Le gouvernement, critiqué pour sa politique jugée trop favorable aux plus aisés, a promis lundi de redonner du pouvoir d'achat à l'ensemble des ménages dans son projet de budget 2019, malgré les mesures d'économies décidées pour contenir la dépense publique. "L'objectif à long terme de ce budget, c'est de construire une nouvelle prospérité", bénéficiant "à tous les Français et à tous les territoires", a assuré le ministre des Finances Bruno Le Maire en présentant à la presse le projet de loi de finances (PLF) 2019. Cette "prospérité ne doit pas reposer sur plus de dépenses publiques et plus d'impôts mais sur plus de création de valeurs", a ajouté le locataire de Bercy, en promettant que les engagements de l'exécutif vis-à-vis des contribuables et de chefs d'entreprises seraient "tenus". Le deuxième budget du quinquennat Macron, qui sera débattu à l'automne au parlement, intègrera ainsi 18,8 milliards d'euros de baisses d'impôts pour les entreprises, grâce à la diminution de l'impôt sur les sociétés et à la transformation du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en baisses de charges. Les ménages, quant à eux, verront leurs prélèvements obligatoires baisser de six milliards d'euros, malgré les hausses de taxes sur les carburants et sur le tabac, évaluées par Bercy à 2,3 milliards d'euros. "C'est la plus grande baisse d'impôts pour les ménages depuis 2008", a martelé le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin, insistant sur les gains de pouvoir d'achat liés à la nouvelle baisse de la taxe d'habitation, qui atteindra 3,8 milliards d'euros l'an prochain.
"Trompe-l'oeil" Ces chiffres, mis en avant depuis plusieurs jours par le gouvernement, ont été remis en cause lundi par plusieurs membres de l'opposition, qui ont dénoncé un "tour de passe-passe". Ce que l'exécutif "donne d'une main, en réalité il le reprend d'une autre", a estimé le premier secrétaire du PS Olivier Faure, en rappelant que l'Observatoire français de la conjoncture économique (OFCE) avait évalué à 3,5 milliards d'euros - et non à 6 milliards d'euros - le gain de pouvoir d'achat prévu pour les ménages l'an prochain. C'est "un budget à l'image du macronisme, en trompe-l'oeil, où les illusions de baisses d'impôt laissent place à la réalité d'un pouvoir d'achat en berne", a renchéri le vice-président de LR Damien Abad, l'ancien ministre des Finances Eric Woerth (LR) dénonçant pour sa part un texte "illisible". Le budget "comprend des mesures dans tous les sens, parfois des contresens. Le message est brouillé", a-t-il déclaré. Des critiques aussitôt rejetées par le gouvernement : "on peut tourner les choses dans tous les sens, les faits sont têtus, les impôts baissent", a souligné Bruno Le Maire, interrogé par des journalistes à l'Assemblée nationale.
"Réaliste" La présentation du projet de loi de finances 2019 survient à un moment compliqué pour le gouvernement, confronté à des critiques persistantes sur le pouvoir d'achat mais aussi à un tassement de la croissance, qui a réduit les marges de manœuvres de Bercy pour financer les promesses d'Emmanuel Macron. Selon l'exécutif, la hausse du produit intérieur brut devrait ainsi plafonner à 1,7% en 2019, au lieu des 1,9% initialement attendus. Un chiffre qualifié de "réaliste" par le Haut conseil des finances publiques (HCFP), organe indépendant chargé d'évaluer la crédibilité des prévisions de Bercy. Le budget était déjà particulièrement épineux cette année en raison de la réforme du CICE, synonyme d'"année noire" pour l'Etat, qui devra supporter à la fois les remboursements de 2018 et la baisse de cotisations de 2019, soit une facture de 40 milliards d'euros. Malgré ces différents obstacles, les "engagements européens" de la France en matière de déficit public seront "tenus", a assuré le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux. Selon Bercy, il s'établira ainsi à 2,8% du PIB, un chiffre en hausse de 0,4 point par rapport à la dernière prévision du gouvernement (2,4%), mais dans les clous budgétaires européens. Pour réussir ce numéro d'équilibriste, Bercy a dû se résoudre à procéder à un tour de vis sur les dépenses, quitte à recourir à la pratique du "rabot". Le PLF 2019 comprendra ainsi un quasi gel des pensions de retraite, des allocations familiales et des aides personnalisées au logement, qui ne seront revalorisées que de 0,3% alors que l'inflation est attendue à 1,3%. Des efforts seront également demandés aux chambres de commerce et d'industrie, à l'audiovisuel public et à la politique de l'emploi, dont les crédits vont baisser de 2,1 milliards d'euros, en raison notamment d'une réduction du nombre de contrats aidés.
