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Une Révolution à écrire
Guerre de libération nationale
Publié dans Le Midi Libre le 03 - 11 - 2007

Pour une raison ou une autre, il y a toujours eu cette loi du silence, presque une omerta, qui entoure d'un halo de mystère tout ce qui a trait à la période de la révolution. Et les acteurs de cette épopée glorieuse nous quittent les uns après les autres, emportant dans leurs tombes des pans entiers de l'histoire nationale.
Pour une raison ou une autre, il y a toujours eu cette loi du silence, presque une omerta, qui entoure d'un halo de mystère tout ce qui a trait à la période de la révolution. Et les acteurs de cette épopée glorieuse nous quittent les uns après les autres, emportant dans leurs tombes des pans entiers de l'histoire nationale.
Les erreurs contenues dans les manuels scolaires relancent d'une manière poignante le débat sur l'écriture de l'histoire de la Révolution, à la veille de la célébration du 53è anniversaire du déclenchement de la Lutte armée pour la libération du pays du joug colonial.
Faut-il confier cette écriture aux historiens, aux inspecteurs de l'Education nationale ou aux seuls acteurs de la Révolution encore vivants ?
Au début des années 70 avait été créé un musée du Moudjahid, dont le siège était situé au Parc des Pins, à El Biar, sur les hauteurs d'Alger. Longtemps, ce centre fut une coquille vide, déserté par les historiens, les chercheurs, voire par les officiels. Les responsables de cet établissement avaient invité les moudjahidine à venir y déposer leurs témoignages, ainsi que les objets de valeur liés à la Révolution : armes, uniformes, photos, courriers, documents et archives. Mais bien peu le firent. Soit parce que l'information avait mal circulé, soit parce que les gens n'avaient pas confiance du fait de la censure et de l'opacité qui régnaient à l'époque, soit parce que tout simplement les citoyens, empêtrés dans les soucis de la vie quotidienne, n'avaient pas du tout l'esprit à cela.
Puis il y eut des colloques sur l'écriture de l'histoire de la Révolution, à l'échelle nationale et à l'échelle des wilayas. Il y eut même des colloques par thèmes (comme par exemple les transmissions durant la guerre de Libération). Des efforts louables furent consentis pour aboutir à des résultats, des acteurs avaient déposé des témoignages et des documents, mais la moisson, là aussi, fut modeste. Pour une raison ou une autre, il y a eu toujours cette loi du silence, presque une omerta, qui entoure d'un halo de mystère tout ce qui a trait à cette période. Et les acteurs de de cette glorieuse épopée nous quittent les uns après les autres, emportant dans leurs tombes des pans entiers de l'histoire nationale.
C'est une chape qui plombe les véritables archives de la Révolution. Ne parlons pas de celles qui sont détenues par l'ancienne puissance coloniale, et qui sont l'objet de négociations entre les deux pays pour leur restitution.
Le devoir de mémoire
L'un des historiens les plus compétents et les plus respectés, à savoir Mahfoud Kadache, universitaire, chercheur, ancien doyen de l'Institut de bibliothéconomie, nous confiait un jour ceci :
«Boumediene m'a dit de ne traiter que des événements et de ne pas citer les hommes».
Ce fut une autre manière de rendre encore plus opaque l'écriture de la Révolution et de semer des entraves sur les chemins de la recherche de la vérité. Comment parler des faits, donner des dates, sans dire qui étaient les acteurs de cette formidable épopée, l'une des plus grandioses du 20e siècle ? Les héros de la Révolution, — ceux qui étaient tombés au champ d'honneur —, n'étaient connus que par les des rues, boulevards, et impasse éponymes. Quant à ceux qui étaient encore en vie, ils étaient enterrés vivants dans la mémoire populaire, dans une tentative d'amnésie collective confinant à l'auto flagellation, à l'oubli de son identité, à la mutilation de la personnalité nationale. Les Algériens venaient de se libérer au prix de mille sacrifices et de privations, mais ils n'avaient pas le droit de savoir ce qui s'était passé. Ils ne s'étaient arrachés à la censure coloniale que pour plonger dans une autre forme de censure, mais cette fois qui relève du déni de soi-même.
Pendant ce temps, des écrits, des essais, des livres, des numéros spéciaux de revues, ou de magazines, étaient publiés en France, dans l'ancienne métropole, perpétuant et reproduisant là aussi une domination intellectuelle de Paris sur Alger, dont le statut était confiné à celui de simple ville provinciale, sinon de simple bourgade.
