L'artiste peintre Valentina Ghanem devra dès le 17 avril prochain célébrer son quart de siècle de carrière à la galerie de Sidi- Fredj lors d'une expo qui s'intitulera, “ rétroplastie”. Un événement qui vaut son pesant de couleurs, de rythme et de sympathie pour cette artiste qui ne s'est à aucun moment de cet entretien départie de son sens de la mesure, de la cohérence et de la franchise. Cet entretien a coulé de source comme ses œuvres qu'elle peint dans les passions intimes. Il aurait pu durer toute la nuit, mais les limites d'un espace journalistique nous ont rappelé à l'ordre. Peut - être qu'un travail plus élaboré qui se fera dans d'autres jours éclairera un peu plus l'œuvre et le personnage “ trop humain” ! Le Maghreb : Nous commencerons avec une question classique : Pourquoi peignez-vous ? Valentina Ghanem : Pourquoi respirais- je ? Parce que je ne peux dire, je ne peux exprimer mes profondeurs, mes sentiments qu'à travers le geste pictural. Je ne peux ni le faire en écrivant, ni en chantant ni en faisant des films. Le Maghreb : La peinture est un vrai langage ….. V.G : Pour dire, il me faut des couleurs, de la peinture. C'est ça mon langage, et c'est ça l'expression de mon regard sur le monde et les gens qui m'entourent. Le Maghreb : A quoi sert la peinture selon vous ? V.G : A quoi sert la culture alors? Ce sont des questions qui se ressemblent. Sans la littérature, la poésie, la musique peut il y avoir une mémoire, un présent ? Chaque artiste décrit dans son époque ses sensations, ses préoccupations avec un langage qui lui est propre. A travers ses espoirs, ses désirs, ses fantasmes…il décrit une époque comme l'ont fait beaucoup d'artistes avant cette ère. Le Maghreb : Vous bouclez un quart de siècle de parcours pictural en Algérie et vous préparez d'ailleurs une grande expo pour le 17 avril à Sidi-Fredj, toutefois pratiquement personne ne sait que très jeune vous avez enseigné aux Beaux-Arts de l'Ukraine. V.G : C'était plutôt une période où je m'amusais beaucoup en attendant de m'exprimer pour de vrai. Je donnais et je prenais en même temps comme chaque enseignant qui donne ce qu'il a appris et reçois en même temps autre chose. Je travaillais avec des jeunes qui avaient mon âge. Ceux-ci avaient une telle soif de s'exprimer et d'apprendre que ça a fait une expérience particulièrement enrichissante d'autant que les étudiants avaient une autre vision du monde. Ce qui m'agaçait un peu dans ce travail didactique c'est que j'étais tenue au respect des horaires fixes et ça me gênait beaucoup dans mon travail. J'ai eu d'autres propositions dans ce sens mais j'ai toujours refusé, puisque je n'aime pas être emprisonnée dans des horaires fixes. En tout cas, mes étudiants sont aujourd'hui tous quelque part dans le monde ; ils sont designer, peintres….et quand je les rencontrent ils gardent vis-à-vis de moi un agréable souvenir. Ça me fait plaisir car je me dis que j'ai semé de bonnes graines. Le Maghreb : Est-ce que si vous étiez restée en Ukraine vous auriez réalisé les mêmes oeuvres? V.G : C'est une question intéressante que je me suis posée moi-même à maintes reprises. Cela dit, il est possible que l'éloignement autant que la nostalgie de mon pays ont fait que j'ai acquis autre chose que si je baignais encore dans les ambiances de la mère patrie. Je sais en revanche que le noyau de mes thèmes de la plupart de mes œuvres est presque le même. Mon propos est l'hymne à la joie. C'est celui de l'amour, du partage de la joie de vire, de la musique, des espoirs….D'autre part notre entourage influe sur notre intérieur et ce qui demeure précieux pour chaque être resurgit à chaque fois dans le travail plastique ou autre. Le Maghreb : Est-ce que vous avez maintenu cet essor pour la vie dans vos peintures des années 90 que je n'ai pas eu le plaisir de voir ? V.G : Peut être encore plus que maintenant ! Il y a quelques expo d'ont le thème majeur était l'amour, sauf que le fond de mes tableaux était noir. Là d'ailleurs j'y