Le Soir d'Algérie, 25 mars 2010 Si l'on admet pour vraie l'acception qui voudrait que le militantisme rime avec conviction et persévérance, l'attribut d'hommes politiques manquerait à nombre d'anciens animateurs de la scène politique nationale. Il manquerait à tous ceux qui, petit à petit ou brutalement, ont rompu avec leurs engagements militants, voire partisans antérieurs. Certains se sont éclipsés après une défaite et une déception électorale, comme incapables de se relever et de survivre à l'échec. D'autres se sont retirés de la scène après avoir goûté aux délices d'une promotion qui leur a fait assumer une charge ministérielle. Il y a enfin ceux, anciens responsables et commis de l'Etat, qui ont fini par ronger leur frein après d'infructueuses tentatives de se refaire une santé politique, non pas en guettant le rappel en bas de l'escalier de service mais en empruntant les sentiers abrupts de la structuration partisane. La difficulté les a fait rechigner devant la tâche. S'ils doivent persister à tendre l'oreille aux grondements politico-sociaux qui sourdent continuellement, ils s'interdisent la parole, la prise de position. Ils se résument de coller aux mondanités et s'obligent, quand il le faut, à faire acte de présence aux recueillements, aux enterrements. Ali Benflis, une seule épreuve puis le silence Ancien chef de gouvernement et ancien secrétaire général du FLN, Ali Benflis, candidat malheureux à l'élection présidentielle d'avril 2004, est celui qui incarne le mieux ce paradoxe de l'homme politique algérien. Ali Benflis est rentré chez lui au soir d'une défaite électorale. Depuis bientôt six années maintenant. Il est rentré chez lui avec, dans l'attitude, un renoncement définitif, du moins prolongé à toute entreprise politique. Il reçoit, dit-on, chez lui, commente l'actualité politique mais se garde bien de déclarations publiques. Chez lui, le silence est une règle d'or. Même lorsqu'on le croise, qu'on l'interroge, il ne va pas au-delà de l'échange de politesses. Aussi, on ne sait quels desseins politiques nourrit-il, lui qui est encore trop jeune pour faire ses adieux au métier qui l'a fait par le passé chef de gouvernement et secrétaire général du Front de libération nationale. Il se dit qu'il se met en réserve de la République, comme il est de tradition chez ceux qui, comme lui, se retrouvent un jour éjecté du sérail. Faut-il croire à une telle assertion ? Difficile dans son cas, après les péripéties qu'il dut endurer pendant qu'il engageait et menait le bras de fer avec le président Bouteflika. Mais s'il doit quitter son hibernation et refaire surface un jour, à l'appel d'un sérail remodelé ou sous l'impulsion de conjonctures politiques favorables, il aura nécessairement à expliquer son silence. Sid-Ahmed Ghozali ou l'apprentissage inaccompli de l'opposition Son nœud de cravate papillon ne lui a pas épargné la disgrâce. Sid- Ahmed Ghozali, ancien chef de gouvernement est de ces hommes politiques qui ne sont pas allés au bout de leur safari politique en enfourchant le cheval partisan sur les chemins escarpés de l'opposition. Il a découvert, à ses dépens, qu'une telle traversée n'est pas une sinécure. Son projet de parti politique avorté par une administration qui semble avoir juré de ne pas inscrire de nouveau-né sur la scène politique nationale, Sid-Ahmed Ghozali a fait, en dépit de cet aléa, preuve d'abnégation militante. Sevré de structure partisane, l'ancien chef du gouvernement s'est illustré quelques années durant acteur politique mais surtout contradicteur patenté du pouvoir incarné par Bouteflika. Cependant, son endurance a eu des limites. L'usure semble avoir eu raison de son engagement. Comme lassé par les circonvolutions d'une vie politique régentée par la censure autoritaire et la restriction des espaces d'expression, Sid-Ahmed Ghozali s'est soustrait à l'ambiance politique du moment. On ne lui lit quasiment plus rien et ses apparitions publiques sont réduites de manière drastique. A-t-il mis un trait sur sa vie politique ? Il n'y a que lui pour le dire. Pour cela, il va falloir qu'il rompe le silence. Pour le moment, il se tait. Mouloud Hamrouche, l'homme qui n'a pas fini d'attendre Il a de la patience. Il sait conduire des réformes. Il sait aussi attendre. Lui, c'est