La violence dans les stades et dans l'environnement immédiat de ces enceintes est devenue en 2018 de plus en plus présente, gangrenant le football mais aussi d'autres disciplines au point de devenir un fléau face auquel tous les dispositifs prônés ont échoué. Le stade est devenu le lieu privilégié des jeunes spectateurs dont une partie décharge toute son agressivité et ses ondes négatives, commençant par des injures qui fusent de partout sans aucun égard à l'assistance pour ensuite arriver souvent au pire des débordements. En football, les années passent et se ressemblent à travers cette violence récurrente dans les stades qui est devenue une façon de s'exprimer du supporter lequel ne trouve plus d'autres moyens de prouver qu'il est partie prenante de l'évènement que par ces actes dépassant le cadre purement sportif. Après une relative accalmie, 2018 a été marquée par le retour de ce fléau au premier plan dans les stades de football, avec 53 cas de violence enregistrés sur le territoire national (385 personnes blessées dont 105 policiers et 66 véhicules endommagés dont 53 appartenant aux services de l'ordre), selon des chiffres de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) arrêtés au 17 novembre dernier. A tel point que le football algérien est en train d'être pris en otage par des groupes de supporters violents lesquels n'hésitent pas, des fois, à transférer leur "folie" dans la rue qui se transforme en théâtre de bagarres entre irréductibles. C'est le cas, par exemple, de la rencontre CA Bordj Bou Arréridj-MC Alger de la 11e journée de Ligue 1 qui avait connu plusieurs dépassements et agressions dont avaient été victimes des joueurs, supporters et éléments de la sûreté nationale. Le Directeur général de la sûreté nationale, Mustapha Lahbiri, s'est alors immédiatement saisi de ce dossier, dépêchant une commission d'enquête à Bordj Bou Arréridj pour mener une investigation et c'est sur la base de son rapport que de nouvelles recommandations ont été transmises aux différentes instances chargées de la programmation et de la direction des matchs de football, pour éviter des incidents similaires. Les enceintes Chahid-Hamlaoui (Constantine), Ahmed-Zabana (Oran) et 5-Juillet (Alger), entre autres, ont été aussi le théâtre de scènes de violence inquiétantes et condamnables ayant causé plusieurs blessés, à l'intérieur et à l'extérieur des stades certaines fois. A Constantine, le match JS Kabylie-MC Alger, comptant pour les demi-finales de la Coupe d'Algérie 2017-2018, avait été ainsi émaillé d'échauffourées dans les gradins, survenues essentiellement à la mi-temps et ayant contraint l'arbitre de la rencontre à retarder la reprise de la seconde période.
Handball et basket-ball, la violence frappe les sports collectifs Désormais, le phénomène de la violence dans les enceintes sportives ne touche pas seulement le football, puisque les autres disciplines collectives sont touchées. La preuve vient de la salle omnisports de Batna et cette rencontre entre l'AB Barika et l'OM Annaba pour le compte de la dernière journée de la Division 1 de handball, décisive pour l'accession. Les supporters locaux ont brillé par des actes de vandalisme, chauffés à blanc par deux de leurs joueurs, Fradj et Merzoug, qui ont été par la suite suspendus deux ans avec proposition de radiation à vie. D'abord sur le terrain, la situation a dégénéré ensuite dans les tribunes avec un bilan de plusieurs blessés, dont la paire arbitrale Hamidi-Belkhiri, touchée grièvement. Une vidéo circulant sur les réseaux sociaux montre une salle complètement saccagée, avec des chaises arrachées puis lancées des gradins et des pierres et des bouteilles jonchant le sol, occupé désormais par personnes déchaînées à tout casser. Aussi, les matchs entre le GS Pétroliers et le CRB Baraki sont souvent émaillés d'incidents, alors que dernièrement, le bus de la JS Saoura a été caillassé lors de son déplacement à Arzew. En basket-ball, le choc des 8es de finale de la Coupe d'Algérie 2017-2018 entre le GS Pétroliers et le WO Boufarik avait été perturbé suite à des jets de projectiles sur