Après huit ans "cauchemardesques" de tutelle des créanciers, UE et FMI, la Grèce est sortie lundi dernier officiellement des plans d'aide, un évènement salué par ces derniers comme "un succès" tout en prévenant de la poursuite de la surveillance post-programme pour compléter les réformes. Donald Tusk, président du conseil européen, a félicité dans un tweet "les Grecs pour leurs efforts et les Européens pour leur solidarité". "Avec la fin du programme de soutien, les Grecs commencent un nouveau chapitre de leur riche histoire", a également tweeté Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne. Sur la même ligne, Mario Centeno, président de l'Eurogoupe et du Conseil des gouverneurs du Mécanisme européen de stabilité (MES), s'est réjoui du fait que "la Grèce se tienne debout sur ses deux pieds, pour la première fois depuis début 2010". Le gouvernement grec, par la voix du porte-parole Dimitris Tzanakopoulos, a qualifié la fin des programmes de "nouvelle phase pour l'économie et la société". Le Premier ministre de gauche radicale Alexis Tsipras, qui depuis son arrivée en janvier 2015 n'a pu gouverner que sous la surveillance des créanciers, et a même dû signer sous la contrainte le troisième plan d'aide en juillet 2015, a choisi de ne pas s'exprimer lundi. Il le fera en revanche mardi, dans une adresse aux Grecs, afin de marquer plutôt "le premier jour de la sortie du programme" international que le dernier jour de celui-ci, selon son porte-parole.
Sur le papier Toute cette euphorie peine toutefois à convaincre les Grecs, lassés d'une rigueur qui a plongé le pays dans une récession inédite, le PIB ayant perdu un quart de sa valeur, accompagnée d'une explosion du chômage qui reste à 20% après avoir culminé à 27,5% en 2013. Ces huit ans ont été "une période cauchemardesque, surtout pour les employés et les retraités, qui ont vu leurs revenus diminuer de moitié", déplore Theodoros Prassas, lui-même retraité. Un autre, Theodoros Karas, se dit accablé de dettes, et de coups de téléphone à longueur de journée lui demandant "de payer son prêt, régler ce qu'il doit", sous peine "de lui couper l'électricité". "La Grèce a encore beaucoup de fleuves à franchir", titrait en une lundi l'édition en anglais du quotidien droite-libéral Kathimerini, invoquant l'économie "trop vulnérable et affaiblie du pays face aux turbulences des marchés". La Grèce est le dernier pays, après le Portugal, l'Irlande, l'Espagne et Chypre, à émerger des plans d'aide internationaux qui leur ont évité de sombrer pendant la crise, et d'entraîner peut-être la zone euro avec eux. Ayant reçu au total de ses créanciers (FMI, UE et BCE) 289 milliards d'euros de prêts en trois programmes (2010, 2012 et 2015), le pays a dû en échange procéder à des réformes violentes. "Cela a pris plus de temps que prévu, mais je pense que nous y sommes", a estimé Mario Centeno : "l'économie grecque a recommencé à croître (avec un PIB en hausse de 1,4% en 2017), il y a un excédent budgétaire (...) et le chômage baisse régulièrement". "Les programmes d'aide sont seulement terminés sur le papier, en réalité ils continuent et vont continuer pendant plusieurs années, accompagnés de la surveillance stricte" des créanciers, résume Yannis Simaressis, économiste. L'Allemagne, gardien de la discipline budgétaire à la pointe de l'imposition de la rigueur en Grèce, a qualifié "de succès" la fin du programme grec, par la voix de son ministre des finances Olaf Scholz. "Les sombres prophéties des Cassandre ne se sont pas matérialisées", a-t-il indiqué ce social-démocrate interrogé par le quotidien Handelsblatt. Son homologue français, Bruno Le Maire a loué "les lourds sacrifices des Grecs" et espéré qu'ils pourraient "récolter les fruits de leurs efforts".
