Le président turc Recep Tayyip Erdogan faisait face lundi à une contestation croissante de l'opposition, au lendemain d'un référendum constitutionnel sur l'extension de ses pouvoirs qui doit faire l'objet d'un rapport d'observateurs internationaux. En dépit des critiques, le parti au pouvoir (AKP) a d'ores et déjà annoncé qu'il proposerait fin avril à M. Erdogan de retrouver sa place dans ses rangs, premier volet de la réforme constitutionnelle élargissant les prérogatives présidentielles, les autres n'entrant en vigueur qu'après les élections prévues en 2019. Au lendemain d'un référendum dont le score serré illustre la polarisation de la Turquie, la chancelière allemande Angela Merkel a exhorté M. Erdogan à un "dialogue respectueux" pour apaiser une société turque au bord de l'implosion après une campagne électorale virulente. Loin du plébiscite espéré par M. Erdogan qui a pourtant engagé toutes ses forces dans la bataille, la réforme constitutionnelle a été approuvée à une courte majorité de 51,4%, selon un résultat provisoire publié par les médias. La question se pose désormais des relations avec l'Europe, égratignées lors de la campagne. Paris a mis en garde lundi contre le rétablissement de la peine capitale, régulièrement évoqué par M. Erdogan, qui provoquerait une "rupture". M. Erdogan, qui a salué dimanche soir une décision "historique", devait présider dans la soirée un Conseil des ministres à Ankara, après un Conseil de sécurité nationale qui devait décider de prolonger l'état d'urgence en vigueur depuis le putsch manqué en juillet. Le président turc été attendu en milieu d'après-midi dans la capitale, où ses partisans devaient l'accueillir triomphalement, au moment où des observateurs de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) et du Conseil de l'Europe rendront leurs conclusions préliminaires sur le déroulement du référendum. Les deux principaux partis d'opposition, le CHP (social-démocrate) et le HDP (prokurde), ont dénoncé des "manipulations" pendant le scrutin et annoncé leur intention de demander le recomptage des voix.
Décision de la nation En cause, la décision prise par le Haut-Conseil électoral (YSK), peu après le début du dépouillement des voix, de considérer comme valides les bulletins non marqués du sceau officiel des autorités électorales. L'opposition y a vu une manoeuvre rendant possible des fraudes. "Il n'y a qu'une seule décision à prendre (...) C'est l'annulation du scrutin par le YSK", a déclaré lundi Bülent Tezcan, vice-président du CHP, ajoutant que son parti était prêt à saisir la Cour Constitutionnelle, voire la Cour européenne des droits de l'homme. Le chef du YSK, Sadi Güven, a repoussé lundi les critiques, affirmant que ces bulletins étaient "valides". Il a ajouté ne pas savoir combien de bulletins sans sceau officiel avaient été utilisés. M. Erdogan avait demandé dimanche soir aux organisations internationales et aux pays étrangers de "respecter la décision de la nation". Aux termes de la réforme le président deviendra l'unique détenteur du pouvoir exécutif, aura une main sur les pouvoirs judiciaire et législatif, et pourra émettre des décrets.
Relations avec l'Europe Le gouvernement présentait cette révision constitutionnelle comme indispensable pour assurer la stabilité de la Turquie, mais l'opposition a déploré une campagne inéquitable, marquée par l'emprisonnement de responsables prokurdes et de journalistes critiques. La campagne pour le référendum aura été caractérisée par une extrême virulence qui a polarisé davantage la société, les dirigeants turcs assimilant les partisans du non à des complices des "terroristes" et des "putschistes". Les derniers mois ont également été marqués par une dégradation des relations entre la Turquie et l'Union européenne, M. Erdogan accusant certains pays de "pratiques nazies" après l'annulation de meetings pour le oui. Dimanche soir, M. Erdogan a évoqué la possibilité d'organiser un nouveau référendum, celui-ci sur le rétablissement de la peine de mort. Un tel scrutin constituerait "une rupture avec (les) valeurs et (les) engagements" pris par Ankara "dans le cadre du Conseil de l'Europe", a souligné la présidence française. Avec la victoire du oui, les marchés espèrent un retour à la stabilité et la fin d'un cycle électoral quasi-continu depuis un an et demi. La bourse d'Istanbul a ouvert en hausse lundi et la livre turque a gagné près de 2% face au dollar dans la matinée. Avec cette victoire, M. Erdogan, qui a échappé à une tentative de putsch le 15 juillet 2016, pourrait en théorie rester à la tête de l'Etat jusqu'en 2029. Il a occupé le poste de chef du gouvernement entre 2003 et 2014, avant d'être élu président.