Par Hiba Sérine A.K. Pour le président français, le non de l'Irlande au Traité de Lisbonne s'explique par la peur que son élevage bovin et sa production laitière ne soient défavorisés par la libéralisation du commerce international. Le président français, Nicolas Sarkozy, a jugé "invraisemblable" de vouloir continuer à négocier le Cycle de Doha à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), après le non irlandais au Traité de Lisbonne. Selon lui, la question de la libéralisation du commerce agricole a été clairement évoquée dans le débat irlandais. "Si on veut accroître la crise irlandaise, il n'y a qu'à remettre une couche là-dessus, et continuer sur un accord complètement déséquilibré à l'OMC", a-t-il déclaré. Il a dit comprendre la crainte des agriculteurs irlandais qu'un accord à l'OMC ne menace l'élevage bovin et la production laitière de leur pays. Selon lui, cette peur a conduit les Irlandais à voter non au Traité de Lisbonne. A l'issue de la première journée du Sommet européen à Bruxelles, mercredi dernier, le président français, qui prendra la présidence de l'Union européenne (UE) dès juillet, a clairement menacé de rompre les négociations de Doha. "Il serait invraisemblable qu'on continue à vouloir négocier un accord où nous n'avons obtenu rien sur les services, rien sur l'industrie et qui conduirait à une baisse de 20% de la production agricole, dans un monde où il y a 800 millions de personnes qui meurent de faim", a poursuivi le chef d'Etat français. Nicolas Sarkozy a aussi désavoué Peter Mandelson, le commissaire au Commerce et chef négociateur européen. "Sa position n'est pas celle de la France", a-t-il reproché. Cette sortie en règle arrive au pire moment. Lancées en novembre 2001, avec une première échéance fixée à décembre 2004, les négociations sont entrées dans une phase critique. Les pays sont loin d'un consensus alors que Pascal Lamy, directeur de l'OMC, voudrait organiser une conférence ministérielle avant cet été pour donner une impulsion politique aux négociations. Les déclarations du futur président de l'UE ont fait l'effet d'une douche froide à Bruxelles. Peter Mandelson n'a pas réagi directement aux critiques, mais son entourage a fait comprendre que "le chef négociateur européen ne présenterait jamais un accord, s'il y en a un, qui ne serait pas dans l'intérêt des Européens. Chaque pays devra alors peser les gains et les sacrifices et éviter des conclusions hâtives." Ce n'est pas la première fois que le président français tourne en ridicule les négociations à l'OMC. Ses remarques dépassent largement ce qui pourrait être considéré comme des tactiques ou des postures de négociations. Un thème de campagne Pour Paris, l'OMC est devenue un thème de campagne électorale qui se veut permanent et un bouc émissaire tout désigné pour camoufler des échecs. Candidat à la présidentielle, Nicolas Sarkozy montrait une certaine aversion vis-à-vis de la mondialisation incarnée, selon lui, par l'OMC. "Je veux qu'on change les règles. Il ne faut pas sortir de cette organisation, mais négocier de manière différente. Ce n'est pas aux commissaires d'aller négocier. C'est au président de la commission de négocier et à personne d'autre", proclame son manifeste électoral. Le président Sarkozy a plus d'une fois brandi la menace d'opposer son veto si les intérêts des agriculteurs français n'étaient pas respectés. L'agriculture française est la première bénéficiaire des subventions tant à la production qu'aux exportations payées par l'UE. Fidèle au président, le ministre français de l'Agriculture Michel Barnier ne dit pas autre chose. Reprenant les propos du militant altermondialiste José Bové, il s'est demandé en mars s'il ne fallait pas sortir le dossier agricole de l'OMC. En avril, il a déclaré qu'il n'y avait aucune raison de changer la Politique agricole commune puisque celle-ci avait épargné une crise alimentaire à l'Europe. Il suggérait aux pays africains d'adopter à leur tour une politique agricole à l'européenne. A l'OMC à Genève, la déclaration de Nicolas Sarkozy agace, mais ne freine pas les travaux. "C'est aux Européens de s'entendre entre eux et de présenter une position commune", dit un porte-parole. Le non irlandais au traité met l'exécutif en difficulté face aux gouvernements. Merci Jean-Claude Juncker. Interrogé à Bruxelles sur les critiques adressées contre la Commission européenne, accusée de préférer la concurrence à la "protection" des citoyens, le premier ministre luxembourgeois a tonné vendredi: "Ceux qui critiquent la Commission feraient bien de s'informer avant de venir. La cibler, c'est viser l'Europe." Difficile, pourtant, de ne pas sentir le vent tourner. Sitôt le non irlandais sorti des urnes, la première salve est venue de l'Europarlement, où plusieurs ténors ont attaqué le commissaire irlandais au marché unique Charlie Mac Greevy. Grand amateur de chevaux, ce dernier avait, avant le scrutin, avoué ne pas avoir lu le Traité de Lisbonne et préférer les courses hippiques au débat institutionnel. Une brèche mal comblée par le président José-Manuel Barroso venu à sa rescousse en s'érigeant contre "la recherche de boucs émissaires": "Après cela, comment défendre la bureaucratie bruxelloise?" interroge, furieux, un diplomate. Barroso en ligne de mire Le Sommet européen, lui, n'a pas réagi. Mais à entendre Nicolas Sarkozy, la Commission paraît sous "surveillance". Diatribe contre le commissaire au Commerce Peter Mandelson jeudi soir. Longue tirade, vendredi, sur la décision des Vingt-Sept de confier "conjointement" à la France et à l'exécutif européen une mission d'évaluation des allégements fiscaux sur les carburants. Mise en avant de structures intergouvernementales comme l'Union pour la Méditerranée. Le président français, étatiste et volontariste, n'est pas loin de penser que le malaise populaire s'enracine au Berlaymont, le QG bruxellois de la Commission: "Nous sommes tous sous pression, à cause des soucis rencontrés par nos citoyens", reconnaît son porte-parole, Johannes Laitenberger. José Manuel Barroso, de plus, est en position inconfortable. Candidat pour un nouveau mandat, après les Européennes de juin 2009, le Portugais doit plaire aux Etats, s'attaquer à l'envolée des prix alimentaires et pétroliers, tout en continuant de défendre "l'intérêt général". Il sait aussi que l'actuel Traité de Nice, tout en prévoyant une diminution du nombre de commissaires laisse les Etats décider in fine. Alors que celui de Lisbonne fixe leur nombre à deux tiers des pays membres, assorti d'une rotation impérative. Une configuration moins aléatoire. L'hyperactive présidence française ne sera pas pour lui de tout repos.