Safran a conçu une offre sur mesure pour convaincre les actionnaires familiaux de Zodiac Aerospace de renoncer au contrôle de leur société dans le cadre d'une fusion qui donnerait naissance au troisième équipementier aéronautique mondial. Mais le motoriste doit convaincre les actionnaires ordinaires, qui détiennent 68% du capital du groupe, de vendre leurs actions lors d'une OPA, dans le cadre d'une opération en deux phases d'une rare complexité. Si plus de la moitié de ces investisseurs accepte - selon le code de l'Autorité des marchés financiers (AMF) - la deuxième phase pourra avoir lieu, permettant à quelques familles, actionnaires historiques de Zodiac, de continuer à avoir leur mot à dire tout en conservant des avantages fiscaux acquis de longue date. Les familles sont à la tête d'un groupe d'actionnaires détenant ensemble 32% des droits de vote de Zodiac et qui avaient rejeté la première tentative de Safran il y a six ans. La structure duale de l'opération illustre la voie étroite qui s'ouvre pour Safran : rendre l'opération attractive aux yeux des marchés tout en conservant le soutien des actionnaires historiques. Safran, dont l'Etat détient encore 14% après s'être partiellement désengagé, cherche ainsi à respecter une tradition fiscale héritée de la volonté des gouvernements français successifs de faciliter l'émergence de champions nationaux.
Une structure complexe mais indispensable Sans cette structure cependant, l'opération ne tiendrait tout simplement pas, estiment des experts juridiques et des sources proches de la transaction. "Cela doit être fait de cette manière, sinon il n'y a pas de deal", a déclaré à Reuters une source directement impliquée dans les discussions. Un porte-parole de Zodiac et une porte-parole de Safran se sont refusés à tout commentaire. Mais la structure duale de l'opération a dérouté certains actionnaires ordinaires de Zodiac, qui pourraient s'unir pour bloquer l'opération, selon des sources au fait des discussions. Dans la première phase de l'opération, Safran propose à la plupart des actionnaires 29,47 euros par action Zodiac, soit un total de 8,55 milliards. L'offre ne permet pas aux actionnaires extérieurs au noyau dur d'échanger leurs propres actions Zodiac contre des actions du nouveau Safran. "Certains actionnaires disent : 'Pourquoi devrions-nous accepter du numéraire? Si c'est, une si bonne affaire, pourquoi ne devrions-nous pas pouvoir avoir des actions? Pourquoi sommes-nous exclus du club?'", a déclaré un analyste européen, citant certains de ses clients actionnaires de Zodiac. Dans le camp de Safran, on souligne que l'offre représente une confortable prime de 26% par rapport au cours de clôture avant son annonce.
L'ISF, un problème Mais Safran ne peut pas modifier l'opération sans exposer les descendants des fondateurs de Zodiac à l'impôt sur la fortune (ISF) ou d'autres pénalités susceptibles de totaliser, selon un analyste, plusieurs centaines de millions d'euros. "Le problème dans ces affaires-là, c'est l'ISF. Si on ne trouve pas un moyen pour qu'une telle opération reste intéressante pour les familles, elle ne peut pas se faire", a déclaré une source proche des familles actionnaires. "C'est pour ça que la fusion a été choisie, contrairement à une simple acquisition ou une OPE". En France, les profits tirés de cessions d'actions rémunérées en numéraire ou en titres sont taxés, mais les actionnaires liés par un pacte en sont exemptés en cas de fusion sans transaction de vente. Après cinq semaines d'intenses discussions menées dans le plus grand secret, les deux entreprises ont dévoilé jeudi une opération en deux parties destinée à satisfaire des actionnaires très différents. Safran cherche ainsi à contenter les familles actionnaires Zodiac tout en ne leur laissant pas une minorité de blocage qui rendrait plus ardue la réalisation des synergies permettant de justifier l'opération auprès du marché. Les fusions totales se traduisent généralement par de fortes réductions de coûts, passant par exemple par la suppression du siège d'un des deux groupes. Outre les avantages fiscaux, les droits de vote spéciaux accumulés au fil des ans sont particulièrement précieux aux yeux des principaux actionnaires de Zodiac, soulignent des sources impliquées dans les discussions. Le président du conseil de surveillance de Zodiac, Didier Domange, a précisé jeudi que les familles, y compris les Peugeot, restaient impliquées industriellement dans le nouvel ensemble. Les familles ont fait quelques concessions en échange : elles ont accepté de conserver leurs titres pendant deux ans. Même si elles bénéficient à première vue d'une confortable prime, l'opération, telle qu'elle est structurée, leur imposera en fait une légère décote, selon des sources proches de l'opération. Mardi, le ratio de fusion (0,485 action Safran pour chaque titre Zodiac) impliquait une décote de 2,6% par rapport à l'offre en numéraire après ajustement du dividende exceptionnel versé par Safran et après impôts. Même dans ce cas, la fusion ne peut se poursuivre que si Safran obtient l'apport des trois quarts des actions Zodiac pour prendre en compte les droits de vote des familles. Selon certains analystes, les actionnaires de Zodiac pourraient en profiter pour faire pression sur Safran pour relever son offre. "Nous considérons que ce groupe d'actionnaires pourrait essayer d'obtenir une meilleure proposition avant d'accepter l'offre en numérique", écrit ainsi Barclays. Safran ne trahit aucun signe montrant qu'il est prêt à relever son offre et, selon les analystes, il pourrait s'en tirer à meilleur compte que les actionnaires ordinaires de Zodiac si l'opération échoue. "Zodiac est intéressant, mais pas incontournable pour Safran", a dit une source proche des discussions. Tout en adoubant Zodiac comme partenaire industriel, Safran semble parier sur le risque que l'action Zodiac chute en cas d'échec de la fusion, en l'absence d'autre partenaire prêt à s'allier à une entreprise peinant à se remettre de ses récents retards de production. Certains analystes estiment que le gouvernement a appuyé l'offre de Safran pour qu'il sauve Zodiac, qui emploie 7.000 personnes en France. Deux jours avant la révélation de l'opération, ses quatre principaux protagonistes - les directeurs généraux et présidents des deux entreprises - ont rencontré François Hollande à l'Elysée. Mais si le chef de l'Etat a salué l'opération dès son annonce, deux sources proches du dossier ont indiqué que le gouvernement n'avait eu connaissance de l'accord qu'une semaine avant. "Il n'y a jamais eu d'interférence de l'Etat", a dit l'une d'entre elles.