L'histoire confisquée
Un couvre-feu fut instauré pour une courte période après juin 1965 pour «obliger les gens à se coucher tôt». Il s'adressait aussi aux esprits auxquels on demandait de se mettre en veilleuse. Il fut certes levé dans les faits, mais ses effets continuaient à se produire. Le contrôle des écrits, l'interdiction de réunion et le monopole de l'Etat sur la presse et les éditions allaient tous dans le même sens : faire table-rase de ce qui contrarait la pensée unique. Résultat des courses : après le 5 octobre 1988, lorsque la liberté d'expression fut rétablie et que le multipartisme fut institué, on était étonné de découvrir des Boudiaf, des Mahsas, des Tahar Zbiri, des Ait Ahmed. On commençait à se poser des questions sur Messali l'Hadj, dont le nom avait été longtemps tabou. Sur Ferhat Abbas, l'un des personnages les importants de l'intelligentsia algérienne. On voulait savoir la vérité sur la mort de Mostefa Ben Boulaid, de Abane Ramdane, de Mohamed Khemisti, du colonel Chabou, de Boumediene lui-même.
Il y a eu confiscation de l'histoire du Mouvement national. Les jeunes générations découvraient, effarés, qu'on leur avait voilé la vérité, mais que le cadavre était resté caché dans l'armoire. A tout moment, il risquait de tomber dans le salon, de surgir dans la chambre à coucher, pendant le flonflon des célébrations officielles qui font dans l'auto-encensement et dans le révisionnisme.
Maintenant que l'expression a été libérée, il est bon de se demander s'il faut relancer la polémique sur certains épisodes de la Révolution, ou bien s'il faut garder à l'écriture de l'histoire une certaine forme de sérénité ? La recherche de la vérité est une tâche ardue, et il faut certainement emprunter plusieurs chemins pour y parvenir.
Associer tous les acteurs
On connaît tous la polémique qui a été provoquée par les écrits de Ali Kafi sur Abane Ramdane, l'un des rares intellectuels et stratèges de la Révolution, avec Larbi Ben M'hidi qui rédigea avec lui les résolutions de la plateforme de la Soummam. Et on a tous à l'esprit les véhémentes répliques que ces écrits ont suscitées au sein de l'opinion publique. Alors que l'ancien Président Ahmed Ben Bella apportait plutôt de l'eau au moulin de Ali Kafi, on a lu les réponses de Benyoucef Ben Khedda, ancien président du GPRA et compagnon de Abane Ramdane, de Reda Malek, qui fut son secrétaire pendant le congrès de la Soummam. Ce n'est là qu'un épisode du long scénario ou du long feuilleton de l'écriture de la Révolution. Il est tout de même important que le travail sur la mémoire de la Révolution se fasse d'une manière plus rigoureuse et moins partisane. Tout comme, on n'a pas le droit de souiller la mémoire des pères-fondateurs de l'Algérie moderne.
Cela ne pas veut dire qu'il faille occulter la complexité de la tâche, mais tout en insistant sur le caractère pluridisciplinaire de cette écriture qui doit associer historiens, acteurs de la Révolution, sociologues, psychologues, et autres spécialistes, il est bon de veiller à la non récupération d'un événement collectif qui apparteint à tous les Algériens, à des fins politiciennes ou partisanes. La Révolution, c'est aussi et surtout les milliers de personnes anonymes qui, en ville ou à la campagne, ont sacrifié ce qu'elles avaient de meilleur pour réaliser leur aspiration à l'indépendance et à la liberté. Que des historiens comme Benjamin Stora ou Mohamed Harbi multiplient des ouvrages ou des thèses sur la guerre de Libération est important, mais on peut tout aussi bien s'interroger sur les notions de guerre, de Révolution, de Mouvement national, de guerre de Libération nationale, en empruntant de nouvelles pistes de recherche dans l'univers sémantique de la décolonisation, comme l'ont fait G. Meynier et R. Remaoun, ou bien s'interroger sur l'articulation entre mouvement de libération et la représentation démocratique au sein des formations nationalistes, comme l' a fait le sociologue Dahou Djerbal. En tout état de cause, il y a encore beaucoup de choses à dire sur la période 1954-1962, pour continuer à défricher des terrains encore vierges, en allant toujours un peu plus au fond pour découvrir des pans entiers encore méconnus de l'histoire algérienne.
