« Rassemblons-nous autour d'un seul et même mot d'ordre. Que nos élites et nos universitaires s'unissent… Nous pouvons construire un large front pour renverser ce régime. Nous sommes capables. En nous coule la sève de la résistance et de la justice… Il appartient à Addi Lahouari, Med Samraoui, Mourad Dhina, Salah Sidhoum, D Zenati, S Khelil, Ali Belhadj, Benchenouf et a d'autres militantes et militants sincères de fixer les bases de ce rassemblement.» Cette phrase, tirée d'un commentaire de notre ami Radjef Saïd sur LQA, énonce de manière claire la tâche que doivent accomplir tous les patriotes de notre pays afin de venir à bout de la tyrannie que subit notre peuple depuis si longtemps. C'est également le but de l'Appel du 19 mars. Qu'est-ce qui empêche ce large front de se mettre en place? Pourquoi tous ceux qui veulent une Algérie de justice et de respect de la personne humaine demeurent-ils éparpillés, incapables de communiquer et de se concerter, de s'encourager et de s'éclairer mutuellement? Est-il absurde de penser qu'Addi Lahouari et Ali Benhadj puissent un jour s'assoir autour de la même table et discuter fraternellement de l'avenir de l'Algérie? Bien sûr, il y a le poids du passé et les «clôtures dogmatiques», comme les appelle Mohammed Arkoun. L'Algérie dont rêve Djamel Zenati et celle pour laquelle milite Mourad Dhina seraient-elles donc condamnées à s'exclure mutuellement, n'ayant absolument rien en commun? Reconnaître cela, c'est donner raison aux «éradicateurs», eux qui n'ont cessé de dire que les «intégristes» doivent être combattus, aucune cohabitation avec eux n'étant possible. Plus de dix-huit ans après janvier 92, l'Algérie est toujours dans l'impasse et rien ne semble indiquer que le régime en place ait l'intention de se réformer. Un président septuagénaire, malade et fatigué, ne connaissant que les méthodes héritées de l'ère du parti unique et de la SM de Boumédiène; un chef du DRS – véritable maître du pays – ayant le même âge que son compère, et dont la culture politique est probablement celle qui lui a été enseignée dans sa jeunesse par les «experts» du KGB : voilà le tableau. Alors que les pays qui dominent le monde sont dirigés par des quadragénaires pleins de vitalité et porteurs d'idées nouvelles, notre pays continue de subir le joug de tyrans épuisés dont les méthodes et les idées sont depuis longtemps périmées. Le projet «éradicateur» ne tient pas la route. Aucun projet qui exclut une partie de la population algérienne et lui fait subir l'injustice et la tyrannie n'a de chances de réussir et de hisser notre pays parmi les nations qui comptent. Indéfiniment empêtrés dans les luttes intestines et les combats d'arrière-garde, nous continuerons de nous enfoncer, notre survie temporaire étant tributaire de nos réserves d'hydrocarbures. L'islam tout autant que la langue amazighe sont des données incontournables de notre société, qu'il ne sert absolument à rien – et qu'il est même contre-productif – de nier. La démocratie et l'Etat de droit sont également les seuls instruments de gestion politique ayant fait leurs preuves dans le monde d'aujourd'hui. Ces quelques éléments me semblent constituer le minimum sur lequel doivent s'entendre ceux qui veulent construire l'Algérie de demain, celle où tout un chacun se sentira libre et fier, en sécurité, heureux de vivre dans un pays béni par la nature. Il faut tourner définitivement la page noire qui a commencé, après le 19 mars 1962, avec le spectacle lamentable des dirigeants de la lutte pour l'indépendance se déchirant sans honte et sans pitié pour le pouvoir. Ils se sont déchirés et combattus mutuellement jusqu'à la fin. Cette génération de «chefs incontesté» a ruiné l'Algérie et a légué aux générations futures un lourd contentieux moral. Que les derniers survivants s'en aillent et nous laissent en paix. Un pays ne se gouverne pas que par la ruse, le mensonge et le bâton. Les Etats qui prospèrent dans le monde d'aujourd'hui sont ceux où vivent des citoyens conscients de leurs droits et devoirs, qui participent activement à la prise de décision et ne ferment les yeux sur aucune violation de la loi. Nous devons définitivement comprendre que, quelque soit le régime politique mis en place, y compris la «république islamique», il ne peut réussir que s'il permet à des contre-pouvoirs puissants et crédibles de se constituer. Il ne peut réussir que s'il respecte les libertés fondamentales de l'individu, tout en assurant une application identique de la loi à tous, sans exception. Il ne peut réussir que s'il travaille dans l'intérêt du plus grand nombre, assurant la justice sociale et répondant aux attentes des couches les plus défavorisées – ceux et celles qui travaillent et produisent des richesses dont d'autres qu'eux profitent. Il faudra une bonne dose de pragmatisme aux dirigeants de l'Algérie de demain, celle où cohabiteront sans problème tous les courants politiques, celle qui donnera à la langue amazighe la même place que la langue arabe, celle qui pratiquera un islam apaisé et tolérant, celle dont la jeunesse maîtrisera la science tout en puisant ses valeurs morales les plus solides dans nos traditions ancestrales. Addi Lahouari et Ali Benhadj seraient-ils donc incapables d'imaginer cette Algérie-là?