Mouloud Hamrouche, ancien chef de gouvernement que le système politique qu'il a servi a mis sur la marge. Il faut dire que Mouloud Hamrouche a survécu aussi par la grâce que la reconnaissance lui a toujours voué, lui qui eut l'insigne honneur de signer l'acte de naissance des journaux privés. Il a toujours eu place dans les colonnes pour un commentaire ou l'expression d'une position. Cependant, Hamrouche n'a jamais été tenté de se doter d'un instrument partisan de lutte. Du moins, il n'a rien entrepris dans ce sens. Il avait une aura et bonne presse chez les médias et cela semble lui suffire dans sa tentative de reconquérir le pouvoir. Il jugea que 1999 était la course qu'il ne lui fallait pas rater. Engagé dans la compétition, il se retira, d'un accord commun avec cinq autres candidats à l'élection présidentielle. Depuis, il a été de quelques initiatives, celles notamment qu'il réfléchissait avec Aït Ahmed et Abdelhamid Mehri. Le trio devait, d'ailleurs, en proclamer une des plus importantes. Cela n'est pas encore arrivé. Mouloud Hamrouche aura attendu mais ni Aït Ahmed, encore moins Abdelhamid Mehri n'ont semblé tenir à cette perspective qu'ils annoncèrent, pourtant, avec une foi sacerdotale. Les années se sont égrenées. Mouloud Hamrouche, tout au long, rongeait graduellement son frein. Aujourd'hui, il n'alimente plus la chronique. Noureddine Boukrouh, le chef de parti devenu ministre En fondant le Parti du renouveau algérien (PRA), Noureddine Boukrouh faisait une entrée fracassante sur la scène politique nationale. Sa jeunesse et quelques idées novatrices lui valurent une place honorable sur l'échiquier national, même si le verdict de l'urne devait rappeler, à chaque occasion, le dur métier de militant. Mais Boukrouh avait-il réellement vocation à faire de la politique un métier ? Les diatribes qu'il eut à engager avec le conseiller du président Zeroual, le général Betchine, le présentaient comme un militant qui avait de la poigne. Mais vite, l'opinion découvrira en lui un homme tout juste ambitieux, quelqu'un qui changea de bord à la première sollicitation, en allant rejoindre le gouvernement. Devenu ministre sous Bouteflika , Boukrouh fera du mieux qu'il pouvait pour paraître bien intégré dans l'exécutif. Heureux de cette promotion, il oublia le PRA qui, entre-temps, connaîtra de pénibles remous. Le parti ne s'est toujours pas remis de ses nombreuses guerres intestines. Jusqu'à aujourd'hui. Quant à Boukrouh, il s'est mis hors des feux de la rampe sitôt débarqué de l'exécutif. Il n'a plus écrit depuis. Pourtant, il affectionnait bien trop le trait de plus. Il en connaît quelque chose au métier de rédaction. Abdallah Djaballah, un islamiste en peine Deux partis plus loin, Abdallah Djaballah, l'islamiste à la chéchia blanche et à la barbe noire bien fournie, est toujours sans amarres partisanes. L'homme a la faculté, ou la mélédiction, de fonder des partis politiques d'où il se retrouve à chaque fois éjecté. Il a créé Ennahda. Il a été débarqué. Sans s'avouer vaincu, il renouvela l'exercice et fonda El Islah. Bis repetita. M ê m e manœuvre et à nouveau débarquement sans sommation . Djaballah semble poursuivi par le sort. Il collectionne les échecs et cela ne semble pas le décourager. Il avait à l'idée, avant qu'il ne s'abandonne à la perspective de fusion avec ses amis devenus adversaires, de relancer une nouvelle structure partisane. Finalement, il se fera avoir comme un novice. De fusion point. Ce n'était pas ce chemin de traverse qui allait le remettre en selle. Mais par ailleurs, il sait qu'il ne doit s'attendre à nulle indulgence de la part de l'administration s'agissant de l'agrément d'un éventuel nouveau parti politique. Alors, il couve ses déceptions répétées, loin des brouhahas politiques ambiants. Durant ces moments de déprime, il trouve, néanmoins, la force et l'inspiration d'écrire. Un jour, il avouera même aux journalistes qui le questionnaient sur ce qu'il compterait faire s'il n'arrivait pas à reprendre selle, qu'il se mettrait à écrire des livres. Il en a, au demeurant, écrit. Mais s'il est de moins en moins visible, cela ne veut pas dire qu'il a pris congé définitif de la politique. Il a la récidive chevillée au corps. Même s'il faut bien le dire, il est récidiviste malheureux.