La ratification du traité de Lisbonne, qui fait le 12 juin une étape à haut risque en Irlande, risque de sonner le glas des derniers espoirs de conclure un accord à l'Organisation mondiale du commerce (OMC).Le directeur général de l'OMC, Pascal Lamy, et le commissaire européen au Commerce extérieur, Peter Mandelson, font le forcing pour convoquer en mai une réunion ministérielle à Genève afin de conclure un compromis sur le "cycle de Doha" entamé en 2001 pour libéraliser les échanges mondiaux. Après, il sera pratiquement impossible pour George Bush de faire des concessions qui seraient vivement critiquées par les trois candidats en lice pour l'élection présidentielle de novembre, pour lesquels le dossier n'est pas une priorité. Un accord "serait un signal positif pour l'économie mondiale au moment où elle en a bien besoin", car cela démontrerait une "capacité collective de réagir", a récemment déclaré Lamy devant l'Association des journalistes économiques français, à Paris. Mais cette stratégie est de plus en plus contestée par un puissant groupe d'États membres emmenés par le couple franco-allemand et au sein même de la Commission européenne. "Lamy et Mandelson cherchent désespérément à parvenir à un accord pour laisser leur trace avant d'achever leur mandat", souligne un responsable de l'exécutif européen. Jusqu'à présent, le débat se concentrait sur les concessions à faire par les différents protagonistes du dossier. La Commission européenne, qui négocie au nom des Vingt-Sept, a mis sur la table des propositions en matière de réduction des subventions agricoles qui ont déjà été jugées à la limite - voire au-delà - de l'acceptable par un groupe de pays. Mais ces derniers seraient prêts à un accord si les pays émergents, comme le Brésil ou l'Inde, ouvrent leurs marchés aux biens industriels et aux services des pays les plus riches. Or, pour une majorité de pays européens, le compte n'y est pas: il n'y a pratiquement rien dans la balance sur les services et les offres en matière de désarmement douanier industriel sont jugées beaucoup trop faible pour que l'accord soit "équilibré". "Nous préférons qu'il n'y ait pas d'accord plutôt qu'un mauvais accord", a récemment expliqué le ministre français de l'Agriculture, Michel Barnier, en se demandant même si l'OMC était le lieu où parler agriculture lorsque la pénurie menace. Le secrétaire d'État allemand à l'Agriculture, Gert Lindemann, a émis mercredi des doutes sur la possibilité de réaliser en mai prochain une percée à Genève. "Il n'y a pas de progrès (sur les produits industriels) et les services. En même temps, l'UE cède de plus en plus de terrain sur les dossiers agricoles. Nous pensons que ce n'est pas la bonne manière de procéder", a-t-il estimé à Berlin devant des journalistes européens basés à Bruxelles. Selon des sources communautaires, la commissaire européenne à l'Agriculture, Mariann Fischer Boel, partage cet avis et n'est pas loin de se situer dans l'opposition à Mandelson. "Il n'est pas question de conclure un accord qui porterait uniquement sur l'agriculture", a expliqué un fonctionnaire, alors que le camp "libéral" de l'Union européenne, qui regroupe le Royaume-Uni, la Suède, le Danemark, la République tchèque, l'Estonie, la Lettonie et Malte, est d'un avis inverse. Le processus de ratification du traité de Lisbonne vient en outre se greffer sur cette situation déjà complexe. Le 12 juin, l'Irlande, qui partage entièrement la position française, soumettra ce texte à référendum, seul pays dans ce cas parmi les Vingt-Sept, alors que les sondages donnent une proportion majoritaire d'indécis parmi les électeurs. "Un compromis en mai sur la réduction des subventions à l'agriculture risque de peser très lourd dans un pays où le groupe de pression agricole est extrêmement puissant et a l'oreille du gouvernement", souligne-t-on à la Commission. Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a d'ailleurs pu mesurer la détermination des agriculteurs irlandais, qui étaient 10.000 à protester contre un accord à l'OMC lors de sa visite en Irlande le 17 avril dernier. Or, aucun État membre de l'Union européenne n'a envie de revivre la crise provoquée par les "non" français et néerlandais à la Constitution européenne, en 2005. "Entre le traité de Lisbonne et un accord à l'OMC, il n'y a pas photo", a estimé un responsable de la Commission.