Marchés En juin, la Grèce a obtenu auprès de ses pairs, une série de mesures d'allègement du fardeau de sa dette, portant surtout sur l'allongement de la durée de remboursement. Elle estime désormais que ses besoins de financement seront couverts jusqu'à fin 2022, ce qui lui permettra de n'aller solliciter les marchés qu'aux moments propices. Toutefois le FMI continue de juger insoutenable sa dette, à 180% de son PIB. Mais le gouvernement rétorque que ses besoins de financement resteront cantonnés sous les 20% du PIB recommandés par l'UE. La dette grecque "n'est pas insoutenable" assure un officiel grec, mais au contraire "hautement soutenable". Le professeur d'économie Nikos Vettas, juge "impératif" de générer désormais "une très forte croissance", sans quoi "les ménages, déjà très affaiblis par dix ans de récession, continueront à souffrir".
"Reprendre son destin en main" La Grèce "reprend aujourd'hui en main son destin", s'est félicité le Premier ministre grec Alexis Tsipras lors d'un message télévisé de l'île d'Ithaque, symbole du long voyage d'Ulysse. Souhaitant marquer le premier jour de "la nouvelle ère" de son pays "débarrassé" des plans d'aide internationaux et de la tutelle des créanciers depuis huit ans", Alexis Tsipras s'est rendu à Ithaque, en mer Ionienne, point de départ et de retour d'Ulysse dans l'Odyssée d'Homère, pour annoncer "qu'un nouveau jour s'est levé" pour la Grèce. "Un jour historique (...) celui de la fin des politiques d'austérité et de la récession". "L'Odyssée moderne que notre pays a traversée depuis 2010 a pris fin", a lancé le Premier ministre dans cette allocution d'une dizaine de minutes, posant en chemise blanche devant les caméras de la télévision publique Ert, en plein air et surplombant le port de cette île hautement symbolique. Utilisant des expressions célèbres de l'Odyssée, poème de Homère au VIIIe siècle avant Jésus-Christ, Alexis Tsipras a loué le courage et "la capacité des Grecs, qui comme Ulysse, ont su affronter les +Symplégades+ (falaises flottantes ndlr)" de la récession. Ce message veut sceller la fin de huit ans de tutelle stricte du pays sous l'étau des créanciers UE et FMI et dont le début remonte à avril 2010. Le Premier ministre, au pouvoir depuis janvier 2015, avait dû signer contraint et forcé en juillet de la même année le troisième et dernier plan de prêts au pays.
Un jour "historique" Le Commissaire européen à l'Economie Pierre Moscovici a estimé lundi que la fin des plans d'aide en Grèce signait un jour "majeur voire historique" pour le pays marqué par huit ans de cure d'austérité. "C'est un jour majeur voire historique pour la Grèce" qui "pendant près de 10 ans est non pas sous la tutelle mais sous le coup de programmes qui sont des programmes d'assistance", a affirmé M. Moscovici sur France Inter. "La Grèce va pouvoir se financer seule sur les marchés (...), définir sa propre politique économique, bien sûr en poursuivant les réformes", s'est-il félicité. La Grèce quittait officiellement ce lundi la tutelle de ses créanciers -- zone euro et Fonds monétaire international (FMI) -- pour recommencer à se financer seule sur les marchés, après plusieurs années de profonde récession. Elle a reçu de ses créanciers (FMI, UE et BCE) 289 milliards d'euros de prêts en trois programmes, en 2010, 2012 et 2015, en échange de réformes structurelles violentes dont certains créanciers eux-mêmes reconnaissent aujourd'hui qu'elles n'étaient pas toutes optimales, et qui lui ont fait perdre un quart de son PIB en huit ans, poussant le chômage à 27,5% en 2013. Le pays, qui a réalisé en 2016 et 2017 des excédents budgétaires (hors charge de la dette) d'environ 4%, bien au-delà des exigences des créanciers, n'est pas encore tout à fait libre. Il a déjà dû pré-légiférer de nouvelles réformes pour 2019 et 2020 et restera sous surveillance plusieurs années. Sa dette est toujours de 180% de son PIB, et le FMI la juge insoutenable à terme. "La crise grecque a été d'une profondeur, d'une durée, d'une dureté absolument sans précédent, donc il va falloir surveiller ses engagements d'un peu plus près", a jugé l'ancien ministre de François Hollande. M. Moscovici a également reconnu "des erreurs (...) au cours de ces très longues années", citant notamment des mécanismes de solidarité "qui ont été faits un peu sous la pression de la crise et n'ont pas été des mécanismes volontaires".
