A l'approche du sommet d'Helsinki entre Donald Trump et Vladimir Poutine, les médias américains redoublent d'efforts pour minimiser d'avance tout effet positif que pourrait avoir cette rencontre pour les relations russo-américaines. Comme toujours, le mainstream se sert de "fuites" et de "sources informées" pour faire passer au public deux thèses importantes. Premier message du maintream: Trump est un traître, ou du moins un narcissique dangereux, qu'il ne faut en aucun cas laisser en tête-à-tête avec Poutine. Deuxièmement: Trump se rapproche de Poutine contrairement aux recommandations de son propre cabinet, qui ne souhaite pas vraiment contribuer à la normalisation des relations entre Washington et Moscou. Si cela fait deux ans qu'on martèle aux Américains l'idée que Donald Trump est un traître ou simplement un politicien incompétent, la thèse selon laquelle il va à l'encontre des recommandations de sa propre équipe pour Poutine est apparue dans le répertoire des experts américains relativement récemment. Lundi 9 juillet, le New York Times a publié un article décrivant le conflit entre le Président et son administration. Selon les sources du quotidien, c'est arrivé à un point où Trump lui-même critique les collaborateurs de l'équipe présidentielle dans ses échanges avec le Président russe: "Lors d'un entretien téléphonique, il a dit à Poutine que la Russie et les USA devraient mieux s'entendre. Et il a déclaré également que les membres de l'administration présidentielle qui, selon Poutine, tentaient d'empêcher une conversation directe entre les deux Présidents étaient des "stupides"", rapporte une source ayant pris connaissance de cet échange. "Il ne faut pas les écouter", aurait déclaré le Président américain. On pourrait penser que cette description peu flatteuse est un nouveau fake, mais Trump est effectivement connu pour son penchant à s'exprimer de manière assez dure au sujet de ses subordonnés, collègues et partenaires qui ne répondent pas à ses attentes. Souvent, il utilise des expressions encore plus outrageantes. Le peu de partisans du chef de l'Etat américain qui bénéficient d'un accès aux médias ont fait remarquer à plusieurs reprises qu'il était fortement préoccupé quand la bureaucratie américaine prenait le contrôle de telles ou telles lignes diplomatiques ou questions de politique étrangère. Quand il est question de la Russie, les passions se déchaînent encore plus fort. Rappelons le fameux épisode qui a précédé l'appel de Donald Trump alors qu'il voulait féliciter Vladimir Poutine pour son élection: les médias américains affirment que tous les conseillers du Président lui demandaient de ne pas féliciter Poutine. On dit même qu'un sticker jaune avec l'inscription "ne pas féliciter!" avait été collé sur le dossier contenant les documents préparés pour le coup de téléphone, mais en vain. La perspective d'une normalisation - même minime - des relations entre les USA et la Russie, voire de la perception, dans la conscience publique de l'Occident, des pourparlers avec Moscou comme quelque chose d'habituel, terrifie les experts américains. Le New York Times écrit: "La position de Trump inquiète de nombreux conservateurs". The Heritage Foundation, un think-tank conservateur, a posté un tweet avec des rappels adressés directement à M. Trump avant son voyage: "Ce qu'il faut savoir avant que Trump ne parte en Europe. La Russie est un agresseur. L'Ukraine est une victime. La Crimée appartient à l'Ukraine. Les troupes de l'Otan et des USA en Europe servent nos intérêts nationaux. Les Européens doivent dépenser davantage pour la défense. Les actions précédentes de Poutine montrent qu'on ne peut pas lui faire confiance." Sur ce fond, les déclarations du Président américain qui ont suivi et, surtout, sa nouvelle formulation de l'essence des relations russo-américaines, ne feront certainement pas que des heureux parmi les représentants de l'élite politique américaine. En répondant à la question de savoir s'il considérait Vladimir Poutine comme un ennemi ou comme un ami, Trump a répondu (citation de Bloomberg): "Je ne peux pas le dire maintenant. Je crois que c'est un concurrent." Pour un Russe, il n'y a pas de différence émotionnelle formelle entre les termes "ennemi", "rival" ou "concurrent" - ce sont des appréciations négatives qui se différencient seulement par le degré des émotions négatives éprouvées. Ce n'est pas le cas pour un auditeur américain. Dans une société qui déifie la compétition et la concurrence, il existe une grande différence entre le statut d'ennemi et celui de concurrent. Avec les concurrents, contrairement aux ennemis, on peut, et parfois on doit, s'entendre, c'est entre les concurrents (et non les ennemis) qu'un partage mutuellement bénéfique du marché est possible, et un concurrent est un allié potentiel au sein d'un cartel. En outre, Trump a même souligné qu'à ses yeux les pourparlers avec son homologue russe seraient plus simples qu'avec les "partenaires" américains de l'Otan, qu'il rencontrera avant son voyage à Helsinki. Du point de vue de la presse occidentale, une telle appréciation est une violation flagrante des idéaux sacrés de la russophobie, incontournables pour tout politicien occidental qui se respecte. Car le politicien occidental doit accompagner toute mention de la Russie par des malédictions rituelles et des déclarations selon lesquelles Moscou, et personnellement Vladimir Poutine, sont condamnés à être isolés du reste du monde civilisé. C'est amusant, mais il est déjà possible de prédire comment les médias occidentaux chercheront à discréditer tout accord ou déclaration conjointe d'Helsinki. Robin Niblett, directeur du think-tank londonien Chatham House, a déclaré que les actes de Trump faisaient penser au comportement d'un "racketteur". Après son voyage à Moscou, il a déclaré aux médias américains que s'entendre avec les autorités russes revenait à s'entendre avec la mafia, déplorant qu'il n'existe pas de "philosophie politique" en Russie autre que la philosophie du "pouvoir et de l'argent". On avait reproché la même chose à Trump, accusé d'être cynique et, depuis peu, de se comporter comme un "racketteur". Après le sommet d'Helsinki, il faut s'attendre à des articles du genre "Deux mafieux s'entendent, c'est horrible". Mais dans les faits, si deux maîtres du réalisme politique s'entendaient entre eux, ce serait une bonne nouvelle pour le monde entier. Au moins parce que quand des pragmatiques s'entendent, les canons ne tirent pas.