Les ministres des Finances de la zone euro se sont entendus dans la nuit de jeudi à vendredi sur un vaste accord mettant fin à huit années de crise, d'austérité et de plans de sauvetage pour la Grèce. Cet accord, qui inclut un dernier allègement important de la dette d'Athènes, a été conclu vers 0H00 (22H00 GMT), après plus de six heures de réunion à Luxembourg. Il doit permettre à Athènes de quitter, comme prévu, la tutelle de ses créanciers --zone euro et Fonds monétaire international (FMI)-- le 20 août prochain pour recommencer à se financer seule sur les marchés, après plusieurs années de profonde récession et trois programmes d'aide. "La crise grecque s'achève ici, cette nuit. Nous sommes finalement arrivés au bout de ce chemin qui a été si long et si difficile. C'est un moment historique", s'est félicité le commissaire européen aux Affaires économiques Pierre Moscovici. "Je suis heureux", a affirmé le ministre grec des Finances Euclid Tsakalotos. "Pour que ça en vaille la peine, nous devons nous assurer que le peuple grec voit des résultats concrets", a-t-il ajouté. Selon plusieurs sources, les discussions se sont prolongées car l'Allemagne a manifesté une résistance de dernière minute contre l'allègement de la dette de la Grèce, pourtant jugé nécessaire par ses créanciers pour assurer sa crédibilité les marchés financiers. "Les négociations ont été difficiles, reconnaissons-le", mais "je considère que le problème de la dette grecque est désormais derrière nous", a affirmé le ministre français des Finances Bruno Le Maire.
'Surveillance renforcée Les Européens ont accepté vendredi d'allonger de dix ans les échéances de remboursement d'une grande partie de cette dette --dont le niveau reste le plus élevée de l'UE (180% de son PIB)-- et permettront aux Grecs de ne commencer à rembourser une partie des prêts qu'à partir de 2032, contre 2022 jusqu'à présent. Ils se sont également entendus sur le versement d'une toute dernière tranche d'aide, de 15 milliards d'euros, contrepartie aux 88 dernières réformes accomplies par la Grèce ces dernières semaines. Sur cette somme, 5,5 milliards sont destinés au service de la dette et 9,5 milliards alimenteront un "matelas financier" de plus de 24 milliards d'euros pour les 22 mois qui suivront sa sortie du programme. Sous la pression de l'Allemagne, certaines mesures d'allègement de la dette resteront conditionnées à la poursuite des dernières réformes, dont certaines s'étendront sur plusieurs mois. Athènes sera d'ailleurs dès sa sortie du troisième programme d'aide en août, et jusqu'en 2022, sous le coup d'une surveillance encore jamais vue de la part des Européens, bien plus stricte que celles mises en place dans le passé pour le Portugal, Chypre ou l'Irlande. "Ce cadre de surveillance post-programme renforcé était nécessaire, mais il n'y aura en aucun cas de programme déguisé", a insisté Pierre Moscovici. Les Européens ont aussi prévu de faire le point sur la dette grecque en 2032 et d'accorder, si nécessaire, de nouvelles mesures d'allègement.
'Hommage' Le FMI, qui a participé financièrement aux deux premiers programmes grecs, ne le fera pas pour le troisième, mais restera impliqué dans la surveillance post-programme, a annoncé vendredi sa directrice générale, Christine Lagarde, présente à Luxembourg. Selon Mme Lagarde, la dette grecque est soutenable "à moyen terme". "Mais sur le long terme, nous avons des réserves", a-t-elle ajouté. En huit ans, la Grèce a bénéficié de plus de 273 milliards d'euros d'assistance de la part de ses créanciers au cours de trois programmes d'aide. En contrepartie, les Grecs ont été contraints de mettre en oeuvre plusieurs centaines de réformes, souvent douloureuses, notamment pour assainir leurs finances publiques. La croissance du PIB a atteint 1,4% en 2017 et devrait encore progresser cette année (1,9%) et l'an prochain (2,3%). Dans le même temps, la Grèce affiche désormais un excédent budgétaire de 0,8%, après avoir enregistré un déficit de 15,1% en 2009. "Je rends hommage au peuple grec pour sa résilience et son engagement européen. Ses efforts n'ont pas été vains", a twitté dans la nuit le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker.
Entre soulagement et inquiétude Cet accord réjouit une partie de la population mais d'autres restent incrédules, voire inquiets. "J'imagine qu'après tout sera mieux, on aura plus d'argent, plus d'emploi, tout le monde sera heureux" rêve Antonis Vourlias, un étudiant en physique de 19 ans. Il a vécu la moitié de sa vie sous le joug des réformes, notamment les baisses de salaires et pensions, contenues dans les trois mémorandums successifs imposés au pays par l'UE et le FMI contre 270 milliards d'euros de prêts. "J'étais petit" quand la tutelle des créanciers a commencé, "mais je m'en souviens", dit-il, notamment des sacrifices de sa famille pour lui offrir une école privée car "les conditions du public étaient très mauvaises" à cause de la crise. Une quinquagénaire, employée de banque, acquiesce: "Bien sûr que je suis contente. Après toute la pression, les souffrances que nous avons subies, il y a de grandes chances qu'on ait à présent une expansion de notre économie", assure-t-elle. Sur le papier, la crise qui a fait perdre au pays 25% de son PIB en moins d'une décennie semble achevée. La croissance du PIB est repartie, +1,4% en 2017 et 1,9% prévus cette année.
"Crise pas finie" Le chômage est toujours de loin le plus élevé d'Europe, à 20,1% en mars, mais, après avoir frôlé 28% en 2013, il décroît régulièrement. Le nombre de permis de construire, divisé par six entre 2008 et 2017, est en hausse, tout comme la production industrielle, tandis que le tourisme bat record sur record chaque année. Mais Constantinos Kavagas, 24 ans, un diplômé en administration des affaires qui gagne péniblement 520 euros par mois à distribuer cinq heures chaque jour des prospectus publicitaires, ne sent guère d'amélioration. "Tout ça c'est bidon, il y aura de nouvelles mesures (d'austérité). C'est un truc du gouvernement pour obtenir des voix, mais la vérité c'est que la vie est pire et sera pire encore". "Il y aura de nouvelles coupes (dans les salaires et les pensions), de nouveaux impôts. La crise n'est pas finie", renchérit Vangelis, 38 ans, soldat dans la Marine grecque. Tous les récents sondages en Grèce montrent un retard constant d'une dizaine de points du parti au pouvoir Syriza sur son rival conservateur Nouvelle Démocratie. C'est la traduction du désappointement de la population face à un gouvernement de gauche arrivé en janvier 2015 pour "en finir avec les mémorandums", mais dont le Premier ministre Alexis Tsipras n'a eu d'autre choix que d'en signer un troisième en juillet suivant.