Cinq chiffres clés de la crise Après plusieurs années de profonde récession et trois programmes d'aide, Athènes a officiellement rompu lundi avec la tutelle de ses créanciers de la zone euro et du Fonds monétaire international (FMI). Voici cinq chiffres clés sur cette crise qui a ébranlé l'Union européenne.
- Prêts: 288,7 milliards En euros, le montant des prêts accordés à la Grèce par ses créanciers au cours des plans d'aide. Les Européens ont déboursé un total de 256,6 milliards d'euros et le FMI --qui a refusé de participer financièrement au troisième plan d'aide-- 32,1 milliards d'euros. La majeure partie de ces sommes colossales ne commencera à être remboursé par Athènes qu'après 2032. Les Européens ont aussi prévu, à cette date, d'étudier l'opportunité d'un nouvel allègement de la dette publique de la Grèce, qui reste pour l'instant proche de 180% de son PIB, soit le niveau le plus élevé de la zone euro.
- Croissance: -9,1% Le taux de croissance négatif atteint par la Grèce en 2011. Cette récession s'est poursuivie pendant deux ans, en 2012 et 2013, avant que la croissance grecque ne stagne autour de 0% pendant trois ans. Ce n'est qu'en 2017 que la reprise s'est confirmée, avec un taux de croissance de 1,4%. Pour 2018 et 2019, la Commission s'attend même à une croissance aux alentours de 2%. Mais la Grèce reste loin d'avoir retrouvé le niveau d'activité qui était le sien avant la crise, puisqu'elle a perdu 25% de son PIB entre 2008 et 2016.
- Chômage: 27,9% Le pic de chômage de la Grèce en juillet 2013, date à partir de laquelle ce taux a commencé à reculer. Il s'élevait en avril dernier à 20,2%, ce qui reste, de loin, le niveau le plus élevé de la zone euro, selon l'Office européen de statistiques Eurostat. D'après Athènes, il devrait passer sous le seuil des 20% en mai, mais ce chiffre n'a pas encore été validé par l'UE. Le taux de chômage des jeunes --c'est-à-dire des 15-24 ans-- reste lui extrêmement élevé, à 42,3% en avril.
- Réformes: plus de 450 Le nombre de réformes adoptées par la Grèce au cours de son sauvetage à la demande de ses créanciers, en échange de leur soutien. Celles-ci ont touché tous les domaines, de la fiscalité aux retraites, en passant par la santé, la sécurité sociale, le marché du travail, les banques ou le système judiciaire. La Grèce s'est même engagée, via un vote au parlement, à mettre en place certaines mesures --de nouvelles coupes dans les retraites et des hausses d'impôts-- entre 2019 et 2021.
- Budget: 3,5% En pourcentage du PIB, l'effort budgétaire que les Grecs se sont engagés à fournir jusqu'en 2022. Cela signifie que pendant les prochains exercices, le gouvernement grec devra dégager un excédent budgétaire primaire (hors intérêts de la dette) à hauteur de 3,5% du PIB, un niveau extrêmement ambitieux. Pour les décennies suivantes, de 2023 à 2060, l'objectif n'est plus que de 2,2% du PIB (en moyenne), mais reste tellement élevé que le FMI le juge irréaliste. Selon l'institution internationale, seuls cinq pays européens ont réussi à atteindre depuis 1945 une moyenne d'excédent primaire de plus de 1,5% du PIB pendant plus de dix ans.