De l'autre côté de la Méditerranée, les dégâts causés par la loi du 23 février 2005, dont l'article 4 (amendé) faisait l'apologie de la colonisation en Afrique du Nord, sont encore vivaces dans les esprits. Et il fut décidé de laisser «l'écriture de l'histoire aux historiens». D'autant plus que parallèlement à cet épisode, on a vu naître une autre polémique sur l'usage de la torture durant la guerre de Libération, une polémique à laquelle prirent part des officiers y compris le général Aussarès qui ne sait plus quoi inventer pour vanter son passé de tortionnaire.
Les erreurs contenues dans les manuels scolaires relancent d'une manière poignante le débat sur l'écriture de l'histoire de la Révolution, à la veille de la célébration du 53è anniversaire du déclenchement de la Lutte armée pour la libération du pays du joug colonial.
Faut-il confier cette écriture aux historiens, aux inspecteurs de l'Education nationale ou aux seuls acteurs de la Révolution encore vivants ?
Au début des années 70 avait été créé un musée du Moudjahid, dont le siège était situé au Parc des Pins, à El Biar, sur les hauteurs d'Alger. Longtemps, ce centre fut une coquille vide, déserté par les historiens, les chercheurs, voire par les officiels. Les responsables de cet établissement avaient invité les moudjahidine à venir y déposer leurs témoignages, ainsi que les objets de valeur liés à la Révolution : armes, uniformes, photos, courriers, documents et archives. Mais bien peu le firent. Soit parce que l'information avait mal circulé, soit parce que les gens n'avaient pas confiance du fait de la censure et de l'opacité qui régnaient à l'époque, soit parce que tout simplement les citoyens, empêtrés dans les soucis de la vie quotidienne, n'avaient pas du tout l'esprit à cela.
Puis il y eut des colloques sur l'écriture de l'histoire de la Révolution, à l'échelle nationale et à l'échelle des wilayas. Il y eut même des colloques par thèmes (comme par exemple les transmissions durant la guerre de Libération). Des efforts louables furent consentis pour aboutir à des résultats, des acteurs avaient déposé des témoignages et des documents, mais la moisson, là aussi, fut modeste. Pour une raison ou une autre, il y a eu toujours cette loi du silence, presque une omerta, qui entoure d'un halo de mystère tout ce qui a trait à cette période. Et les acteurs de de cette glorieuse épopée nous quittent les uns après les autres, emportant dans leurs tombes des pans entiers de l'histoire nationale.
C'est une chape qui plombe les véritables archives de la Révolution. Ne parlons pas de celles qui sont détenues par l'ancienne puissance coloniale, et qui sont l'objet de négociations entre les deux pays pour leur restitution.
Le devoir de mémoire
L'un des historiens les plus compétents et les plus respectés, à savoir Mahfoud Kadache, universitaire, chercheur, ancien doyen de l'Institut de bibliothéconomie, nous confiait un jour ceci :
«Boumediene m'a dit de ne traiter que des événements et de ne pas citer les hommes».
Ce fut une autre manière de rendre encore plus opaque l'écriture de la Révolution et de semer des entraves sur les chemins de la recherche de la vérité. Comment parler des faits, donner des dates, sans dire qui étaient les acteurs de cette formidable épopée, l'une des plus grandioses du 20e siècle ? Les héros de la Révolution, — ceux qui étaient tombés au champ d'honneur —, n'étaient connus que par les des rues, boulevards, et impasse éponymes. Quant à ceux qui étaient encore en vie, ils étaient enterrés vivants dans la mémoire populaire, dans une tentative d'amnésie collective confinant à l'auto flagellation, à l'oubli de son identité, à la mutilation de la personnalité nationale. Les Algériens venaient de se libérer au prix de mille sacrifices et de privations, mais ils n'avaient pas le droit de savoir ce qui s'était passé. Ils ne s'étaient arrachés à la censure coloniale que pour plonger dans une autre forme de censure, mais cette fois qui relève du déni de soi-même.
Pendant ce temps, des écrits, des essais, des livres, des numéros spéciaux de revues, ou de magazines, étaient publiés en France, dans l'ancienne métropole, perpétuant et reproduisant là aussi une domination intellectuelle de Paris sur Alger, dont le statut était confiné à celui de simple ville provinciale, sinon de simple bourgade.
