A67 ans, Radomir Antic peut se vanter d'être le seul entraîneur de l´histoire à avoir dirigé l'Atletico Madrid, le Real Madrid et le FC Barcelone. Auteur d'un doublé historique Coupe-championnat en 1996 avec les Colchoneros, avec un certain Diego Simeone dans ses rangs, il avait quelques années auparavant dirigé le Real. L'homme parfait pour évoquer le grand duel qui s'annonce samedi. Atlético - Real Madrid est-il le plus grand derby actuellement dans le football ? R. A. : Je pense, oui. Ces deux équipes se sont quand même retrouvées deux fois en trois ans en finale de la Ligue des champions. C'est une rivalité spéciale, exacerbée par le fait que les deux entités ont certes des bons résultats, mais qu'ils ont tous deux besoin d´une victoire à tout prix pour ne pas connaitre des difficultés au niveau sportif, institutionnel et médiatique. En plus, c'est la dernière au stade Vicente-Calderon, un stade qui te transmet une force incroyable. Ce sera un avantage pour l´Atlético. Si Atlético-Real est la plus grande rivalité locale dans l´histoire ? Question difficile. J'ai joué au Partizan Belgrade et la tension avec l´Etoile Rouge était impressionnante. J´ai aussi évolué à Fenerbahçe et quand on doit affronter Galatasaray, c'est quelque chose. Quelles différences culturelles faites-vous entre les deux clubs ? R. A. : Elles sautent aux yeux tout de suite. L'Atlético représente la classe moyenne de Madrid, celle qui vit dans le sud de la ville. Un type de population qui doit travailler dur pour s´en sortir, mais qui a une grande fierté. Le Real est majoritairement soutenu à Madrid par les gens riches et ceux qui ont une influence économique et politique sur la société. Actuellement, ces deux équipes représentent-elles bien leur supporters ? R. A. : Je crois que oui. L'Atlético a certes beaucoup plus de moyens qu'avant, grâce à sa participation régulière en Ligue des champions et à ses bons résultats. Mais l'esprit demeure : celui d'une lutte permanente et d´un état d´esprit basé sur le travail. Le Real recherche lui l'esthétisme et la compétitivité. Zidane essaye d´aligner ses joueurs les plus techniques, surtout à domicile, pour remplir de bonheur ses fidèles socios. Tout en gardant un esprit compétitif, bien sûr. Le Real n'est ni invaincu en Liga, ni champion d'Europe en titre par hasard. Pourtant, on a l´impression que les gens, surtout au Real, ne sont jamais totalement satisfaits… R. A. : C'est intéressant. Si on évoque l´Atlético, l´esprit est le même, mais Simeone veut donner d´autres alternatives à son équipe. L'équipe est moins dans la souffrance qu'avant. Les autres années, les Colchoneros avaient une équipe principalement défensive, dont le jeu offensif se résumait aux contre-attaques, aux coups de pied arrêtés ou aux inspirations d'un ou deux joueurs. Aujourd´hui, on remarque que Simeone veut plus de possession de balle et qu'il va chercher le rival dans son camp. Quant au Real, c´est difficile pour Zizou. Beaucoup de problèmes s'abattent sur lui et pour la continuité et la construction d'un collectif, ce n'est pas facile. Il a par exemple connu un nombre incalculable de blessés, entre Keylor Navas, Carvajal, Pepe, Sergio Ramos, Cristiano, Casemiro, Modric, Benzema... et aujourd´hui Kroos et Morata. C'est incroyable. Zizou n´a jamais eu son effectif au complet. C´est impossible de bien travailler dans ces conditions. Etes-vous surpris des critiques reçues par Zidane ? R. A. : Non, absolument pas. Zidane a le défi de remporter une Liga qui se refuse au Real depuis 2012. Une éternité. Et personne ne le lâche avec ça. Maintenant, il a accepté ce défi et il savait à quoi il allait être exposé. Moi, ça m´est arrivé au début des années 90. J'étais premier du championnat espagnol avec le Real Madrid. Nous avions huit points d'avance sur le Barça, et à l'époque, une victoire ne rapportait que deux points. Nous avions une belle chance de remporter le championnat. Mais les supporters n´étaient visiblement pas heureux et on m'avait renvoyé… Ce que je sais, c´est que je suis fier d´avoir participé à l´histoire du Real Madrid. C´est le poste le plus compliqué au monde. Zizou en fait l'amère expérience, bien qu'il soit premier en championnat et qu'il ait beaucoup de mérite et de courage. Par rapport au temps où vous étiez entraîneur, quelles évolutions majeures constatez-vous aujourd'hui ? R. A. : Le foot est en constante évolution. Les calendriers sont fous. En plus de la Liga, la Ligue des champions est omniprésente. De plus en plus d'équipes jouent la Coupe d'Europe. Avant, il y en avait trois, voire quatre. En Liga désormais, il peut y en avoir jusqu'à huit ! Il y a plus de matches amicaux en sélection que jamais. L'argent, aussi, n'a jamais été aussi important et les clubs veulent toujours plus de joueurs de qualité, quitte à gonfler artificiellement leurs effectifs. Certaines grandes équipes européennes du passé ont perdu de leur prestige aux yeux des joueurs en raison de leur manque de moyens. On dit souvent qu'il est compliqué pour un joueur de passer d'un club rival à un autre. Et pour un entraîneur ? R. A. : Je n´ai jamais eu de problèmes. Je suis quelqu'un de simple et de passionné par mon travail. Que ce soit à l'Atlético ou au Real, j'ai toujours donné le maximum, en respectant les joueurs, les supporters et l´institution. Et, si aujourd'hui il y a moins de différences entre les deux clubs, il y a vingt ans, c´était totalement différent. Au Real, j'avais la crème européenne. A l'Atlético, je devais tout reconstruire. J'avais pris la décision de signer des joueurs jeunes. Ce n´était pas le même travail. Malgré cela, nous avions fait le doublé en 1996. La seule fois dans l'histoire de l'Atlético. Et pourtant, j´avais la pression de Jesus Gil y Gil, un homme passionné et dédié à son club, mais qui ne te lâchait jamais. J´avoue cependant que j´aimais cette ambiance. Je suis même revenu travailler avec lui et l'Atlético après avoir été remercié. En 1996, Diego Simeone était votre homme de base au milieu du terrain. Comment le dirigiez-vous ? R. A. : Diego était facile à gérer. Vous savez pourquoi ? Parce que c'était un grand joueur. Les grands joueurs ne posent jamais de problème dans une équipe. Ce sont des leaders, qui font tout ce qu'il faut pour gagner. Ils sont exigeants envers le groupe, mais surtout envers eux-mêmes. Ils montrent le chemin aux autres. Le danger, ce sont les joueurs moins forts, mais qui se prennent pour des grands. Eux peuvent déstabiliser un club. Diego, c'était un régal pour un entraîneur. Mon idée était de recréer une ambiance familiale au sein de l'équipe. Que tout le monde se sente important. Diego se chargeait de beaucoup de choses, il était un lien entre les joueurs et moi. L´ambiance était très conviviale, en partie grâce à lui. Et vous sentiez déjà qu´il allait devenir un grand entraîneur ? R. A. : Oui, car il ne laissait personne à l´écart. Diego veillait déjà à ce que tout le monde participe et se sente concerné dans le processus de victoires. Diego était totalement impliqué dans l´équipe en tant que joueur. Il vivait l´Atlético au plus profond de lui. Son identification l´a aidé par la suite à incarner l´Atlético que nous connaissons aujourd'hui.