, soulignant que l'Egypte était d'accord avec le ton général du texte condamnant les violences et un appel à la retenue. Selon ce diplomate, l'Egypte a proposé d'appeler toutes les parties à respecter les principes démocratiques et constitutionnels et l'Etat de droit plutôt que le texte initial qui demandait le respect du gouvernement démocratiquement élu. La Turquie et plusieurs membres du Conseil dont les Etats-Unis ont considéré que sans cette mention soutenant explicitement le gouvernement turc, le texte serait trop faible. Il n'y aura donc pas de déclaration, a conclu un des diplomates. Le projet de texte, très bref, soulignait l'inquiétude du Conseil et l'urgence de mettre fin à la crise actuelle. Le Conseil appelait toutes les parties en Turquie à respecter le gouvernement démocratiquement élu de Turquie, à faire preuve de retenue et à éviter toute violence ou effusion de sang.
Erdogan accuse un ex-allié Le premier ministre turc Binali Yildirim a annoncé samedi l'échec de la tentative de putsch de militaires rebelles, qui a fait au moins 265 morts. L'imam Fethullah Gülen est accusé par le régime d'être derrière ce coup d'Etat avorté. Le bilan humain est très lourd à l'issue de cette nuit d'affrontements violents à Ankara et Istanbul entre les rebelles, les forces loyalistes et des dizaines de milliers de personnes descendues dans les rues. Parmi les forces loyalistes et les civils, 161 personnes ont été tuées et 1440 blessées, a déclaré M. Yildrim. Un Suisse fait partie des blessés. Signe que la situation était loin d'être totalement revenue à la normale, les accès à la base d'Incirlik (sud) ont été fermés, ont annoncé les Etats-Unis. Ceux-ci ont en conséquence suspendu leurs opérations aériennes contre le groupe Etat islamique. Les Français à Istanbul ont été appelés par leur consulat à "rester chez eux". Le premier ministre turc a indiqué que 2839 militaires avaient été arrêtés en lien avec cette tentative qu'il a qualifiée de "tache" sur la démocratie turque. Parmi eux, le commandant de la 3e armée, le général Erdal Ozturk, a précisé un responsable. "Ces lâches écoperont de la peine qu'il méritent", a martelé le chef du gouvernement. Plus de 2700 magistrats ont aussi été révoqués dès samedi. Un des 17 juges de la Cour constitutionnelle a par ailleurs été arrêté. La Turquie a en outre demandé à la Grèce l'extradition de huit officiers et sous-officiers ayant fui à bord d'un hélicoptère.
Ex-allié accusé Comme le président Erdogan, M. Yildirim a accusé le prédicateur exilé aux Etats-Unis Fethullah Gülen d'être derrière cette initiative sanglante. "Je réfute catégoriquement ces accusations", a rétorqué l'imam Fethullah Gülen dans un communiqué. Ankara avait par le passé demandé à Washington d'expulser M. Gülen, ce que les Américains ont toujours refusé. Et M. Erdogan a réitéré sa demande d'extradition samedi devant une foule de milliers de partisans. Le secrétaire d'Etat américain John Kerry a, de son côté, indiqué que les Etats-Unis vont aider Ankara dans l'enquête sur le putsch déjoué. Mais il a aussi invité le gouvernement turc à livrer des "preuves valides et solides" contre M. Gülen.
Violences inédites Peu avant minuit (21h00 GMT), un communiqué des "forces armées turques" avait annoncé la proclamation de la loi martiale et d'un couvre-feu dans tout le pays, après des déploiements de troupes notamment à Istanbul et dans la capitale Ankara. Les putschistes ont justifié leur "prise de pouvoir totale" par la nécessité d'"assurer et restaurer l'ordre constitutionnel, la démocratie, les droits de l'Homme et les libertés et laisser la loi suprême du pays prévaloir". Les affrontements, avec avions de chasse et chars, ont donné lieu à des scènes de violences inédites à Ankara et Istanbul depuis des décennies. Des dizaines de milliers de personnes ont bravé les rebelles, grimpant sur les chars déployés dans les rues ou se rendant à l'aéroport d'Istanbul pour accueillir M. Erdogan, rentré précipitamment de vacances dans la mégalopole dont il fut maire.