le parquet de la salle Harcha (Alger). Retardée de plus d'une heure à cause des agissements de supporters en tribunes, cette affiche a été interrompue à plusieurs reprises avant d'être arrêtée puis reprogrammée un autre jour. Elle ne s'est jamais terminée puisque le WOB a refusé de jouer. Cette saison, la rencontre CRB Dar El-Beïda - WO Boufarik, comptant pour la 4e journée de Nationale 1, a également été émaillée d'incidents, provoquant l'arrêt de la partie pendant une heure avant d'être reprise. Pour faire face à ce phénomène, le ministre de la Jeunesse et des Sports, Mohamed Hattab, s'était réuni début décembre avec les présidents des fédérations de football, basket-ball, volley-ball et handball, en présence du président et membres de la commission nationale exécutive de prévention et de lutte contre la violence dans les infrastructures sportives. Lors de cette rencontre, le ministre, qui a parlé une fois de "climat de guerre" dans les stades algériens, a donné des instructions aux membres de ladite commission, installée en décembre 2017, à l'effet d'organiser des réunions périodiques avec toutes les fédérations sportives et ligues régionales afin de tenter d'éradiquer ce fléau.
L'apport des psychologues et sociologues est primordial La lutte contre la violence dans les stades serait plus efficace si l'on impliquait psychologues et sociologues dans la recherche de solutions à ce fléau social, selon le professeur et chercheur à l'université Paris-Nanterre (France), Youcef Fates. "Diverses causes sont derrière le déclenchement de la violence dans les stades, d'où la nécessité pour les responsables du football de mener sur le terrain, une étude approfondie pour vaincre ce fléau, en prenant en considération les avis des spécialistes en psychologie, en sociologie et en médecine", a affirmé M. Fates à l'APS. Selon le professeur Youcef Fates, les nombreuses études sur la violence dans les stades algériens, effectuées depuis l'époque coloniale jusqu'à ce jour, ont montré que ce fléau est causé par plusieurs facteurs dont le facteur psychologique que l'on retrouve également dans la période pré-indépendance. "Dans la période coloniale, les Algériens étaient violentés. Par conséquent, ils ont intégré cette violence du colonialisme (...) la société algérienne était patriarcale avec une prééminence d'un certain machisme", a estimé le chercheur, pointant du doigt également un "manque de fair-play" lors des rendez-vous sportifs, alors que "le plus important c'est la participation et le respect de l'adversaire et des foules". Le professeur Youcef Fates, qui a assisté récemment à un colloque international à Alger sous le thème : "L'activité physique et sportive : de la Formation à la Citoyenneté", a estimé en outre qu'il faut "éviter de considérer le sport comme un champ d'expression émotionnel de la jeunesse (...) si cette jeunesse n'a pas de moyens d'expression, elle s'exprime alors dans la violence et dans la masculinité". Le chercheur a critiqué par ailleurs, la démarche entreprise par les responsables du football algérien pour endiguer le phénomène de la violence dans les stades, indiquant que "le remède n'est pas d'imiter ce qui se fait en Europe et l'appliquer en Algérie". Le remède, selon lui, "nécessite des études et des analyses sur terrain, or ce qui se passe, c'est qu'on a essayé de transposer les phénomènes occidentaux sur l'Algérie". Le professeur a préconisé, en revanche, la nécessité d'"inviter des sociologues, des psychologues et des médecins pour avoir un projet de réflexion jusqu'aux racines de cette violence" et trouver ainsi les solutions idoines à ce problème. Docteur d'Etat de la Sorbonne de Paris, dans la spécialité Education physique et sportive, Youcef Fates, 73 ans, est un chercheur algérien spécialisé dans l'histoire du sport algérien. Il est diplômé de l'Institut supérieur des sciences et de la technologie des sports (ISTS) en 1970. Titulaire d'un doctorat en sciences politiques, il a enseigné au niveau du Centre national de l'éducation physique et sportive et également comme maître-assistant à l'université d'Alger.