La Défense bien dotée Face à une croissance qui se tasse et un déficit public à contenir, le budget 2019 du gouvernement ne fait pas que des heureux au sein des différents ministères. Tour d'horizon des principaux gagnants et perdants de ce délicat exercice d'équilibriste.
Défense et Justice parmi les gagnants Si certaines hausses peuvent être vues en trompe-l'oeil, les chiffres présentés par le gouvernement ne tenant pas compte de l'inflation (1,3% attendu en 2019), quelques ministères tirent néanmoins réellement leur épingle du jeu. Avec 1,7 milliard d'euros supplémentaires et 450 emplois créés, le ministère des Armées gagne sur tous les tableaux. Cette hausse, qui vise notamment à renouveler les équipements et à améliorer l'entretien du matériel, s'inscrit dans l'objectif du gouvernement de porter l'effort de défense à 2% du PIB d'ici à 2025. Avec 313 millions d'euros en plus en 2019, soit 4,5% de hausse et 1.300 emplois créés, le ministère de la Justice fait aussi partie des gagnants de 2019. Les crédits prévus doivent notamment servir à la mise en place d'un "ambitieux programme immobilier pénitentiaire" afin de créer 7.000 places de prison de plus d'ici à 2022.
Plus d'argent mais moins de postes pour l'Education L'Education nationale verra son budget augmenter de 850 millions d'euros en 2019, restant ainsi le plus important de l'Etat, selon les chiffres publiés lundi par le gouvernement, mais 2.600 postes seront supprimés dans les collèges et lycées. Le projet de loi de finances (PLF) 2019, présenté en Conseil des ministres, fixe à 52,3 milliards d'euros le montant du budget de l'enseignement scolaire. Ce montant s'entend hors pensions et retraites de ses anciens agents, mais comprend le financement des lycées techniques agricoles, qui sont rattachés non pas au ministère de l'Éducation nationale mais à celui de l'Agriculture. Est également inscrite dans ce PLF la suppression de 1.800 emplois, en solde net, dans l'Education nationale, qui devient ainsi un "des principaux contributeurs" à l'effort. Le ministère avait détaillé la semaine dernière les modalités de cette baisse des effectifs: 2.600 postes supprimés dans le secondaire (collèges et lycées), 400 dans les services administratifs et 600 dans l'enseignement privé. Parallèlement, quelque 1.800 postes seront créés dans le primaire. L'Education nationale compte environ 1,1 million d'agents, soit la moitié des agents de l'État. Le budget 2019 "s'inscrit dans la continuité des réformes", qui visent au "rééquilibrage au bénéfice de l'enseignement du premier degré pour combattre la difficulté scolaire à la racine", indique Bercy. Les dédoublements de classes se poursuivront au sein des CP et CE1 en réseaux d'éducation prioritaires et une augmentation de 1.000 euros par an sera accordée aux agents qui exercent dans les réseaux d'éducation prioritaire renforcée (REP+). Cette prime pourra atteindre à terme 3.000 euros annuels et est mise en œuvre "progressivement", confirme Bercy.
