Alors que le ministère français de l'Économie accueille le 5 juin des représentants patronaux ayant soutenu Jair Bolsonaro, le président brésilien présente un bilan contrasté à la tête du pays. "Jair Bolsonaro a voulu incarner une rupture après son élection, mais maintenant il faut passer des mots à l'action politique." Telle est l'analyse des premiers mois au pouvoir du président brésilien que livre Pascal Drouhaud, vice-président de l'Institut Choiseul et président de l'association LatFran (France-Amérique latine), contacté par France 24. Pourtant auréolé de 75 % d'opinions favorables - selon l'institut de sondages brésilien Ibope - avant son investiture le 1er janvier dernier, Jair Bolsonaro a vu son état de grâce s'étioler en quelques mois. Il faut dire que le président d'extrême droite a mené de front plusieurs batailles, que ce soit pour défendre sa conception de la société brésilienne ou faire avancer ses priorités économiques. C'est d'ailleurs bien l'état de l'économie du pays qui semble au cœur des préoccupations actuelles des Brésiliens, comme l'explique Pascal Drouhaud : "Le premier bilan de ces quelques mois est contrasté. Même s'il n'a pas perdu tous ses soutiens politiques, Jair Bolsonaro est confronté à plusieurs indicateurs économiques qui ne prêtent pas au même optimisme que lors de son élection." "Le spectre d'une récession peut réapparaître au Brésil" Le produit intérieur brut (PIB) du Brésil a ainsi reculé de 0,2 point au 1er trimestre 2019, selon les chiffres de l'Institut brésilien de géographie et de statistiques. Une première depuis 2016, due à "des facteurs conjoncturels comme la chute de production de minerais et de mauvais résultats dans le secteur agricole", explique le spécialiste de l'Amérique latine. "De plus, analyse Pascal Drouhaud, les réformes que Jair Bolsonaro n'a pas engagées, comme celle des retraites, créent un climat d'interrogation dans les milieux économiques cinq mois après son entrée en fonction." Cette réforme, qui est entre les mains du Congrès brésilien depuis février et doit permettre d'économiser 230 milliards d'euros en dix ans, devrait être "la mère de toutes les batailles", pilotée par le ministre de l'Économie, Paulo Guedes. "(Cette réforme) est considérée comme structurellement fondamentale pour l'économie brésilienne", explique Pascal Drouhaud, alors que 51 % des Brésiliens y sont opposés, selon l'institut de sondages Datafolha. À cela s'ajoute un contexte où la Bourse brésilienne "a perdu des couleurs" ces derniers mois. D'où cette inquiétude du spécialiste de l'Amérique latine : "Le spectre d'une récession (une diminution soutenue du taux de croissance de la production d'un pays, NDLR) peut réapparaître au Brésil." La dernière en date ayant eu lieu en 2015 sous la présidence de Dilma Rousseff. Une vision de la société brésilienne "très conservatrice" Les premiers mois de Jair Bolsonaro à la tête du Brésil ont aussi été marqués par une politique environnementale à contre-courant des enjeux actuels concernant le changement climatique. Son ministre de l'Environnement, Ricardo Salles, a explicité l'action gouvernementale, lors d'un entretien accordé à la radio Jovem Pan en avril dernier, en déclarant notamment que son travail consiste davantage "à défaire qu'à faire" et que "l'appareillage idéologique et bureaucratique (du Brésil) freine le développement économique du pays". À cela s'ajoute la volonté du président d'extrême droite de poursuivre la déforestation de l'Amazonie au profit des grands propriétaires terriens et de l'industrie minière - et au détriment des territoires de plusieurs tribus autochtones. "Jair Bolsonaro a fait de son élection un temps nouveau de développement économique, qui n'est cependant pas compatible avec la protection du capital écologique du Brésil", explique Pascal Drouhaud. Une vision que ne partagent pas les ONG, qui ont signé le 29 mai une tribune dans laquelle elles expliquent que "le gouvernement Bolsonaro et ses alliés d'extrême droite portent un projet de criminalisation des mouvements sociaux et d'exclusion des minorités, de démantèlement généralisé des politiques de protection environnementale et de destruction des droits des peuples indigènes". Et elles poursuivent : "Leur fonds de commerce idéologique s'appuie sur des thèses racistes, homophobes, misogynes et conspirationnistes, incompatibles avec les valeurs démocratiques." Sur le front social, le président brésilien fait face à des manifestations étudiantes contre des coupes budgétaires de plus d'un milliard d'euros dans l'éducation. Mais avant d'être économique, la raison de ce choix financier est plutôt à chercher "dans une conception que Jair Bolsonaro se fait de la société brésilienne, comme la dénonciation du mariage gay par exemple", ainsi que l'analyse le spécialiste de l'Amérique latine. "Sa vision de la société est très conservatrice, et dans cette perspective l'éducation occupe une place essentielle." Et il poursuit : "Jair Bolsonaro veut 'délulaliser' l'éducation, il veut construire un 'Brésil nouveau'. Un régime, quel qu'il soit, a besoin de transmettre des valeurs, des concepts, qui construisent les esprits de demain. Et ça, (le président brésilien) l'a bien compris." Le succès ou l'échec de la politique du président d'extrême droite, conflictuelle en matière environnementale et sociale, va reposer sur les perspectives économiques qui s'offriront au Brésil pendant son mandat, ainsi que sur la capacité de Jair Bolsonaro de gagner le soutien des milieux économiques.