«Les Etats-Unis sont en train de reprendre possession de ce qui a été perdu en Amérique latine (durant les années 2000), dans un contexte de lutte globale avec la Chine pour les ressources naturelles, les marchés et les soutiens politiques.» Politique étrangère, commerce, maintien de l'ordre: les voisins latino-américains du Brésil se préparent à l'arrivée prochaine de Jair Bolsonaro, premier président d'extrême-droite qui a promis de faire prendre un virage radical à la principale puissance de la région. Le nouveau président du Brésil prendra ses fonctions le 1er janvier, après avoir triomphé dimanche soir avec plus de 55% des voix, devant le candidat de gauche Fernando Haddad (45%) à l'issue d'une campagne très polarisée. La victoire de ce nostalgique de la dictature brésilienne (1964-85) s'inscrit dans une série de récents succès électoraux dans la région où le scénario est souvent le même: un candidat de droite s'impose face à un candidat de gauche, issu du pouvoir sortant et généralement hostile aux Etats-Unis, souligne l'anthropologue argentin Pablo Seman. Ce fut le cas avec Mauricio Macri en Argentine, Sebastian Piñera au Chili et Mario Abdo Benitez au Paraguay. «Les Etats-Unis sont en train de reprendre possession de ce qui a été perdu en Amérique latine (durant les années 2000), dans un contexte de lutte globale avec la Chine pour les ressources naturelles, les marchés et les soutiens politiques», ajoute M. Seman à propos de Jair Bolsonaro, admirateur déclaré de Donald Trump. Depuis que le milliardaire est arrivé à la Maison-Blanche, «les hommes forts ont les faveurs» de la politique étrangère américaine, estime l'analyste américain Michael Shifter. Mais dans une région marquée par les dictatures militaires du XXe siècle, le triomphe de Jair Bolsonaro fait craindre le retour d'un gouvernement autoritaire aux commandes du géant sud-américain. Le virage s'annonce radical, selon Mark Weisbrot, du Centre pour la recherche économique et politique, à Washington. «C'est quelqu'un qui a déclaré que la dictature brésilienne n'avait pas tué assez, qu'il aurait fallu tuer 30.000 autres personnes, que la police devrait avoir le droit d'abattre les suspects, que (les sympathisants de) gauche auraient le choix entre l'exil ou la prison», relève M. Weisbrot. «Va-t-il faire tout cela? Je pense qu'il va mettre en oeuvre autant de menaces que possible», estime cet expert. Pour lui, le futur président brésilien va soutenir «les mouvements de droite et fascistes un peu partout, et devenir aussi un supporter de la politique étrangère américaine de l'administration Trump, qui cherche à se défaire des gouvernements de gauche restants». Pourtant, «le virage vers un régime autoritaire pourrait ne pas être aussi extrême», juge Michael Shifter, président du groupe de réflexion The Dialogue, basé aux Etats-Unis et spécialiste de l'Amérique latine. Selon lui, les partis traditionnels feront office de garde-fous au Parlement, fragmenté en une trentaine de partis et où le futur président devra former une majorité pour gouverner. Il pourrait y avoir un «léger effet Bolsonaro» dans les pays voisins, particulièrement ceux qui ont connu des dictatures, «mais chaque pays a sa propre dynamique qui façonne sa destinée politique. Toute contagion (au reste de la région) restera limitée», poursuit M. Shifter. Pour Ivan Briscoe, directeur pour l'Amérique latine de l'ONG International Crisis Group, la victoire de l'ancien capitaine de l'armée contribue à «l'affaiblissement de la démocratie» dans la région, en référence aux crises qui secouent le Venezuela et le Nicaragua. Au Brésil, «quand vous avez un dirigeant populiste autoritaire, militariste dans ce contexte, il n'est pas juste la risée de tout le monde -comme c'est souvent le cas pour Trump- il représente en réalité une menace sérieuse pour les droits civiques, les droits de l'homme et les libertés individuelles», ajoute M. Briscoe. Côté économie, M. Bolsonaro a promis des mesures ultra-libérales et a récemment accusé la Chine, le principal partenaire commercial du pays, d'être en train d'»acheter le Brésil». Outre la relation avec Pékin, qui sera déterminante, les regards se tournent aussi vers le Mercosur, espace de libre-échange latino-américain, qui ne figure même pas sur son programme. Il a dit préférer «mettre l'accent sur les relations et accords bilatéraux». «Si Bolsonaro donnait suite à son idée d'autoriser les membres (du Mercosur) à signer des accords commerciaux bilatéraux et non plus en tant que bloc, ce serait un coup dur» pour cette instance, souligne M. Shifter. Selon M. Weisbrot, Jair Bolsonaro va «suivre (le président argentin Mauricio) Macri et les autres gouvernements de droite en adoptant des politiques commerciales qui ont les faveurs de l'administration Trump».