Heures sup "De plus, les classes rurales seront consolidées", ajoute le PLF, sans autre détail. Les maires des communes rurales, soutenus par les syndicats d'enseignants, avaient protesté au printemps dernier: ils estimaient que le dédoublement des classes dans les quartiers défavorisés, qui nécessite des enseignants supplémentaires, s'était traduit par des fermetures de classes en milieu rural. Dans le second degré (collèges et lycées), "la baisse des effectifs budgétaires sera compensée par une augmentation du volume des heures supplémentaires effectuées par les professeurs, levier majeur d'augmentation de leur pouvoir d'achat", indique Bercy. Une mesure qui suscite la colère des syndicats d'enseignants. Ils jugent cette baisse des effectifs malvenue alors qu'augmente le nombre des élèves dans le secondaire (+40.000 attendus chaque rentrée entre 2019 et 2021, selon la Depp, l'agence des statistiques du ministère de l'Education). Les syndicats rappellent également que les enseignants des lycées généraux, technologiques et professionnels, vont devoir accompagner des réformes de fond, dont celle du baccalauréat. La moitié des profs effectuent déjà au moins deux heures supplémentaires par semaine et la marge d'augmentation d'heures de cours dispensées est donc réduite, selon le syndicat SE-Unsa. Du côté de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, le budget sera augmenté de 549 millions d'euros, à 25,1 milliards, indique ce ministère. Sur les deux derniers PLF, ce poste a progressé de 5,3% (+1,3 milliard), une hausse que "l'on compte bien prolonger lors des années à venir", a-t-il précisé. Sur ces 25,1 milliards, 16,3 milliards sont destinés à l'enseignement supérieur et la vie étudiante (+173 millions par rapport à 2018, dont 123 millions pour le plan étudiants défini dans la loi Orientation et réussite votée au printemps), et 8,8 milliards à la recherche (+376 millions). La Mission interministérielle recherche et enseignement supérieur (Mires), qui comprend des financements de recherche dépendant d'autres ministères tels que l'Agriculture, les Armées, la Transition écologique, etc, totalise 27,9 milliards d'euros, en hausse de 500 millions.
Transition écologique Même constat pour le ministère de la Transition écologique et solidaire qui couvre l'énergie, les transports ou la lutte contre la pollution. Si son budget connaît une belle augmentation de 3,1%, à 34,2 milliards d'euros, pour financer par exemple le développement des énergies renouvelables, ses effectifs vont en revanche diminuer de 2%.
Bercy et le Travail au régime Au total, 4.164 postes seront supprimés dans la fonction publique, un peu moins que les 4.500 initialement annoncés. Mais certains ministères n'ont pas échappé à des coupes tant dans leur budget que dans leurs effectifs.
Action et comptes publics Avec près de 2.300 postes supprimés, le ministère de l'Action et Comptes Publics est l'administration qui perd le plus d'emplois dans le budget 2019. Le ministère qui voit aussi son budget diminuer très légèrement (environ 1% sans prendre en compte l'inflation) contribue ainsi "de manière exemplaire à l'effort de redressement des finances publiques", selon le gouvernement.
Travail Grand contributeur des suppressions de poste avec 1.618 emplois en moins dont 1.385 dans ses opérateurs comme Pôle Emploi, le ministère du Travail connaît également une sévère coupe dans ses financements, avec 2,07 milliards d'euros en moins. Cette baisse s'explique notamment par la prise en charge de contrats aidés pour les élèves handicapés transférée au ministère de l'Education nationale et par la fin de certains dispositifs comme la prime à l'embauche dans les PME.
Cohésion des territoires Avec 1,16 milliard d'euros de baisse de budget, le ministère de Jacques Mézard va devoir se serrer la ceinture. Le gouvernement veut faire des économies sur les aides personnalisées au logement (APL) de près d'un milliard d'euros en changeant le mode de calcul de leur versement.
Sports Dans une lettre de cadrage envoyée fin juillet, le gouvernement avait prévu 30 millions d'euros en moins pour ce ministère et 1.600 ETP (équivalent temps plein) sur la période 2018-2022. Une pétition a été lancée la semaine dernière pour réclamer des moyens budgétaires à la hauteur pour le sport. Parallèlement, des athlètes comme Kevin Mayer, recordman du monde du décathlon, s'étaient publiquement inquiétés de ces coupes. Rien n'y a fait: si le ministère assure que le budget est "préservé", la baisse de 30 millions a bel et bien été entérinée.