Déjà trois coups d'Etat Depuis l'arrivée au pouvoir de M. Erdogan, la hiérarchie militaire a été purgée à plusieurs reprises. L'armée de ce pays clé de l'OTAN a déjà mené trois coups d'Etat (1960, 1971, 1980) et forcé un gouvernement d'inspiration islamiste à quitter sans effusion de sang le pouvoir en 1997. Les condamnations internationales se sont multipliées. Le président américain Barack Obama a appelé à soutenir le gouvernement turc "démocratiquement élu", tout comme l'Union européenne. Dans le même temps, le président américain, à l'instar de ce qu'avait auparavant fait la chancelière allemande Angela Merkel, a demandé que "l'Etat de droit" soit respecté en Turquie. Et Moscou a estimé que cette tentative de putsch accroissait "les risques pour la stabilité régionale et internationale". Parallèlement, les vols des compagnies aériennes américaines vers Istanbul et Ankara ont été suspendus, de même que ceux de Swiss. Dans la foulée de la réouverture de l'aéroport d'Istanbul, cette dernière a toutefois annoncé samedi soir que les vols allaient reprendre normalement dimanche.
Extrader le prédicateur Gülen Erdogan a par ailleurs, appelé les Etats-Unis à extrader le prédicateur exilé Gülen, responsable selon lui du putsch avorté lancé vendredi soir. Les Etats-Unis, vous devez extrader cette personne, a lancé le chef de l'Etat devant une foule de milliers de partisans, en référence à son ennemi juré Fethullah Gülen, installé en Pennsylvanie et qui a nié toute implication dans la tentative de coup d'Etat. Il y a un jeu avec l'armée, et cela est lié à des forces extérieures, a insisté M. Erdogan, rappelant avoir déjà demandé à de nombreuses reprises l'extradition du prédicateur à son homologue américain, Barack Obama. Ici j'en appelle à l'Amérique, j'en appelle au président (Obama), a-t-il lancé à la foule. Monsieur le président, je vous le dis, renvoyez ou livrez nous cette personne, a-t-il martelé, sans jamais prononcer le nom de Gülen. Washington va aider Ankara dans l'enquête sur le putsch déjoué en Turquie et invite le gouvernement turc à livrer des preuves contre l'opposant Fethullah Gülen, accusé de l'avoir fomenté, avait auparavant annoncé samedi le secrétaire d'Etat américain John Kerry, en visite à Luxembourg. A peine arrivé dans la nuit à l'aéroport d'Istanbul pour reprendre le contrôle du pays, le président turc avait accusé l'imam et son mouvement d'être à l'origine du coup qui a tenté de le déposer. Le prédicateur a pour sa part condamné dans les termes les plus forts la tentative de putsch.
Kerry s'indigne de la mise en cause des Etats-Unis Les allégations laissant entendre que les Etats-Unis portent une responsabilité dans la tentative de coup d'Etat en Turquie portent atteinte aux relations bilatérales, a déclaré samedi le secrétaire d'Etat John Kerry. Il a appelé son homologue turc pour protester. Washington a rapidement condamné le putsch militaire en Turquie, son allié au sein de l'OTAN, et a exprimé son soutien au gouvernement élu du président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan. Mais plusieurs cadres turcs, dont un ministre, ont suggéré, d'après des informations de presse, que les Etats-Unis étaient secrètement favorables aux militaires rebelles, une accusation que John Kerry a niée avec colère. "Il a dit clairement que les Etats-Unis étaient prêts à apporter leur aide aux autorités turques dans la conduite de cette enquête, mais que les insinuations ou les affirmations publiques au sujet d'une éventuelle implication des Etats-Unis dans le coup d'Etat manqué sont éminemment fausses et nuisent aux relations bilatérales", rapporte le porte-parole du département d'Etat, dans un communiqué.