reviens, je suis en plein dedans. C'était un fond noir avec cette volonté de se surpasser, cette folle envie d'en finir avec les affreuses nouvelles de la mort. L'une de ces collections s'appelle d'ailleurs “À la recherche du temps perdu”. Le Maghreb : Vous avez subitement un coup de cafard ! V.G : Parce que je me revois dans cette ambiance drôle dans laquelle je travaillais. Je garde pratiquement les mêmes préoccupations. Le Maghreb : On a l'impression que beaucoup de vos peintures sont des autoportraits. V.G : Chaque artiste se doit d'être sincère, entier. Le monde que je connais le mieux, c'est le mien. D'abord je trouve que parler du monde intérieur des autres, est un abus de pouvoir, parce qu'on ne connaît les gens qu'à travers le prisme de nos sensations et nos sensibilités propres. En réalité on ne connaît jamais les autres, ce dont ils sont capables, leur potentiel…Comme j'ai dit une fois dans une émission télé, pour connaître un chat il ne faut pas le voir seul quand il s'amuse, mais plutôt le contempler dans la difficulté, dans la bataille. Autoportraits ? C'est peut être instinctif. Quand je peins, je me touche. Dans mon atelier, il n'y a pas de miroir et à chaque fois je me dis qu'il faut que je l'installe et depuis je continue à peindre sans! Par exemple pour peindre un sentiment ça prend du temps pour prendre un modèle, alors le premier modèle que je prends c'est le mien. L'imaginaire, l'expérience font que j'exécute l'idée à chaud sans perdre de temps. Je pense que chaque artiste dans n'importe quel domaine qui soit se reflète dans son œuvre. On se met à raconter notre monde intérieur parfois sans le vouloir. C'est pour ça d'ailleurs que chaque œuvre est difficile à décrypter. Nous sommes différents, pour nous approcher, nous comprendre…il faut nous écouter, nous voir et lire…. Le Maghreb : Vous allez exposer du 17 avril au 02 mai prochain à la galerie de Sidi-Fredj une collection qui résumerait 25 ans de carrière. Qu'attendez-vous de cet événement ? V.G : Le plus important c'est de voir la réaction des gens sur mon travail. Quand je sens que ma collection est arrivée à terme, je me sens inutile. J'ai une envie folle de l'exposer aux regards des autres et ça me donne un nouvel élan pour explorer d'autres lumières. Il y a quelque chose qui bouge en moi, mais pour l'exprimer je dois d'abord confronter mon travail au regard des artistes, des gens simples, qui m'aiment qui m'apprécient moins, des critiques, des amoureux de la vie, des amateurs …. Le Maghreb : Qu'elles étaient les rencontres ou les peintures qui ont été déterminantes dans votre travail, ou plutôt celles d'où vous puisiez votre source d'inspiration ? V.G : C'est trop profond comme question ! Malgré que je sois devenue sélective, je pense que toute rencontre, tout voyage, toute lecture nous permet d'emmagasiner un certain nombre d'images, de voix, d'idées … Mais pour chercher d'où vient quoi, je ne pense pas que ça soit quelque chose de très utile. Je demeure toutefois très reconnaissante à l'égard des gens, des lieux, des grands poètes, d'écrivains que je remercie vivement dans mon cœur et âme, grâce auxquels je suis ce que je suis et je fais ce que je fais. Il y avait des moments où j'étais dans l'enfermement, mais je trouvais à chaque fois des sources d'inspiration. Le sud algérien demeure pour moi le véritable terreau de mes inspirations. C'est ce haut lieu de méditation qui à un moment donné, m'a aidé à renaître. Le Maghreb : Dans quelle approche artistique vous situez-vous par rapport à ce qui se fait ici et ou / en Ukraine ? V.G : Le terme de courant ça ne me va pas du tout ! Tout ce qui est cadenas, embrigadement, ne me va pas. Chaque artiste est libre de s'exprimer comme il veut. Il n'est pas obligé de porter un drapeau, une idéologie. Etre artiste suppose, qu'il n'y a ni heure, ni barrage, ni règles … Le Maghreb : On vous compare à Modigliani le peintre italien du début du 20ème siècle. Ça vous va ? V.G : A merveille ! Entretien réalisé