L'histoire confisquée
Un couvre-feu fut instauré pour une courte période après juin 1965 pour «obliger les gens à se coucher tôt». Il s'adressait aussi aux esprits auxquels on demandait de se mettre en veilleuse. Il fut certes levé dans les faits, mais ses effets continuaient à se produire. Le contrôle des écrits, l'interdiction de réunion et le monopole de l'Etat sur la presse et les éditions allaient tous dans le même sens : faire table-rase de ce qui contrarait la pensée unique. Résultat des courses : après le 5 octobre 1988, lorsque la liberté d'expression fut rétablie et que le multipartisme fut institué, on était étonné de découvrir des Boudiaf, des Mahsas, des Tahar Zbiri, des Ait Ahmed. On commençait à se poser des questions sur Messali l'Hadj, dont le nom avait été longtemps tabou. Sur Ferhat Abbas, l'un des personnages les importants de l'intelligentsia algérienne. On voulait savoir la vérité sur la mort de Mostefa Ben Boulaid, de Abane Ramdane, de Mohamed Khemisti, du colonel Chabou, de Boumediene lui-même.
Il y a eu confiscation de l'histoire du Mouvement national. Les jeunes générations découvraient, effarés, qu'on leur avait voilé la vérité, mais que le cadavre était resté caché dans l'armoire. A tout moment, il risquait de tomber dans le salon, de surgir dans la chambre à coucher, pendant le flonflon des célébrations officielles qui font dans l'auto-encensement et dans le révisionnisme.
Maintenant que l'expression a été libérée, il est bon de se demander s'il faut relancer la polémique sur certains épisodes de la Révolution, ou bien s'il faut garder à l'écriture de l'histoire une certaine forme de sérénité ? La recherche de la vérité est une tâche ardue, et il faut certainement emprunter plusieurs chemins pour y parvenir.
Associer tous les acteurs
On connaît tous la polémique qui a été provoquée par les écrits de Ali Kafi sur Abane Ramdane, l'un des rares intellectuels et stratèges de la Révolution, avec Larbi Ben M'hidi qui rédigea avec lui les résolutions de la plateforme de la Soummam. Et on a tous à l'esprit les véhémentes répliques que ces écrits ont suscitées au sein de l'opinion publique. Alors que l'ancien Président Ahmed Ben Bella apportait plutôt de l'eau au moulin de Ali Kafi, on a lu les réponses de Benyoucef Ben Khedda, ancien président du GPRA et compagnon de Abane Ramdane, de Reda Malek, qui fut son secrétaire pendant le congrès de la Soummam. Ce n'est là qu'un épisode du long scénario ou du long feuilleton de l'écriture de la Révolution. Il est tout de même important que le travail sur la mémoire de la Révolution se fasse d'une manière plus rigoureuse et moins partisane. Tout comme, on n'a pas le droit de souiller la mémoire des pères-fondateurs de l'Algérie moderne.
Cela ne pas veut dire qu'il faille occulter la complexité de la tâche, mais tout en insistant sur le caractère pluridisciplinaire de cette écriture qui doit associer historiens, acteurs de la Révolution, sociologues, psychologues, et autres spécialistes, il est bon de veiller à la non récupération d'un événement collectif qui apparteint à tous les Algériens, à des fins politiciennes ou partisanes. La Révolution, c'est aussi et surtout les milliers de personnes anonymes qui, en ville ou à la campagne, ont sacrifié ce qu'elles avaient de meilleur pour réaliser leur aspiration à l'indépendance et à la liberté. Que des historiens comme Benjamin Stora ou Mohamed Harbi multiplient des ouvrages ou des thèses sur la guerre de Libération est important, mais on peut tout aussi bien s'interroger sur les notions de guerre, de Révolution, de Mouvement national, de guerre de Libération nationale, en empruntant de nouvelles pistes de recherche dans l'univers sémantique de la décolonisation, comme l'ont fait G. Meynier et R. Remaoun, ou bien s'interroger sur l'articulation entre mouvement de libération et la représentation démocratique au sein des formations nationalistes, comme l' a fait le sociologue Dahou Djerbal. En tout état de cause, il y a encore beaucoup de choses à dire sur la période 1954-1962, pour continuer à défricher des terrains encore vierges, en allant toujours un peu plus au fond pour découvrir des pans entiers encore méconnus de l'histoire algérienne.
De l'autre côté de la Méditerranée, les dégâts causés par la loi du 23 février 2005, dont l'article 4 (amendé) faisait l'apologie de la colonisation en Afrique du Nord, sont encore vivaces dans les esprits. Et il fut décidé de laisser «l'écriture de l'histoire aux historiens». D'autant plus que parallèlement à cet épisode, on a vu naître une autre polémique sur l'usage de la torture durant la guerre de Libération, une polémique à laquelle prirent part des officiers y compris le général Aussarès qui ne sait plus quoi inventer pour vanter son passé de tortionnaire.


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