Les actionnaires de Qualcomm auront entre leurs mains aujourd'hui le sort de la bataille que livre le géant des microprocesseurs Broadcom pour les convaincre d'accepter son offre qui pourrait conduire à la plus grosse fusion/acquisition du secteur. Ceux-ci vont se retrouver pour leur assemblée générale annuelle où ils pourront voter pour remplacer six des onze membres actuels du conseil d'administration par des candidats soutenus par Broadcom, un groupe basé à Singapour et qui pourrait ainsi mettre enfin la main sur sa cible dans une opération évaluée à 117 milliards de dollars. Un tel dénouement mettrait fin à des mois de résistance de la part de Qualcomm qui a rejeté jusqu'à présent toutes les propositions de son rival, estimant qu'elles ne reflètent pas la véritable valeur de l'entreprise. Conscient du danger, le groupe californien a appelé ses actionnaires à reconduire le conseil d'administration sortant. "Le Conseil d'administration de Qualcomm estime qu'il n'est pas dans le meilleur intérêt des actionnaires d'élire les administrateurs proposés par Broadcom", ont souligné ses dirigeants. Qualcomm, qui est le premier fabricant mondial de microprocesseurs pour le marché des smartphones, estime avoir des perspectives meilleures en restant indépendant, surtout au moment de la transition en cours vers les services de télécommunication mobile de 5e génération (5G). Il juge également que la transaction proposée par Broadcom se heurterait aux réticences des autorités de la concurrence qui exigeront pour l'autoriser d'importantes cessions la rendant moins avantageuse. Mais pour Broadcom, l'élection des candidats qu'il propose enverrait "un signal clair" et leur apporterait par ailleurs un important bénéfice financier.
'Théâtre' Broadcom a présenté son offre initiale en novembre puis l'a améliorée pour la porter à 121 milliards de dollars avant de la réduire, affirmant que Qualcomm avait "transféré" une partie de sa valeur inhérente en augmentant de son côté sa propre offre sur le fabricant néerlandais de microprocesseurs NXP qu'il est en passe d'acquérir. Qualcomm n'a pour autant pas complètement fermé la porte aux avances de Broadcom mais souhaite obtenir un meilleur prix avant de l'étudier plus en avant. Il a décidé pour ce faire d'ouvrir à Broadcom ses comptes pour que ce dernier puisse mieux évaluer sa vraie valeur. Un succès de l'opération modifierait en profondeur le secteur des microprocesseurs en plein essor grâce au développement des smartphones et des objets connectés. Une telle concentration risque toutefois de faire froncer les sourcils des autorités de la concurrence dans le monde, d'autant plus que le nombre d'acteurs se réduit par le biais d'autres fusions. Le groupe américain Microchip Technology a ainsi annoncé jeudi le rachat pour 8,35 milliards de dollars de son concurrent californien Microsemi Corp, plus gros fournisseur de semi-conducteurs pour les industries militaires et aéronautiques. Broadcom fait monter la pression avant l'assemblée générale des actionnaires de Qualcomm accusant la direction de son groupe de faire du "théâtre" et de se refuser à engager des discussions sérieuses. L'opération a également un arrière-plan politique puisque Broadcom avait présenté son offre initiale au lendemain d'une entrevue à la Maison Blanche entre son PDG Hock Tan et le président américain Donald Trump avec à la clé une promesse de rapatrier le siège de l'entreprise aux Etats-Unis en cas de succès de l'opération. Patrick Moorhead, analyste chez Moor Insights & Strategies, s'interroge toutefois sur les bénéfices réels d'un tel rapprochement. Broadcom et Qualcomm ont des approches très différentes du marché, souligne-t-il, avec une forte capacité innovatrice de Qualcomm, notamment pour les produits destinés à la 5G. Broadcom est pour sa part plus efficace pour utiliser des inventions et brevets mis au point par d'autres groupes pour en équiper ses produits meilleur marché. Mais c'est précisément cette différence qui peut expliquer l'intérêt de Broadcom, concède l'analyste. "Je comprends pourquoi Broadcom fait cela. C'est juste que l'un est un peu l'huile et l'autre l'eau", les deux ne se mélangeant pas, souligne-t-il. "Je pense que les résultats du vote vont être serrés", juge-t-il toutefois. "Wall Street est surtout mûe par les gains à court-terme", rappelle-t-il.