Gülen Le chef de la diplomatie américaine a en outre invité les autorités turques à faire preuve de retenue et à respecter l'Etat de droit dans le cadre de l'enquête sur les putschistes, a ajouté le porte-parole. Le président turc a imputé la tentative de coup d'Etat à l'opposant Fethullah Gülen, un imam réfugié aux Etats-Unis, qu'il accuse de longue date de noyauter les instances judiciaires et militaires pour le renverser, et a réclamé son extradition. La Turquie considérera qu'elle est en guerre avec tous les Etats qui soutiennent M. Gülen, a, quant à lui, averti le premier ministre Binali Yildirim. "Nous sommes parfaitement conscients que des questions vont se poser au sujet de M. Gülen et nous invitons évidemment le gouvernement turc (...) à nous présenter les éléments à même de justifier un examen, que les Etats-Unis étudieront et jugeront de manière appropriée", a promis John Kerry. A Washington, Barack Obama a de nouveau exprimé son soutien au gouvernement turc "démocratiquement élu" après avoir réuni samedi matin ses conseillers à la sécurité et aux affaires étrangères.
Les Etats-Unis déconseillent tout voyage Le département d'Etat américain a mis en garde samedi ses concitoyens contre tout déplacement en Turquie, 24 heures après la tentative manquée de coup d'Etat militaire qui a fait au moins 265 morts. Au vu de la tentative de coup d'Etat du 15 juillet et de ses conséquences, nous encourageons les citoyens américains à revoir leurs projets de voyage en Turquie, écrit la diplomatie américaine dans un communiqué. La tentative de coup d'Etat de vendredi soir s'est vite soldée par un échec et le président islamo-conservateur turc Recep Tayyip Erdogan a accusé son ennemi juré, le prédicateur Fethullah Gülen, qui vit en exil aux Etats-Unis, d'avoir fomenté le putsch, ce que M. Gülen nie. M. Erdogan a demandé son extradition à Washington. Dans son communiqué, le département d'Etat évoque également des risques accrus émanant de groupes terroristes à travers la Turquie. Des touristes étrangers, dont des Américains, ont déjà été visés explicitement par des organisations terroristes internationales et nationales en Turquie, explique la diplomatie américaine. Le secteur touristique turc doit déjà encaisser les contrecoups des attentats survenus ces derniers mois dans le pays, dans le centre historique d'Istanbul et à l'aéroport international Atatürk notamment. Ainsi, en mai, la Turquie a affiché sa plus forte baisse d'arrivées en 22 ans, avec une chute de près de 35% du nombre de touristes étrangers, à 2,5 millions de visiteurs.
Célébration Des milliers de partisans du président Recep Tayyip Erdogan se sont réunis samedi soir à Istanbul pour lui confirmer leur soutien après l'échec d'un coup d'Etat d'un groupe de militaires. Le chef de l'Etat s'est en début de soirée adressé à cette foule de partisans, massée sous une forêt de drapeaux turcs, selon la télévision. L'atmosphère était plutôt familiale dans le district de Kisikli, sur la rive asiatique de la métropole, où M. Erdogan possède une maison. Istanbul est le fief du président turc qui en a été le maire. A Ankara, des soutiens du président Erdogan se sont retrouvés devant le Parlement, mais en nombre inférieur. Le chef de l'Etat avait demandé via Twitter à ses compatriotes de continuer à être maîtres des rues (...) car une nouvelle flambée (de violences) est toujours possible, après l'échec de la tentative de putsch qui a fait au moins 265 morts. Message reçu, à voir l'ambiance survoltée qui a gagné plus tard la place Taksim, le cœur des sursauts politiques du pays. Le long de la rue commerçante Istiklal, un long cortège y a afflué agitant des drapeaux turcs et entonnant Allah akhbar. En tête, des jeunes hommes aux mains jointes, suivis de familles accompagnés de petits enfants. Au son d'une sono poussée à fond installée sur un bus improvisé en tribune, ils se sont mêlés sur la place à la foule s'y étant déjà rassemblée. Sous les sifflets et les acclamations, la marée rouge des drapeaux est montée jusqu'au monument central de la place, escaladé par de jeunes manifestants. Klaxonnant à tout rompre, vitres ouvertes, d'autres Stambouliotes tournaient dans les rues environnantes. Certains étaient suspendus aux portières pour mieux faire flotter le drapeau national, d'autres s'en étaient drapés. Je suis content, j'aime la Turquie, souriait Ahmet, 7 ans. Aujourd'hui nous célébrons la liberté et la démocratie, nous célébrons la Turquie, lançait Fatma, 18 ans.